Catégorie : <span>Duroc, Bertrand</span>

Auteur : Duroc, Bertrand | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes

« Dis donc, André, si tu as envie de faire un tour avec nous, il reste une petite place sur la ban­quette. Tu nous aide­ras à déchar­ger tout à l’heure. »

André veut aider les autres - Livraison en camion

C’est Ray­mond, le grand frère de Jacques, qui parle. André réflé­chit une minute. Rien ne le retient pour le moment. Ça va rude­ment être chic cette petite pro­me­nade, sur le lourd camion.

« Oui, pour­quoi pas ? Par où passez-vous ?

— Nous allons fran­chir le pont du Rhône, puis nous rejoin­drons, sur la route de Valence, le han­gar où nous devons déchar­ger nos poutres.

— Ça va ! En avant ! »

D’un bond, André saute sur la ban­quette, à côté du frère de son ami. Ils sont dix main­te­nant sur le lourd véhi­cule qui s’é­branle avec un bruit de ferraille.

« Inutile de par­ler ; pas moyen de s’en­tendre là-dedans. », crie le jeune homme.

D’ailleurs, André n’a pas envie de par­ler. Il lui suf­fit de regar­der, de res­pi­rer lar­ge­ment l’air char­gé d’en­thou­siasme de ce matin de prin­temps. Quand Ray­mond, du seuil de la scie­rie, l’a­vait hélé, il sor­tait de la petite église où chaque jour de ses vacances de Pâques il vient prier pour son équipe. Elle ne va pas trop bien en ce moment. On ne sait pas au juste pour­quoi d’ailleurs, mais les gars n’ont plus la même ardeur qu’a­vant. « Peut-être qu’il manque des saints par­mi nous ; des gars prêts à tout offrir pour les autres. Ça devient mou… on s’ha­bi­tue ! » Mais mal­gré tout, ça n’a rien de décou­ra­geant ces pen­sées-là. C’est au contraire exal­tant, et André se dit tout bas : « C’est quand même chic la vie, sur­tout quand on a un tra­vail pareil à faire avec Jésus.

Oui, c’est chic ; mais c’est dur aus­si. On n’est pas Cœur Vaillant « pour rire ». Et il le savait bien, le har­di gar­çon qui rou­lait sans le savoir vers son destin…

Le pont, en un large pas de pierre, enjam­bait le fleuve. Le camion s’en­ga­gea en une réson­nance infer­nale. Ce fut alors que, brus­que­ment, la catas­trophe arri­va. André ne com­prit rien. Il sen­tit sou­dain un choc for­mi­dable, puis il enten­dit des cris. Et puis, plus rien… Ce fut le vide, la nuit… Le gars n’é­tait plus qu’une petite chose, empor­tée par le cou­rant. La masse énorme du camion, en se retour­nant, l’en­traî­na dans son remous, puis il remon­ta comme un bou­chon une fois, deux fois, à la sur­face. Sur son cœur, sur son insigne, ses mains s’é­taient croisées.