J’étais à Rome avec mon régiment, lorsque la guerre de 1870 fut déclarée. Rentrés en France, nous servîmes de noyau au 13ᵉ corps d’armée, que formait le général Vinoy. Le jour de la bataille de Sedan, nous étions à Mézières et le bruit du canon arrivait jusqu’à nous. Après l’admirable retraite du brave général Vinoy, notre brigade, formée des 34ᵉ et 42ᵉ, devint le noyau de l’armée pour la défense de Paris.
Après de nombreux combats, mon bataillon avait été envoyé à Vitry. Nous construisions une redoute et quelques ouvrages défensifs, mais la surveillance dé l’ennemi inquiétait nos travailleurs.
L’ennemi choisissait les plus habiles tireurs prussiens et bavarois ; ils se glissaient dans les moindres plis de terrain, homme par homme, et, s’abritant derrière les haies ou se plaçant dans des trous pratiqués sous le sol, ils observaient nos travaux et nos mouvements, tirant à coup sûr et disparaissant ensuite.
Notre commandant voulut opposer à cette tactique ténébreuse ce qu’il nomma une contre-mine. Il fit appel aux hommes de bonne volonté, tireurs expérimentés et faisant bon marché de leur vie. Je fus accepté et pris rang parmi ces « enfants perdus ». Nous devions nous glisser en rampant jusqu’à une distance prescrite, observer l’ennemi sans être vus, et ne faire feu que pour tuer et non pour brûler de la poudre. La dernière recommandation du commandant fut d’en descendre le plus possible, afin de les dégoûter du jeu. « Soyez tous yeux et toutes oreilles, nous dit le commandant, et n’oubliez pas que vous êtes entourés de gaillards qui ne vous ménageront pas. »
Un peu avant le jour, je m’enfonçai dans le lit d’un ruisseau à peu près desséché, et j’en suivis les sinuosités, me traînant sur les genoux et sur les mains, le fusil en bandoulière, un morceau de biscuit dans ma poche. Une ceinture maintenait autour de mon corps le révolver et la lorgnette de mon lieutenant. Une gourde pleine de café complétait mes provisions de guerre. Il était défendu de fumer, de se tenir debout et de faire le moindre bruit.