La communion de la grive

Auteur : Tharaud, Jérôme et Jean | Ouvrage : Les contes de la Vierge .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Je veux vous conter un miracle, qui me fut conté à moi-même par un vieux prêtre, ami de saint Fran­çois d’Assise, auquel l’histoire est arrivée.

Un matin de Noël, alors qu’il était jeune encore et vicaire à Saint-Thomas‑d’Aquin, il se deman­da, en s’éveillant, quelle bonne action il pour­rait faire pour sanc­ti­fier cette jour­née. Et tout de suite s’offrit à ses yeux une mai­son sor­dide, que la pioche des démo­lis­seurs aurait dû depuis long­temps jeter bas, mais qui, par un défi à l’urbanisme et à l’hygiène, s’obstinait à res­ter debout au milieu des bâtisses neuves qui l’étouffaient de toutes parts.

Là vivait sous les toits, au fond d’un long cou­loir obs­cur, une vieille impo­tente, qu’il visi­tait de temps en temps pour lui por­ter la com­mu­nion. Pri­son­nière dans sa chambre, sans parents, sans amis, elle n’avait d’autre dis­trac­tion qu’un oiseau de l’espèce qu’on appelle grive musi­cienne, et qu’elle ché­ris­sait ten­dre­ment. « Que devien­drais-je, mon­sieur l’abbé, disait-elle chaque fois que le vicaire venait la voir, si je ne l’avais pas ! C’est mon petit ami, c’est mon ange gar­dien ! » La porte de la cage était tou­jours ouverte, et l’ange gar­dien vole­tait ici et là, en liberté.

Mais pour aller chez cette bonne femme, il fal­lait mon­ter quatre étages d’un infect esca­lier, où d’horribles odeurs se suc­cé­daient, sans se mêler, comme autant de bar­rages, dont le der­nier sem­blait encore plus immonde que celui qu’on venait de tra­ver­ser. Grim­per cet esca­lier quand on était à jeun (et c’était le cas du vicaire lorsqu’il allait accom­plir son office), rien que cette idée-là lui met­tait le cœur sur les lèvres. « J’ai tant de choses à faire ce matin ! » se dit-il à lui-même pour se don­ner une rai­son de remettre à plus tard la bonne ins­pi­ra­tion qui lui était venue tout à l’heure. Mais chas­sant aus­si­tôt sa mau­vaise pen­sée, dès qu’il eut dit sa messe, il quit­ta la sacris­tie, empor­tant avec lui ce qui lui était néces­saire pour com­mu­nier la parois­sienne à l’oiseau.

Au bas de l’escalier, les infectes odeurs l’attendaient, et dans l’humide et gla­ciale obs­cu­ri­té qu’éclairaient mal, même en plein jour, des papillons de gaz, elles l’accompagnèrent jusqu’au der­nier étage. La tête com­men­çait à lui tour­ner quand il frap­pa à la porte de la vieille.

Paul Cezanne - la Vieille au chapelet
La Vieille au cha­pe­let – Paul Cézanne

– Entrez, mon­sieur l’abbé ! cria-t-elle, car elle l’espérait ce jour-là, et l’avait recon­nu rien qu’à sa manière de frapper.

Après avoir échan­gé sur le temps, leur san­té et celle de l’oiseau, les pro­pos dont ils avaient l’habitude, le vicaire la confes­sa, ce qui prit plus de temps qu’on aurait pu l’imaginer, étant don­née sa vie recluse. Mais ceux qui vivent seuls finissent par avoir une adresse incroyable à se faire des scru­pules à pro­pos de tout et de rien. « Encore si cette vir­tuo­si­té, se disait à part lui l’abbé (tout en se repro­chant cette réflexion un peu fri­vole), encore si cette vir­tuo­si­té avait quelque inté­rêt ! Mais il faut bien avouer qu’il y a des péchés inté­res­sants et d’autres qui ne le sont guère, et mal­heu­reu­se­ment, les pécheurs les plus bavards sont ceux qui n’ont rien à vous dire… »

Cepen­dant, de faute en faute, de crime en crime, et de fil en aiguille, la bonne vieille étant arri­vée au bout de son rou­leau, le vicaire se mit en devoir de lui don­ner la communion.

Elle était devant lui, assise sur sa chaise, car elle ne pou­vait s’agenouiller, et déjà le vicaire lui posait l’hostie sur la langue en pro­non­çant les paroles rituelles, quand tout à coup la grive, qui jusque-là s’était tenue tran­quille dans un coin de la pièce, se jeta d’une aile rapide sur le pain consa­cré, en prit un mor­ceau dans son bec et revint se poser sur sa cage.

Les contes de la Vierge - Grive– Jésus-Marie ! cria la vieille en man­quant s’étrangler avec le reste de l’hostie. Elle a man­gé le corps de Dieu !

Et oubliant du coup sa ten­dresse pour la pauvre bestiole :

– Il faut la tuer, mon­sieur l’abbé ! Il faut la tuer !

– La tuer ! Y pen­sez-vous ! répon­dit le vicaire. Tuer cette pauvre bête du bon Dieu juste au moment où elle vient de voler vers son Créa­teur et de faire sa pre­mière communion !

Et jetant les yeux sur la cage que la concierge, qui ren­dait de menus soins à la para­ly­tique, avait sans doute oublié de gar­nir ce matin :

Nativité et oiseau - Domenico Ghirlandaio– Cette bête a faim, reprit-il. Après ce fes­tin spi­ri­tuel, don­nons-lui quelque nour­ri­ture ter­restre… Je vais et je reviens.

Il sor­tit, et repa­rut quelques ins­tants plus tard, avec du mil, du chè­ne­vis et quelques feuilles de salade.

– Et voi­là le miracle ! ajou­tait-il en finis­sant. Ni ce jour-là, ni jamais plus, je n’ai sen­ti l’odeur de l’escalier.

Lec­teur, tu demandes peut-être où est la Vierge dans ce conte. Je te réponds : Elle est par­tout où est la poésie.

Jérôme et Jean Tharaud

Nativité - Domenico Ghirlandaio - récit de Noël pour les enfants

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