Étiquette : <span>Relevailles</span>

Auteur : Duhamelet, Geneviève | Ouvrage : Chandeleur .

Temps de lec­ture : 27 minutes

II

C’est le matin de la et, par chance, c’est un jeu­di. Maman a pré­ve­nu hier soir qu’elle irait à la messe de huit heures et qu’elle sou­hai­tait emme­ner les deux grands et même Gil­bert, s’il vou­lait s’ar­ran­ger pour être prêt à l’heure.

Pour l’ins­tant, il s’at­tarde au contraire à regar­der par la fenêtre. Le ciel est bleu, d’un bleu tout vif, tout neuf, tout lavé. Mais le gazon du jar­din est fleu­ri d’é­toiles blanches. Il a gelé cette nuit.

Les roses de Noël, au bord des plates-bandes, entr’ouvrent leurs petites corolles fri­leuses. Elles ont un bien joli nom, mais les bota­nistes les appellent sim­ple­ment des ellé­bores. Gil­bert l’a appris l’autre jour en étu­diant la fable du Lièvre et de la Tor­tue :

Ma com­mère, il vous faut purger 
Avec quatre grains d’ellébore.

Par curio­si­té, il aurait bien vou­lu goû­ter à ces fleurs roses et vertes qui pas­saient jadis pour gué­rir la folie. Mais Agnès, sage­ment, l’en dis­sua­da, lui affir­mant que c’é­tait une plante véné­neuse. Ain­si en est-il de beau­coup de choses qui sont à la fois remède ou poi­son, selon qu’on sait ou ne sait pas les employer.

Fir­min, le jar­di­nier, pré­pare la terre pour repi­quer les lai­tues sous cloche. Hier, il a gref­fé deux poi­riers. Pro­messe de fruits. Dans la réserve où les enfants ne doivent pas péné­trer seuls, les pommes et les poires d’hi­ver com­mencent à s’é­pui­ser : poires de Fri­bourg ou du bon chré­tien d’hi­ver, pommes de rai­nette ou de cal­le­ville qu’on fait reluire avant d’y enfon­cer les dents.

Mais, qu’est-ce que cette splen­deur au fond du pota­ger ? C’est l’a­man­dier, le plus pres­sé de tous les arbres frui­tiers, qui a revê­tu hâti­ve­ment sa parure et qui, pour faire un brin de toi­lette, poudre de rose ses sar­ments desséchés.

Histoire du soir - Le jardinier prépare la terre.
Le jar­di­nier pré­pare la terre.

Comme Gil­bert reste en extase à la fenêtre, une chaus­sette d’une main et son peigne dans l’autre, maman, qui est toute prête à par­tir pour la messe, menace de ne pas l’emmener. Agnès, heu­reu­se­ment, est toute prête, elle aus­si, et en deux temps, trois mou­ve­ments, elle chausse, débar­bouille, coiffe et habille le petit rêveur.

Il ne res­te­ra donc à la mai­son que grand’­mère qui a de mau­vaises jambes, Chris­tine et le petit Phi­lippe. Papa et l’oncle Pas­cal n’ont pas de jeu­dis, eux, et la fête de la Chan­de­leur n’est pas fête d’obligation.

Mais, au moment de par­tir, Jean, qui a eu la coque­luche l’au­tomne der­nier, est pris d’une telle quinte de toux que maman décide de le lais­ser à la mai­son et, pour le conso­ler, grand’­mère lui glisse à l’oreille

— Viens dans ma chambre. Nous lirons l’of­fice tous les deux.

Jean qui est très pieux — un jour, peut-être, il sera prêtre — aime beau­coup lire les offices avec grand’­mère qui explique si bien toutes choses et qui, il le sent confu­sé­ment, est si près du bon Dieu.

— La Chan­de­leur, grand’­mère, c’est ce qu’on appelle la , n’est-ce pas ?

— Oui, mon ché­ri. Le récit de cet évé­ne­ment est tout entier dans l’é­van­gile selon saint Luc, celui des quatre évan­gé­listes qui nous a racon­té le plus de choses sur l’en­fance de Jésus. La Sainte Vierge elle-même, sans doute, l’en instruisit.

Grand’­mère s’est ins­tal­lée dans son fau­teuil. Elle a atteint le gros livre dans lequel elle lit si sou­vent et, tan­dis qu’elle ajuste ses lunettes, Jean s’as­sied à ses pieds sur un tabou­ret, comme s’il avait encore l’âge de Chris­tine. Mais on est tou­jours un tout petit pour sa grand’mère.

Grand’­mère ouvre l’É­van­gile et elle lit len­te­ment, ver­set par ver­set, en s’ar­rê­tant pour com­men­ter les paroles sacrées au petit gar­çon qui l’é­coute avec attention.

La Chandeleur pour le catéchisme - Marie et joseph portèrent l'Enfant à Jérusalem.
Marie et Joseph por­tèrent l’En­fant à Jérusalem.

Cha­pitre II, ver­set 22 : Quand les jours de leur puri­fi­ca­tion furent accom­plis selon la loi de Moïse, Marie et Joseph por­tèrent l’En­fant à Jéru­sa­lem pour le pré­sen­ter au Seigneur.

— Quand toi, tes frères et tes sœurs, avez fait votre pre­mière sor­tie avec votre petite maman, elle vous a menés d’a­bord à l’é­glise. Elle vous a posés devant elle comme pour mieux vous offrir, et puis elle a deman­dé à un prêtre de pro­non­cer sur elle de belles prières qu’on appelle les et qui sont faites pour atti­rer les béné­dic­tions du ciel sur les nou­velles mamans. La loi juive fai­sait une obli­ga­tion aux femmes de venir au Temple après la nais­sance de leurs enfants. La Sainte Vierge, parce qu’elle était la mère de Dieu, n’é­tait pas, comme les autres femmes juives, assu­jet­tie à cette loi. Mais elle était si humble et si obéis­sante qu’elle ne vou­lut pas se sin­gu­la­ri­ser. Aus­si, qua­rante jours après la nais­sance de son fils — pour une fille, le délai eût été de quatre-vingt-dix jours — elle quitte Beth­léem et s’a­che­mine vers le temple de Jéru­sa­lem, avec son petit enfant endor­mi dans ses bras et le bon saint Joseph auprès d’elle.

— Avaient-ils beau­coup de che­min à faire ?