XXI
Mgr Grouard
Vers la fin de la monarchie de Juillet, dans un petit bourg de la Sarthe, un brave gendarme était désolé : chaque fois qu’il mettait la main sur une bande de maraudeurs, son garçon en faisait partie. La seule école qu’aimât ce petit Grouard était l’école buissonnière. Le père, un jour, le traînant à l’église, devant l’autel de la Vierge, disait à la Madone : « Sainte Mère de Dieu, je ne sais plus que faire de cet enfant, je ne puis en venir à bout, je vous le donne. » La Madone accepta le présent, et le jeune Grouard, à l’âge de vingt ans, ratifiait l’offrande ainsi faite par son père, en franchissant l’Océan pour devenir, en Amérique, un oblat de Marie-Immaculée.
Un sien cousin, Mgr Grandin, membre de cette société religieuse, regagnait, avec le titre d’évêque, ces peuplades Dénès dont il avait, dans la région de l’Athabaska-Mackenzie, commencé la conversion. Émile Grouard s’embarquait avec lui, et son héroïque vocation ne pouvait trouver un meilleur maître. Louis Veuillot, quelques années plus tard, fera le portrait de Mgr Grandin, un portrait pittoresque et même réaliste, avec des touches presque brutales, qui donne au lecteur une secousse : il nous montrera l”« évêque pouilleux », comme il l’appelle, aux prises avec la vermine. Pour aller chercher, jusqu’au fond de leurs sordides et misérables campements, les indigènes de cet Extrême-Nord, il fallait devenir le familier de leurs parasites, au risque d’en être dévoré, et le familier de leur cuisine, en la mangeant de bonne humeur : Mgr Grandin excellait en ces deux mortifications. Tel fut l’un des modèles du jeune Grouard.
Il fit son noviciat près d’une rivière dont les eaux étaient d’un blanc jaunâtre, et qui pourtant avait reçu le nom de rivière Rouge, parce que souvent les Sauteux la rougissaient du sang des Sioux et les Sioux du sang des Sauteux.