La pénitence
Ce récit est une histoire absolument vraie : seuls les noms propres ont été changés. On comprendra aisément pourquoi.
Roger de Préval était élève au collège Sainte-Anne à X, depuis octobre. Il avait eu le malheur de tomber sous la coupe d’un mauvais camarade, plus âgé que lui, nommé Laudry. Non seulement ce dernier lui avait passé de mauvais livres, enseigné de vilaines choses, mais un soir il l’avait entraîné à la chapelle poux voler l’argent déposé dans le tronc ! Roger, terrorisé par Laudry, avait consenti à tout… N’osant avouer ses fautes au confesseur, il s’était tu, accumulant pendant six mois sacrilèges sur sacrilèges. Et voici qu’arrivait pour lui le Grand Jour de la Première Communion, la vraie, puisque à cette époque on ne faisait pas encore de communion privée.
La retraite commença, prêchée par un jeune Père dominicain. Le prédicateur rappela aux retraitants les grandes vérités de notre sainte religion : la mort, le jugement, le ciel, l’enfer… Roger, tout ému, repassa dans son esprit les nombreuses fautes commises depuis six mois. Mais que dirait son confesseur s’il lui avouait seulement aujourd’hui sa misère ? Le pauvre petit pensa que jamais le prêtre n’avait entendu de semblables choses… Et pour s’encourager il répétait : « Mon Dieu, je vous jure de me confesser, mais plus tard, quand je serai sur mon lit de mort ! » Or voici qu’à la veille de la clôture, le prédicateur fit un sermon sur la mauvaise confession. « On se confesse mal de deux manières, dit le Père ; en manquant de contrition, c’est-à-dire en ne se repentant pas de ses péchés, ou en manquant de sincérité, c’est-à-dire en cachant volontairement une ou plusieurs fautes graves. Dans ce dernier cas on sort du confessionnal encore plus coupable, car on y est entré simple pécheur et on en sort sacrilège ! Aujourd’hui, mes enfants, vous tremblez devant un homme ! Que sera-ce quand vous vous présenterez devant Dieu ! »
Ces paroles courageuses firent courir un frisson dans l’auditoire… Roger n’en fut, bien sûr, pas exempt ! Et voici que le prédicateur continuait, étendant la main vers lui comme pour le désigner : « J’ai peut-être sous les yeux un enfant qui n’a pas osé avouer ses fautes ! » Le cœur de Roger se mit à battre avec violence… « Un enfant qui s’est dit froidement : j’accumulerai péchés sur péchés, mais mon confesseur n’en saura rien ! » Comme il a raison, murmura Roger ! « Si cela est, ajouta le Père, il faut que dès aujourd’hui le malheureux avoue tout ! » Je le veux, soupira Roger ; j’en prends la ferme résolution. « Un peu de courage, mes enfants, conclut le prédicateur, il y va peut-être de votre éternité ! » Le sermon terminé on entonna le cantique final. Le maître de chapelle, se trouvant près de Roger, lui demanda de chanter en solo le couplet, car il avait une très belle voix :
« Grand Dieu,
Quel jour affreux
Luit à mes yeux,
Quel horrible abîme !
Oui l’enfer
Vengeur de mon crime
Est ouvert,
Attend sa victime ! »
La voix du pauvre soprano tremblait d’émotion en articulant ces paroles ! Tant bien que mal Roger arriva au dernier vers puis, n’essayant plus de lutter, il fondit en larmes. Cette fois, c’était bien décidé, il allait tout dire ! Hélas, son mauvais génie veillait… Quelques instants plus tard il quitte l’étude et se dirige vers la chambre de son confesseur. Soudain Laudry se dresse devant lui ! « Que viens-tu faire ici ? » demanda Roger. « Te dire un mot, un seul, répond le triste compagnon. Tu es un traître ! Tu m’avais juré de ne rien dire et maintenant tu vas tout raconter ! » « Oui, mais c’est à mon confesseur ! » « Eh ! bien, j’entre moi aussi, mais chez le Supérieur. » « Et que lui diras-tu ? » « Rien. Je lui montrerai simplement ceci. » Et il tira un objet de sa poche. « C’est mon couteau, s’écria Roger. Celui que tu m’as cassé ! » « Oui… je ferai remarquer au Supérieur que le bout de lame qu’il a trouvé dans le tronc s’adapte parfaitement à celle-ci. » « Et après ? » « Après ! Il sera facile de connaître le propriétaire… On te l’a assez vu souvent entre les mains ! Tu seras découvert et renvoyé comme voleur. » « Je t’en prie, ne me fais pas renvoyer, supplia Roger. Je t’aimerai bien, tu verras ! » « Si tu m’aimes, répondit le faux ami, obéis-moi. Je n’ai pas violé mon serment, garde le tien ! »
Et Roger, la honte au front, reprit le chemin de l’étude sans avoir vu son confesseur !
Enfin le Grand Jour arriva. À la chapelle, bondée de parents, M. de Préval, qui est veuf, a trouvé une place près de l’autel de la Sainte-Vierge. Roger, durant le défilé, passe près de lui et se met à trembler. Ne va-t-il pas trahir et son père et le Bon Dieu ? Mais il est trop tard maintenant pour reculer… Voici que la messe commence. À l’évangile, le prédicateur monte en chaire et parle de l’Eucharistie. Il rappelle surtout la Cène du Jeudi Saint et le regard de Jésus qui, en cette heure solennelle, rencontra cependant celui de Judas ! Ces paroles frappèrent Roger. Il lui sembla sentir peser sur lui ce regard du Divin Maître. « O mon Dieu, pensa-t-il, ne descendez pas dans mon cœur ! » Mais la messe continuait, terriblement rapide pour le pauvre sacrilège. Voici la préface, puis le Sanctus. Ah ! s’il pouvait enfin se confesser ! Mais c’est son propre confesseur qui célèbre la messe ! Déjà la clochette annonce l’élévation… Les petites têtes s’inclinent, là-bas, près de la Vierge, M. de Préval prie pour son fils. « Prenez-le, si vous le voulez, dit-il à Dieu. Faites-en un prêtre, un missionnaire… Je vous le donne ! » Près de Roger, Laudry savoure sa victoire. Encore quelques instants et tout sera consommé. Mais le Bon Dieu veille. Touché par la prière de M. de Préval, Il va donner à son fils le courage qui lui manque. Au Pater, Roger, poussé par une force inconnue, se lève, l’air résolu. Il va vers un de ses professeurs et lui demande de l’accompagner jusqu’à la sacristie. Le bon abbé a compris et suit son petit pénitent. Bientôt, penché sur sa poitrine, comme Saint Jean au soir de la Cène, il déverse son terrible fardeau. Et le pardon descend, bienfaisant, sur cette âme torturée depuis si longtemps ! Roger se relève, radieux… D’un pas rapide il rejoint ses camarades à la Table Sainte. Et quand il regagne sa place, les yeux modestement baissés, il n’est pas seulement purifié, il est transfiguré !
Le Chercheur
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