
La neige tombe depuis le matin. Frileusement, la petite ville campée sur la rivière de la Somme se blottit dans la vallée, toutes ses maisons serrées les unes contre les autres, comme pour mieux se défendre du froid. Cette année de l’ère chrétienne 342 débute par un hiver particulièrement rude.
Sur le seuil d’une des maisons les plus misérables du bourg, le vieil Avellin hésite à sortir : estropié, ne pouvant plus travailler, il vit de la charité publique. Chaque jour, l’infirme va s’asseoir sur une borne à l’entrée de la ville, là où le va-et-vient des voyageurs est le plus important. Habituellement, le pauvre vieux ramasse assez de menues piécettes pour assurer sa misérable existence.
Aujourd’hui, pourtant, Avellin se pose le problème : « Rester ici, au froid, certes, puisque l’âtre est vide, mais abrité de la neige ; ou aller exposer sur la route ses vieux membres à peine couverts de haillons, mais risquer cependant de recevoir quelque monnaie lui permettant de manger, car, aussi vide que l’âtre, la huche ne recèle plus la moindre miette de pain… Allons ! il faut tenter la chance… »
Avec un gros soupir, Avellin sort complètement et tire derrière lui la porte branlante ; puis, tout clopinant, il se dirige vers sa place habituelle.
Les heures passent… Avellin n’a pas encore reçu la moindre aumône ; les rares passants qui circulent n’aperçoivent pas l’humble forme tassée contre la muraille ou s’ils la remarquent ne se soucient guère de sortir une main du manteau où ils sont chaudement blottis pour donner quelque monnaie.

Le froid gagne le vieux, la neige tombe drue, pressée, le recouvrant d’un glacial vêtement… Mieux vaut partir, inutile d’insister ; au moins, dans la cabane, il sera protégé des tristes flocons. Péniblement, l’infirme ramasse son bâton… Mais, voici qu’au loin un martèlement sourd se fait entendre ; qu’est-ce que cela ?… Intrigué, Avellin prête l’oreille et cherche à percer du regard le navrant rideau de neige… Là-bas, estompée par les papillons blancs, une masse confuse approche et se précise.
Hiératiques, campés sur leurs chevaux, les soldats passent… Ils sont beaux à voir, impassibles sous la bourrasque ; il est vrai qu’avec leurs casques brillants et le chaud manteau qui les drape complètement, ils sont à l’abri. À pas lents de leurs montures, ils passent…
Seul, précédant un détachement, un officier qui s’avance. Il est jeune, 25 ans peut-être ; son visage revêt une expression énergique et grave ; son regard vif a tôt fait de découvrir la silhouette du vieillard. Il détaille son aspect misérable et l’appel de son pauvre regard anxieux. Une vague de pitié passe dans ses yeux francs, il arrête son cheval. Voyant le geste, timidement Avellin s’approche, murmurant une prière… Hélas ! la main fouillant dans la bourse ne découvre que le vide, l’officier n’a plus d’argent ! Devant lui, l’infirme grelotte dans ses haillons troués… Alors, décidé subitement, le jeune homme dégrafe son long manteau, tire son glaive et fendant le tissu sur toute sa longueur, il en jette la moitié au mendiant étonné et ravi… Puis, au galop, l’officier rejoint son détachement.
Cet officier, nous l’appelons saint Martin.
JOSICK MICHEL.



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