II
C’est le matin de la Chandeleur et, par chance, c’est un jeudi. Maman a prévenu hier soir qu’elle irait à la messe de huit heures et qu’elle souhaitait emmener les deux grands et même Gilbert, s’il voulait s’arranger pour être prêt à l’heure.
Pour l’instant, il s’attarde au contraire à regarder par la fenêtre. Le ciel est bleu, d’un bleu tout vif, tout neuf, tout lavé. Mais le gazon du jardin est fleuri d’étoiles blanches. Il a gelé cette nuit.
Les roses de Noël, au bord des plates-bandes, entr’ouvrent leurs petites corolles frileuses. Elles ont un bien joli nom, mais les botanistes les appellent simplement des ellébores. Gilbert l’a appris l’autre jour en étudiant la fable du Lièvre et de la Tortue :
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.
Par curiosité, il aurait bien voulu goûter à ces fleurs roses et vertes qui passaient jadis pour guérir la folie. Mais Agnès, sagement, l’en dissuada, lui affirmant que c’était une plante vénéneuse. Ainsi en est-il de beaucoup de choses qui sont à la fois remède ou poison, selon qu’on sait ou ne sait pas les employer.
Firmin, le jardinier, prépare la terre pour repiquer les laitues sous cloche. Hier, il a greffé deux poiriers. Promesse de fruits. Dans la réserve où les enfants ne doivent pas pénétrer seuls, les pommes et les poires d’hiver commencent à s’épuiser : poires de Fribourg ou du bon chrétien d’hiver, pommes de rainette ou de calleville qu’on fait reluire avant d’y enfoncer les dents.
Mais, qu’est-ce que cette splendeur au fond du potager ? C’est l’amandier, le plus pressé de tous les arbres fruitiers, qui a revêtu hâtivement sa parure et qui, pour faire un brin de toilette, poudre de rose ses sarments desséchés.
Comme Gilbert reste en extase à la fenêtre, une chaussette d’une main et son peigne dans l’autre, maman, qui est toute prête à partir pour la messe, menace de ne pas l’emmener. Agnès, heureusement, est toute prête, elle aussi, et en deux temps, trois mouvements, elle chausse, débarbouille, coiffe et habille le petit rêveur.
Il ne restera donc à la maison que grand’mère qui a de mauvaises jambes, Christine et le petit Philippe. Papa et l’oncle Pascal n’ont pas de jeudis, eux, et la fête de la Chandeleur n’est pas fête d’obligation.
Mais, au moment de partir, Jean, qui a eu la coqueluche l’automne dernier, est pris d’une telle quinte de toux que maman décide de le laisser à la maison et, pour le consoler, grand’mère lui glisse à l’oreille
— Viens dans ma chambre. Nous lirons l’office tous les deux.
Jean qui est très pieux — un jour, peut-être, il sera prêtre — aime beaucoup lire les offices avec grand’mère qui explique si bien toutes choses et qui, il le sent confusément, est si près du bon Dieu.
— La Chandeleur, grand’mère, c’est ce qu’on appelle la Purification, n’est-ce pas ?
— Oui, mon chéri. Le récit de cet événement est tout entier dans l’évangile selon saint Luc, celui des quatre évangélistes qui nous a raconté le plus de choses sur l’enfance de Jésus. La Sainte Vierge elle-même, sans doute, l’en instruisit.
Grand’mère s’est installée dans son fauteuil. Elle a atteint le gros livre dans lequel elle lit si souvent et, tandis qu’elle ajuste ses lunettes, Jean s’assied à ses pieds sur un tabouret, comme s’il avait encore l’âge de Christine. Mais on est toujours un tout petit pour sa grand’mère.
Grand’mère ouvre l’Évangile et elle lit lentement, verset par verset, en s’arrêtant pour commenter les paroles sacrées au petit garçon qui l’écoute avec attention.
Chapitre II, verset 22 : Quand les jours de leur purification furent accomplis selon la loi de Moïse, Marie et Joseph portèrent l’Enfant à Jérusalem pour le présenter au Seigneur.
— Quand toi, tes frères et tes sœurs, avez fait votre première sortie avec votre petite maman, elle vous a menés d’abord à l’église. Elle vous a posés devant elle comme pour mieux vous offrir, et puis elle a demandé à un prêtre de prononcer sur elle de belles prières qu’on appelle les Relevailles et qui sont faites pour attirer les bénédictions du ciel sur les nouvelles mamans. La loi juive faisait une obligation aux femmes de venir au Temple après la naissance de leurs enfants. La Sainte Vierge, parce qu’elle était la mère de Dieu, n’était pas, comme les autres femmes juives, assujettie à cette loi. Mais elle était si humble et si obéissante qu’elle ne voulut pas se singulariser. Aussi, quarante jours après la naissance de son fils — pour une fille, le délai eût été de quatre-vingt-dix jours — elle quitte Bethléem et s’achemine vers le temple de Jérusalem, avec son petit enfant endormi dans ses bras et le bon saint Joseph auprès d’elle.
— Avaient-ils beaucoup de chemin à faire ?