Une cruche bien mystérieuse

Auteur : Demetz L. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 7 minutes

C’est une humble cruche de grès, une cruche qui fait jaser tout le vil­lage de Vaux.

Légende - Histoire de vaillance et de courage - Tour du diable à VauxIl y a bien des mys­tères à Vaux, celui de la Tour du Diable, une tour en ruines toute cou­verte de lierre, où nul ne pénètre la nuit ; et puis il y a sur­tout le mys­tère de la cruche, celui dont tout le monde parle.

Oh ! cette cruche bleue et grise, qui trône en place d’hon­neur sur la che­mi­née de maître Pierre, juste en des­sous du cru­ci­fix, comme tout le monde la regarde !

Il est cer­tain qu’elle a dû avoir une car­rière tour­men­tée car elle n’est plus qu’un assem­blage de mor­ceaux savam­ment recollés.

Il paraît que cer­tains soirs, maître Pierre, le sym­pa­thique fer­mier, vient seul devant sa cruche : il la regarde très lon­gue­ment… bien soucieux.

Oh ! mys­tère. Après un cer­tain temps, tout à coup, la figure du fer­mier s’illu­mine, il s’en va…

Sa femme qui res­pecte la dite cruche ne laisse à per­sonne le soin de l’é­pous­se­ter ; aucune autre main que la sienne n’y touche.

Cette cruche de grès contient, au dire de maître Pierre, un grand secret.

Lequel ? Nul ne le sait.

***

Lecture pour la jeunesse - orage sur les champsEn ce soir de juillet, des pay­sans vont et viennent d’un air acca­blé sur les che­mins des champs ; ils se regardent quand ils se ren­contrent et n’ont qu’un mot à se dire :

« Tout est perdu ! »

Oui, tout est per­du. Il a grêlé.

En fin d’a­près-midi, après des heures suf­fo­cantes, l’o­rage a écla­té, le ciel s’est nappe d’un nuage cui­vré, et la grêle, ce ter­rible fléau, est tombée.

Elle est tom­bée bru­ta­le­ment, frap­pant sans pitié les pauvres plantes alan­guies. Main­te­nant les blés et les avoines sont cou­chés sur la terre, dans un ruis­sel­le­ment d’eau ; les feuilles de bet­te­raves sont déchi­que­tées, les fruits perforés.

Il monte du sol détrem­pé une odeur péné­trante de sève, de sève per­due, hélas !

Comme les autres, maître Pierre est venu voir ses champs sac­ca­gés, ses beaux blés qui gisent dans la boue.

Comme les autres aus­si, il est repar­ti, le front lourd de sou­cis. En ren­trant, il est allé droit vers sa cruche, l’a regar­dée lon­gue­ment encore… puis, rele­vant la tête, a mur­mu­ré pour lui seul : « Je recommencerai ! »

***

« Papa, je suis grand main­te­nant ; veux-tu me dire le secret de la cruche ? »

Pierre regarde son aîné qui a eu 11 ans. Il est déjà sérieux son Ray­mond ! Digne de savoir le secret.

Aujourd’­hui, il a réa­li­sé l’é­ten­due de la catas­trophe qui attris­tait son papa, il a bien vu aus­si sa réac­tion éner­gique de tout à l’heure et c’est pour­quoi il veut à tout prix savoir enfin le secret ; le fameux secret qui rend tou­jours le sou­rire aux heures terribles.

« Eh bien ! tu vas le savoir, mon fils ! »

L’en­fant ravi s’ap­prête à écou­ter reli­gieu­se­ment ce secret dont tout le monde parle à Vaux.

Maitre Pierre parle main­te­nant avec émotion.

« Il y a qua­rante ans, j’a­vais ton âge. Tu sais que j’é­tais l’aî­né de six enfants.

Nos parents étaient pauvres ; le père qui était can­ton­nier, tra­vaillait beau­coup et gagnait peu. Jamais nous n’a­vions aucune frian­dise, la vie était dure.

Un jour que j’é­tais allé à la ville voi­sine avec maman, je la vis tout à coup s’ar­rê­ter en admi­ra­tion devant une cruche en grès, celle que tu vois sur la cheminée.

- Voi­là, me dit-elle, ce qu’il me fau­drait pour mettre le lait de la chèvre !

Elle entra avec moi et deman­da le prix au mar­chand… mais ne put ache­ter la cruche car elle n’a­vait pas assez d’argent. .

Ce jour-là, Ray­mond, devant la tris­tesse de maman qui ne pou­vait rem­por­ter la cruche tant convoi­tée, je me suis juré de l’a­che­ter coûte que coûte.

Je n’a­vais pas un sou à moi ; que m’im­por­tait puisque j’a­vais de la plein le cœur !

ouvrages à lire - Vaillance et Travail - Jeune garçonA dater de ce jour, on ne me vit plus cou­rir les champs avec les autres.

Tous les soirs, en sor­tant de l’é­cole, j’al­lais faire des petits tra­vaux tan­tôt chez l’un, tan­tôt chez l’autre.

Je cas­sais du petit bois pour la voi­sine, désher­bais les car­rés de légumes du maraî­cher, allais cueillir des cor­beilles de fraises des bois ou des bou­quets de muguet que je ven­dais à la ville en secret.

Peu à peu, les quelques sous que je gagnais labo­rieu­se­ment finirent par rem­plir la boîte où je les cachais précieusement.

Au bout de longs mois d’ef­forts, il y eut assez pour ache­ter enfin la cruche tant dési­rée de maman.

Fou de joie, je par­tis un jeu­di chez le mar­chand de pote­rie et ali­gnai sur son comp­toir mes piles de petits sous qui m’a­vaient coû­té tant de labeurs.

Il prit la cruche qui me sem­blait si belle avec ses veines de pein­ture bleue.

Historiette pour les momes - cruche bleue

Je sor­tis ravi, por­tant à pleins bras ma cruche. Au bord du che­min, je m’ar­rê­tai tout seul et, avec mon mou­choir, me mis à la frot­ter pour ôter la pous­sière et la rendre plus belle encore pour l’of­frir à maman. Comme elle allait être heu­reuse d’a­voir une si belle cruche !

De plus en plus joyeux, je me mis à cou­rir en aper­ce­vant les toits du vil­lage… Je n’a­vais pas vu une grosse pierre sur la route, qui me fit dure­ment tomber.

Hélas ! ma cruche, ma pauvre cruche gisait en mor­ceaux autour de moi. C’en était trop ! Je me mis à pleu­rer, à pleu­rer déses­pé­ré­ment sur les débris.

Dire que tous ces mois d’ef­forts, de sacri­fices, étaient per­dus pour tou­jours ! je pleu­rai long­temps… et puis, subi­te­ment, il me vint une idée qui redres­sa mon cou­rage ; je déci­dai de recommencer.

En sou­ve­nir de la géné­ro­si­té de son petit gars, maman vou­lut col­ler pieu­se­ment les mor­ceaux et gar­der la cruche.

Depuis, elle a tou­jours été pour moi une source de bon­heur. Aux heures dif­fi­ciles de ma vie, je la regarde comme tout à l’heure, je me rap­pelle l’ef­fon­dre­ment de mon rêve d’en­fant, mon redres­se­ment de volon­té d’a­lors et, comme autre­fois, je répète : je recommencerai.

C’est grâce à elle que j’ai aujourd’­hui ma ferme, mes terres et sur­tout l’énergie. »

Et Ray­mond a com­pris le secret de la cruche de son papa, secret tout simple, secret de vaillance.

L. Demetz.

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