Étiquette : <span>Maladie</span>

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 16 minutes

Seule vivante en nous la dou­leur, la dou­leur être jailli de nous, plus vivante que nous,
Mais image de Dieu, image de sa grâce,
Et Dieu même dans notre chair…
Dieu ron­geant notre chair,
Comme sa grâce ronge l’âme.

Le corps même a bu le Vin Nou­veau, a bu l’Esprit.

Voi­ci les pos­sé­dés de Dieu, les corps fous comme des âmes, les corps dévo­rés de joie, torches de joie, gré­sillantes résines, les corps si pleins de Dieu qu’ils éclatent !

Quand il eut écrit ces lignes, Georges Le Noir se reposa.

Et de fait, il avait besoin de se reposer.

Il devait se reposer.

Rien ne coûte tant que le tra­vail intel­lec­tuel ! O Forts, qui col­ti­nez, mar­chant à petits pas, des tonnes et des tonnes ; labou­reurs aux mains cal­leuses, qui pous­sez la char­rue et la tenez droite au sillon ; for­ge­rons, qui levez la masse énorme au-des­sus de l’en­clume, par­mi le jaillis­se­ment des étin­celles blanches, vous igno­rez l’ef­fort et sa fatigue, vous ne savez rien du vrai travail !

Jean-Honoré Fragonard - Inspiration du poèteGeorges Le Noir avait méri­té quelques minutes de repos.

Les sol­dats du vieux temps gagnaient, par une bonne heure de marche, une « pause » de cinq minutes. Les modernes poètes, après dix vers ali­gnés, s’oc­troient la ciga­rette amie, la repo­sante cigarette.

Georges Le Noir en cueillit une dans une boîte en étain repous­sé, où gisaient ses Sul­tanes ; il la flam­ba, pour ne pas dire : il l’al­lu­ma, ce qui serait trop vul­gaire, et s’en vint à sa fenêtre pour mêler à l’air frais du matin la fumée odo­rante qu’il venait d’aspirer.

Il était content de lui.

Quel calme dans ce coin per­du du cin­quième arron­dis­se­ment. La rue Mouf­fe­tard est à deux pas, mais la rue Tour­ne­fort l’i­gnore et la dédaigne, et toute l’a­gi­ta­tion popu­laire ne sau­rait trou­bler la paix des heu­reux habi­tants du quar­tier des Béné­dic­tines du Saint-Sacre­ment. De sa fenêtre, Le Noir a vue sur leur jar­din, où, en ce matin de mai, tous les lilas sont en fleurs. Des ramiers passent en vol rapide et gagnent le Luxem­bourg. Les rumeurs du Paris des affaires montent à peine jus­qu’à cette île pai­sible du Pan­théon. Une balayeuse auto­mo­bile passe, qu’on entend cris­ser sur l’as­phalte. La fraî­cheur sai­sit Georges Le Noir. Il s’emmitoufle dans son pyja­ma épais, ferme la fenêtre et revient à son bureau. Se tapo­tant les dents du bout de son sty­lo, il relit avec le sou­rire la page qu’il vient d’a­che­ver, et comme l’ins­pi­ra­tion ne l’a pas quit­té, après avoir redit trois fois le der­nier vers…

Les corps si pleins de Dieu qu’ils éclatent !

il conti­nue d’écrire.