Étiquette : <span>23 novembre</span>

Auteur : Danemarie, Jeanne | Ouvrage : Le Christ-Roi .

Temps de lec­ture : 8 minutes

CINQUIÈME SCÈNE

Le rideau se lève. Il n’y a rien sur la scène. Nous allons assis­ter au mar­tyre du P. Pro et de ses com­pa­gnons. C’est M. le Curé qui va expli­quer tout ce qui se passe.

M. LE CURÉ (debout à gauche du rideau)

La scène repré­sente le jar­din de la pri­son entou­ré de grilles. Au milieu une allée toute enso­leillée abou­tit à un bos­quet. Une foule arrive der­rière la grille. 

(Un groupe s’avance.) 

M. LE CURÉ 

Voi­ci des poli­ciers. Au milieu d’eux se trouve l’Ins­pec­teur Géné­ral Rober­to Cruz. 

(Un autre groupe avance avec des appa­reils photographiques.)

M. LE CURÉ 

Voi­ci des pho­to­graphes. Vous voyez que l’Ins­pec­teur Géné­ral les fait ins­tal­ler lui-même. Il veut qu’on puisse gar­der le sou­ve­nir de cette exé­cu­tion. Là-bas est la porte de la pri­son. Un poli­cier la garde. Les pri­son­niers ne savent rien encore. 

(La porte s’ouvre.) 

Le P. Miguel Pro paraît, il achève de s’ha­biller. Il aper­çoit la foule, les poli­ciers. On ne lui a pas dit qu’il allait mou­rir. Il le devine, et se redresse. 

LE POLICIER (à voix basse) 

Par­donne-moi.

LE P. PRO (de même, sou­riant)

Si je te par­donne ? je te remercie. 

LA FOULE

Le voi­là !

UNE FEMME

Com­ment le sauver ? 

UNE AUTRE

Oh ! Père Pro, vous qui avez mis tant d’âmes en Para­dis ! La vôtre ira tout droit.

LE POLICIER

Silence !

L’INSPECTEUR CRUZ

Ame­nez le pelo­ton d’exécution. 

( Six sol­dats arrivent, marchent au pas vers le bos­quet qui ter­mine l’allée.)

M. LE CURÉ reprend la parole

Le Père avance len­te­ment, en silence, il prie. On entend la voix de sa sœur Anne-Marie qui sup­plie les poli­ciers de la lais­ser pas­ser pour s’ap­pro­cher de lui. On la repousse. Elle san­glote… Le Père Pro conti­nue d’a­van­cer dans le jar­din enso­leillé. Der­rière les grilles la foule s’é­crase. Le Père frôle l’Ins­pec­teur Cruz, le cigare aux lèvres et son état-major. Non loin les jour­na­listes convo­qués aus­si par l’Ins­pec­teur. Les pho­to­graphes braquent leurs appareils. 

LE P. PRO, (il marche droit, les mains jointes. sans un fré­mis­se­ment. Aux poli­ciers qui l’en­tourent : )

Atten­dez un instant. 

(Il s’a­ge­nouille, les bras croi­sés sur la poi­trine, la tête hum­ble­ment pen­chée, tire une petite croix et la baise, se redresse, fait face au pelo­ton, ouvre les bras en croix.) 

Vive le Christ-Roi !

Auteur : Danemarie, Jeanne | Ouvrage : Le Christ-Roi .

Temps de lec­ture : 8 minutes

DEUXIÈME SCÈNE

M. LE CURÉ 

Depuis le 1er août 1926, toutes les églises sont fer­mées au Mexique. Alors le P. Pro orga­ni­sa à Mexi­co les sta­tions eucha­ris­tiques, les lieux où se disait la Messe : tan­tôt un ate­lier de cou­ture, un bureau, ou une salle à man­ger. Rien ne doit être chan­gé dans la pièce, parce qu’à toute heure la police peut surgir. 

(Le rideau est tiré.) 

M. LE CURÉ reprend

Ici la scène repré­sente un bureau. Tout ce monde que vous voyez réuni vient d’en­tendre la Messe, les femmes ont un voile sur la tête, le P. Pro vient de don­ner la Communion.

LE P. PRO 

Mes amis, il fau­drait que je me cen­tuple. La ville est pleine de malades et de mori­bonds. Le Via­tique, l’Ex­trême-Onc­tion, je ne fais plus autre chose. Je ne puis plus suf­fire. Les pri­sons sont pleines de catho­liques, je leur porte de la nour­ri­ture, des cou­ver­tures, de l’argent, des ciga­rettes… Ah ! si les geô­liers savaient qui je suis !… Je vou­drais bien qu’ils le sachent et me gardent en pri­son au moins quelques jours. Priez pour moi. Depuis le début de novembre les poli­ciers me cherchent. 

UNE SERVANTE (se pré­ci­pite)

Les poli­ciers ! les policiers ! 

LE P. PRO 

Vite, Mes­dames, cachez vos voiles et ne vous effrayez pas. Répar­tis­sons-nous dans les chambres. 

(Il s’a­ge­nouille devant le Saint Sacre­ment et le dis­si­mule sur sa poi­trine, tire un cigare et va ouvrir la porte.)

1er POLICIER (dure­ment)

On dit la Messe ici. 

LE P. PRO 

Vrai­ment ! Allons donc !

2me POLICIER 

Oui, Mon­sieur, il y a ici office public.

LE P. PRO

Vous êtes fous !

1er POLICIER

Je vous le dis, c’est sûr, et nous avons l’ordre de perquisitionner.

LE P. PRO

Ordre de qui ?

LE POLICIER

Du gou­ver­ne­ment.

LE P. PRO

C’est bien. Visi­tez la mai­son, et lorsque vous aurez trou­vé où se tient le culte public, venez me le dire pour que j’aille aus­si entendre la Messe. Je vous accom­pagne. (Ils sortent.)

UNE FEMME (elle fait sem­blant d’é­pous­se­ter)

J’en ai la sueur froide ! Le P. Pro est per­du… Nous aus­si. Nous, tant pis. Mais lui !… il y a si peu de prêtres… et tant de mourants !…

UNE AUTRE FEMME 

Ayons l’air de rire. 

LA 1re FEMME 

Oui. (Fort) Il faut aller au mar­ché cher­cher du pois­son. Bien frais. (Elle tremble, à voix basse.) Ils entrent dans ma chambre, je les entends. J’ai peur. 

LA 2me FEMME (fort)

Si tu es malade, il ne faut pas sor­tir, j’i­rai seule aux commissions. 

LA 1re FEMME (à voix basse)

Main­te­nant ils sont au salon, on dirait qu’ils rient. 

(On entend rire en effet. Le P. Pro rentre avec les deux policiers.) 

1er POLICIER (ner­veux)

Cepen­dant on nous a assu­ré qu’un prêtre est entré là.

LE P. PRO 

Eh bien, atten­dez-le à la porte. Il fau­dra bien qu’il sorte !

Auteur : Danemarie, Jeanne | Ouvrage : Le Christ-Roi .

Temps de lec­ture : 9 minutes

DEUXIÈME TABLEAU

Tout le monde s’est ras­sis, et même il y a quelques audi­teurs de plus : une auto s’est arrê­tée devant ce théâtre en plein air, et les occu­pants ont gen­ti­ment deman­dé la per­mis­sion de res­ter. M. le Curé a dit Oui, et les jeunes acteurs sont fiers de ce succès. 

M. LE CURÉ, debout à droite du rideau fermé. 

Nous sommes au Mexique le 11 novembre 1920. Au fond de l’ho­ri­zon on voit une mon­tagne abrupte, haute de 2600 m. Il fait encore un peu nuit. Des feux sont allu­més sur toutes les cimes d’a­len­tours. L’aube se lève peu à peu. La mon­tagne est noire de monde, une foule arrive de par­tout. Main­te­nant on dis­tingue sur le som­met la sta­tue du Christ-Roi, haute de 3 mètres, pla­cée sur une pyra­mide octo­go­nale de 6 m. de hauteur. 

Tout à coup le soleil jaillit der­rière la chaîne du Gua­na­jua­to. L’É­vêque de Léon s’a­vance. Il bénit la mon­tagne et la pro­clame Mon­tagne du Christ-Roi. Il bénit le monu­ment et le déclare Monu­ment Natio­nal. On entend les chants de la Béné­dic­tion du Saint Sacre­ment. L’É­vêque bénit avec l’Os­ten­soir les quatre points car­di­naux, puis il lance l’acclamation : 

Vive le Christ-Roi 

mille fois répé­tée par la foule.

Mais ce monu­ment était insuf­fi­sant. Les Mexi­cains vou­lurent en éle­ver un autre plus beau, beau­coup plus beau. Ils taillèrent une route dans la mon­tagne, ils bâtirent trois ponts de fer. La plate-forme était déjà bâtie. Avant l’i­nau­gu­ra­tion, pen­dant six jours et six nuits d’in­nom­brables pèle­rins gra­virent la mon­tagne. De par­tout mon­taient des prières et des can­tiques au Christ-Roi. 

Les Mexicains construisent sur la montagne un monument au Christ-Roi

Alors les méchants, aus­si méchants que le roi Hérode, envoyèrent une armée pour empê­cher qu’on place là-haut la sta­tue du Christ-Roi. Et le 30 juin 1928, une déto­na­tion for­mi­dable se réper­cu­ta dans les mon­tagnes et les val­lées : le Monu­ment au Christ-Roi volait en éclats.

Et on ferme les églises, on exile les moines, on chasse les prêtres. On veut détruire la reli­gion au Mexique. Quelques prêtres sont res­tés, ils se cachent. Ils admi­nistrent les Sacre­ments dans des lieux inconnus. 

Le Père Miguel Pro, Jésuite, est de ceux-là. Le voici. 

(Le rideau se tire lentement.)

PREMIÈRE SCÈNE

M. LE CURÉ conti­nue

La scène repré­sente un côté d’é­glise, un autel, un confes­sion­nal. Le Père Pro vient de confes­ser une cen­taine de per­sonnes venues en grand mys­tère, quelques-unes de très loin. Il est tard, main­te­nant, l’é­glise s’est vidée.

(M. le Curé s’est rassi.) 

LE PÈRE PRO (c’est Mar­cel. Il a son cos­tume de tous les jours, mais il n’a pas son visage ordi­naire, si gai. Il est triste de l’ab­sence d’An­dré et puis il s’est mis vrai­ment dans ce rôle avec tout son cœur et toute sa foi. Il sort len­te­ment la tête du confessionnal.)

C’est fini, il n’y a plus per­sonne. Tant mieux, je n’en puis plus. Je confesse depuis ce matin. Quelles cour­ba­tures ! Tiens ! j’ai fait des pro­grès, je suis four­bu mais debout. Quand je pense qu’­hier je me suis éva­noui comme une femme, on a dû me sor­tir du confes­sion­nal, me faire res­pi­rer des sels ! C’est hon­teux ! (Il va vers le Tabernacle.)

Après-demain, Sei­gneur, vous quit­te­rez votre mai­son. On Vous chasse, Vous, le Maître, le Roi ! Les cloches se tai­ront, le Mexique doit être vidé de Dieu. Ils sont fous !… Mais nous, nous allons entrer dans le déso­lant abîme de la per­sé­cu­tion. Peu importe ! 

« Je consens à n’a­voir nul bon­heur sur la terre. 

Mais don­nez-moi, Sei­gneur, des âmes à sau­ver ! Des âmes à sau­ver, Vous m’en don­ne­rez. J’i­rai les cher­cher par­tout, à tra­vers les ronces, pieds nus sur le roc tran­chant. Je me donne tout entier. Votre amour, mon Dieu, Vous seul, je suis votre Victime. » 

(Il va sor­tir de l’é­glise et hésite.) 

Je crois que je ferai bien d’at­tendre encore un peu avant de tra­ver­ser les rues. En atten­dant, je vais dor­mir dans un coin. (Il s’ins­talle.)

(Un silence. La porte de l’é­glise s’ouvre avec précautions.) 

HUMBERTO PRO (c’est Maxime qui tient le rôle, un gen­til gar­çon­net d’un hameau)

(À voix basse)

Miguel ! Miguel ! êtes-vous là ? (Pas de réponse.) Mon Dieu, pour­vu que je n’ar­rive pas trop tard. Des poli­ciers le guettent par­tout. Où est-il ? C’est sombre. (Il appelle plus fort.)

Miguel ! Miguel ! 

LE P. PRO, (mal réveillé, se dresse)

Voi­là ! Voi­là ! Est-ce pour un mourant ?