Enfance de Benoîte
11 y a bien longtemps, dans un petit village des Hautes-Alpes nommé Saint-Etienne d’Avançon, vivait une famille d’humbles cultivateurs.
Guillaume Rencurel et sa femme Catherine habitaient une chaumière très pauvre et très petite : une chambre basse au-dessus d’une écurie voûtée, une cave, et c’était tout. Une vigne et quelques petits champs sur les pentes raides des montagnes, complétaient leur domaine. À force de travail et de peine, ces terres fournissaient la nourriture nécessaire pour eux et leurs enfants.
Ces ouvriers si pauvres des biens de ce monde, possédaient pourtant un trésor que beaucoup de malheureux ont perdu de nos jours une foi vive qui leur faisait espérer, après leur dure existence, le royaume du ciel que Jésus leur acheta de son sang.
Guillaume et Catherine élevaient déjà une petite fille quand Dieu leur en envoya une seconde qui naquit en l’année 1647, le 29 septembre, fête de l’archange saint Michel.
Très vite, on porta cette petite à l’église pour le saint baptême, et on lui donna le nom de Benoîte qui veut dire bénie. C’était un nom bien trouvé pour l’enfant que la sainte Vierge devait tant aimer.
Benoîte s’élevait facilement et se montrait douce et gentille.
Son éducation se faisait sur les genoux de sa maman et elle était simple : « Sois bien sage, ma petite, répétait Catherine, prie bien le bon Dieu ! »
Elle lui apprit le Pater, l’Ave, le Credo. C’était tout ce qu’elle savait elle-même. Avec cela l’enfant pouvait réciter le chapelet.
Benoîte n’avait que 7 ans quand son père mourut. Catherine restait veuve avec trois enfants, dans une pauvreté proche de la misère. Benoîte comprenait ses peines et essayait de les consoler tout comme si elle avait été plus grande. Voyait-elle sa maman trop triste, elle s’approchait doucement : « Ne vous désolez pas, disait-elle, Dieu et sa sainte Mère nous assisteront. »
La détresse de la famille ne permit pas d’envoyer Benoîte à l’école. Elle ne sut jamais ni lire, ni écrire. Mais elle suivait très régulièrement les catéchismes, écoutait avec grande attention ce que disait M. le Curé. Son intérêt redoublait quand on parlait de la sainte Vierge. Elle écoutait avidement ce qu’on expliquait de sa beauté céleste, de sa tendresse maternelle. Il lui semblait qu’elle aurait été si heureuse de la voir ! — « Mais, ajoutait-elle humblement, comment la Mère de Dieu se montrerait-elle à une pauvre pécheresse ? »
À 7 ans, Benoîte devait déjà se rendre utile et travailler. Elle gardait le petit troupeau de la famille parmi les hautes montagnes qui entourent son village. Tout le jour, exposée au soleil, au vent, à la pluie, elle courait après ses moutons et veillait sur eux. Au moins, le soir, avait-elle la joie de se retrouver près de sa mère et de ses sœurs. Ensemble elles se chauffaient tout en causant autour de l’âtre où cuisait la soupe, et Benoîte se dédommageait de sa longue solitude du jour.
Mais la misère se faisait de plus en plus sentir dans la chaumière de Catherine. Plusieurs années de mauvaises récoltes amenèrent la disette dans le pays. Il fallut se résigner à mettre Benoîte en service. Ce fut un gros sacrifice pour la pauvre petite qui n’avait que 12 ans. Obéissante et résignée, elle ne murmura pas contre cette dure décision. Elle ne demanda qu’une chose à sa mère : c’était de lui acheter un chapelet. Avec cet unique trésor dans sa poche, Benoîte quitta courageusement sa maison, sa chère maman, ses sœurs, pour aller garder le troupeau d’un étranger. Son premier maître était bon et appréciait les qualités de sa petite bergère. Mais elle n’était pas depuis un an à son service, qu’il mourut. Sa veuve restée avec six enfants et peu de ressources, ne pouvait qu’avec peine leur procurer le pain nécessaire. Elle aimait mieux se priver et priver ses enfants que de diminuer le morceau de Benoîte. Celle-ci recevait sans mot dire sa part de la miche, mais son cœur délicat ne pouvait voir souffrir les enfants de la maison. Dès que sa maîtresse s’éloignait, elle distribuait son pain aux petits qui l’entouraient. Puis, elle partait avec son troupeau, et si la faim devenait trop criante, elle tirait son chapelet de sa poche et le récitait pour reprendre courage.
Benoîte ne se contentait pas de se priver de pain pour les enfants de sa maîtresse, elle en donnait encore aux pauvres affamés qu’elle rencontrait dans la montagne.
Ce n’était pas seulement son pain qu’elle donnait, mais aussi sa compassion et sa prière à toutes les misères qu’elle trouvait sur son chemin et qu’elle n’avait pas d’autre moyen de soulager.
Un jour, elle apprend qu’une femme gravement malade a perdu la parole avant l’arrivée du prêtre. Désolée de ce malheur, Benoîte appelle ses compagnes : « Venez, dit-elle, allons dire le rosaire pour cette malade. » Et voilà tous les enfants récitant le chapelet avec un entrain qu’anime la ferveur de Benoîte. La prière n’est pas terminée que la malade retrouve la parole. Ses premiers mots sont pour remercier la troupe des enfants qui l’entourent. Benoîte parlait du bon Dieu, du paradis, de l’enfer, avec une foi qui touchait ceux qui l’écoutaient.
Un de ses maîtres, Jean Rolland, était un homme violent et emporté. La petite bergère lui reprocha doucement ses colères, lui rappela ses devoirs de telle façon que cet homme n’osa jamais se fâcher contre cette petite fille. Bien plus, ému par ses paroles, il finit par rentrer en lui-même et se convertir.
Benoîte, au milieu des champs, était exposée à bien des dangers. Mais elle avait le mal en horreur et veillait sans cesse sur la pureté de son âme qu’elle voulait limpide comme l’eau des sources. Elle vivait sous le regard de Dieu et sous sa protection.
Aussi, chassait-elle les moindres tentations de mal faire. Un été, un petit berger qui maraudait dans les vergers, voulut partager avec Benoîte les fruits qu’il avait cueillis. Mais elle refusa énergiquement et ne garda plus ses moutons avec ce petit garçon.
Plusieurs fois la sainte Vierge la défendit d’une façon merveilleuse contre de graves périls.
La grande force de Benoîte, c’était la prière, le recours à la sainte Vierge, surtout. Elle priait très souvent, soit dans l’église de son village, soit au pied des croix qui se dressent dans les champs.
« Benoîte aime bien à prier », disaient ses maîtres. Sa prière favorite était le chapelet. Nous allons voir comment la sainte Vierge répondit à l’amour si fidèle de sa petite bergère.
La Sainte Vierge et Benoîte
Benoîte atteint 17 ans. Au printemps de 1664, par un clair matin de mai, elle conduit gaîment ses moutons à travers la fraîche verdure des montagnes, si belles en cette saison. Les moutons se hâtent comme poussés par une invisible main. Au fond du vallon vers lequel ils courent, une roche se dresse au bord d’un torrent. Une grotte se creuse dans la roche. Benoîte a l’habitude de venir y réciter son chapelet.
À peine arrivée en face de la grotte, la bergère toute saisie aperçoit une Dame d’une beauté merveilleuse, tenant par la main un ravissant petit enfant. Une grâce céleste enveloppe cette Dame, de ses yeux sortent comme des rayons de lumière. Ses vêtements exhalent un parfum si suave que l’on croirait le vallon tout entier remplir de fleurs.
Benoîte, émerveillée, contemple la belle Dame… Pourtant il ne lui vient pas à l’idée qu’elle puisse être la sainte Vierge.
Elle essaie de lui parler, l’interroge naïvement, mais l’apparition sourit sans mot dire.