Le petit Jésus d’un soir

Ouvrage : La semaine de Suzette

La grosse Louise a ouvert brus­que­ment la porte du petit salon où Mme de Cham­breil tri­cote devant une claire flambée. 

Jaque­mette a posé sa pou­pée et, sur­prise, s’est redres­sée de toute la hau­teur de ses huit ans. 

— Eh bien, Louise, que se passe-t-il ? demande Mme de Chambreil.

— Madame ! Madame !… C’est M. le Curé ! 

— M. le Curé à cette heure-ci ? Faites entrer, Louise ! 

La sil­houette du prêtre se des­sine dans l’entre-bâille­ment de la porte. Il secoue avant d’en­trer quelques flo­cons de neige qui s’in­crustent à sa pèle­rine. Son bon sou­rire se fait embarrassé. 

— Je m’ex­cuse, madame, de venir vous déran­ger à cette heure indue. 

— Vous savez bien, mon­sieur le Curé, que vous ne me déran­gez jamais… Mais je suis navrée de voir que vous avez affron­té un temps pareil pour venir jus­qu’i­ci… et un soir de Noël encore ! 

— Eh ! oui… jus­te­ment, un soir de Noël… C’est que, voyez-vous, madame, il m’ar­rive quelque chose de bien fâcheux : Je n’ai pas d’En­fant Jésus !

Devant le sou­rire un peu amu­sé de Mme de Cham­breil, le bon prêtre s’explique : 

— Vous savez que, grâce à la géné­ro­si­té de mes parois­siens, j’ai pu orga­ni­ser une crèche cette année… une crèche tout à fait bien. Mue Béchaille a tout pré­pa­ré. Moi-même y ai mis tan­tôt, la der­nière main. Nous avons saint Joseph, la Sainte Vierge, les ber­gers. Tout, madame sauf l’En­fant Jésus que la mai­son de Paris qui nous a four­ni ses per­son­nages a négli­gé de com­prendre dans l’en­voi. J’ai envoyé un télé­gramme avant-hier et, confiant dans la Pro­vi­dence, j’ai atten­du sans trop d’ap­pré­hen­sion. Mais il faut se rendre à l’é­vi­dence. Le train de quatre heures est pas­sé sans m’a­me­ner le colis dési­ré, et je ne sais plus com­ment faire… Alors, je suis venu, madame… pour vous deman­der conseil. 

Mme de Cham­breil com­prit tout de suite ce que le pauvre prêtre atten­dait d’elle. 

— Ne déses­pé­rez pas, mon­sieur le Curé, il reste encore une chance. Je vais aller avec la voi­ture à Bayeux pour tâcher de trou­ver un petit Jésus. 

— Mais, madame… 

— Ne faut-il pas tout tenter ? 

Pen­dant que, tout confus, mais un peu ras­su­ré, le brave curé se reti­rait en s’ex­cu­sant encore, le chauf­feur pré­pa­rait la voiture. 

Quelques ins­tants plus tard, Mme de Cham­breil regar­dait par la vitre de l’au­to la cam­pagne toute blanche qui défi­lait devant elle. 

Jaque­mette, res­tée seule, ne reprit pas sa pou­pée. Médi­ta­tive, elle regar­dait flam­ber les bûches, se rap­pe­lant la déso­la­tion de M. le curé. Lui, tou­jours si bon, si simple ! Elle aurait tant vou­lu le voir content ! Mais l’heure tour­nait, il fal­lut aller dîner, puis rega­gner sa chambre. En pas­sant, elle alla embras­ser son petit frère Jean-Claude qui dor­mait pai­si­ble­ment. Jaque­mette regret­ta presque qu’il ne fût pas en cire. Quel bel Enfant Jésus elle aurait pu offrir à M. le Curé !

C’est en vain que la fillette cher­cha le som­meil. Son oreille guet­tait bruit de l’au­to. Elle vou­lait savoir, dès que sa mère serait de retour.

Enfin, le rou­le­ment tant atten­du reten­tit. Mme de Cham­breil mon­ta l’es­ca­lier, hési­ta, pous­sa la porte.

— Oh ! maman, cria Jaque­mette, mon­trez-moi le petit Jésus que vous avez trou­vé puisque je suis encore trop petite pour aller à la messe de minuit !

— Hélas ! ma pauvre ché­rie, je reviens les mains vides ! J’ai fait l’im­pos­sible pour trou­ver ce que je cher­chais, et je n’ai pu y réussir ! 

— Mais alors, maman… il n’y aura pas de petit Jésus dans la crèche ? 

— Non, Jaquemette !

La petite reste seule. Elle songe à la crèche vide dans la cha­pelle de la Sainte Vierge. Elle songe à la décep­tion des enfants du caté­chisme. Elle songe sur­tout au visage triste du vieux prêtre. 

Que n’est-il en son pou­voir d’ar­ran­ger les choses ? Mais, puisque per­sonne n’a rien trou­vé, que peut faire une petite fille de huit ans ? 

Mme de Cham­breil était triste, elle aus­si, en se ren­dant à la messe de minuit. Elle avait fait pré­ve­nir M. le Curé du résul­tat de sa démarche et son­geait avec quel déses­poir son mes­sage avait dû être accueilli. 

Enfin…. puis­qu’il n’y avait rien à faire !

Des lumières brillent au loin. Un bruit de cloches se fait entendre. Voi­ci la vieille petite église avec son toit blanc de neige. 

L’au­tel est déjà tout illu­mi­né. Les bou­gies scin­tillent entre les feuilles vertes, éclai­rant dou­ce­ment la belle nappe bro­dée ornée de dentelles. 

À droite au fond de l’é­glise, devant la cha­pelle de la Sainte Vierge, la maman de Jaque­mette aper­çoit un groupe d’en­fants de chœur et, au milieu, M. le Curé, pros­ter­né comme en extase. 

Certes, il n’a pas men­ti ! La crèche est bien jolie ! Au-des­sus de la grotte obs­cure brille une belle étoile d’or, et, au fond, dans la pénombre autour d’une couche de paille, sont grou­pés les per­son­nages tra­di­tion­nels, la Sainte Vierge, Saint Joseph, les trois Mages, les ber­gers, même le bœuf et l’âne gris au milieu des petits agneaux frisés. 

Mais, ô mer­veille des mer­veilles ! Quel miracle s’est pro­duit ? Entre la Sainte Vierge et Saint Joseph, au centre de la grotte, repose l’En­fant Jésus. Un Enfant Jésus tout blond, tout rose, avec des petits bras pote­lés, un Enfant Jésus qui vagit et qui bouge, un Enfant Jésus vivant ! 

— Jean-Claude ! bal­bu­tie Mme de Cham­breil, épou­van­tée et stupéfaite.

Car c’est son fils qui repose sur la couche de l’En­fant Jésus. C’est Jean-Claude que Jaque­mette a por­té jus­qu’i­ci dans ses bras, tout emmi­tou­flé de couvertures. 

La petite fille a dépo­sé le bébé dans la crèche et, trem­blante, s’est cachée der­rière un pilier, et lorsque M. le Curé et les enfants de chœur sont arri­vés, ils ont trou­vé un bébé qui sem­blait tom­bé du ciel. 

Jaque­mette ne fut pas gron­dée cette nuit-là, mal­gré sa folle esca­pade, et le bébé retrou­va bien vite son grand ber­ceau tout bleu. 

Mme de Cham­breil et le pauvre prêtre ont trem­blé pen­dant quelques jours, crai­gnant les suites fâcheuses qu’au­rait pu avoir pour le petit être cette pro­me­nade dans la nuit froide. 

Mais le petit Jésus de tou­jours n’a pas vou­lu que le petit Jésus d’un soir eût à souf­frir de l’a­voir repré­sen­té. Lui qui sait lire au fond des cœurs a béni Jaque­mette pour sa bon­té et pro­té­gé son petit frère. 

Fran­çois D’ORGEVAL.

La Nativité

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