Les hommes battent le grain. Pierre regarde avec fierté ce flot de froment doré que déverse au sol la puissante batteuse.
Dans le vrombissement du moteur, les lourdes gerbes sont happées avec force, vidées de leurs grains, et retombent lasses et vides.
Le beau blé s’accumule en tas, sans arrêt ; on le vanne et on en remplit les grands sacs ventrus qui attendent.
Pierre en met un coup avec son père et les ouvriers. De toute la force de ses douze ans, il manie la pelle avec habileté.
« Quel métier de chien ! J’ai l’gosier sec », clabaude le gros Louis qui vient battre uniquement parce qu’il sait que Maître Renaud soigne son monde et qu’il y aura un mouton à manger.
Pierre s’est redresse comme une flèche : il aime déjà son futur métier et ne le laissera pas déprécier par personne.
« Tu ne sais pas ce que tu dis, Louis. Pense que sans nous l’humanité mourrait de faim. Le pays compte sur les paysans ; il faut que nous soyons dignes de sa confiance. »
Interdit, le gros Louis grogne encore pour le compte de son gosier altéré.
Pierre se remet à la besogne pendant que Louis parlemente avec ses inséparables cannettes de bière, alignées contre le mur.
Tout en remplissant son sac, Pierre réfléchit comme tous les paysans réfléchissent. Il se dit qu’il ne convertira pas Louis aujourd’hui et qu’il vaut mieux besogner que discuter. Mais les derniers mots adressés à son camarade lui reviennent à l’esprit… mourir de faim.
Sans la terre,