Une tournée de l’enfant Jésus

Auteur : Duval-Thibault, Anna | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 10 minutes

C’é­tait la veille de .

Fête de Noel, animation des ruesMal­gré les gros flo­cons de neige qui vol­ti­geaient dans les airs et tom­baient sur le sol, qu’ils recou­vraient d’un blanc et froid tapis tou­jours gros­sis­sant, les rues étaient pleines de pas­sants affai­rés qui allaient et venaient dans tous les sens en se croi­sant et se bousculant.

Par­mi cette foule pres­sée et bruyante, on aurait pu remar­quer un jeune enfant, mer­veilleu­se­ment beau, mais pau­vre­ment vêtu, qui errait de rue en rue, et s’ar­rê­tait, de temps en temps, pour frap­per à quelque porte, appa­rem­ment dans le but de deman­der l’aumône.

Ce n’é­tait autre que l’en­fant Jésus qui, s’en­nuyant dans sa crèche soli­taire à l’é­glise, était sor­ti pour voir de plus près quelques-uns des enfants qu’il aimait tant.

Mais, comme il veut être aimé pour lui-même et non pour ses dons, il avait jugé à pro­pos de se dégui­ser en petit men­diant afin de ne pas être reconnu.

À peine sor­ti de l’é­glise il avait été atti­ré vers une des mai­sons voi­sines par le bruit joyeux qui s’en échap­pait : c’é­tait comme un concert de voix et de rires enfantins.

– Il y en a là, des petits enfants ; allons les voir, pensa-t-il.

Il gra­vit les degrés du per­ron et son­na à la porte de cette mai­son qui était fort belle et devait appar­te­nir à des gens riches.

Une ser­vante vint lui ouvrir et fit d’a­bord la moue en voyant qu’elle s’é­tait déran­gée pour un simple petit men­diant ; mais Jésus leva vers elle un regard si doux qu’elle se sen­tit prise sou­dai­ne­ment de pitié.

– Attends un peu, lui dit-elle, avec douceur.

Et elle s’en alla trou­ver la dame de la mai­son qui était en ce moment dans un riche salon où res­plen­dis­sait un superbe arbre de Noël, autour duquel une joyeuse bande d’en­fants s’é­bat­tait avec des cris de joie.

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– Madame, dit-elle, il y a à la porte un petit men­diant à la figure bien hon­nête, qui demande l’aumône.

– Fai­sons-lui une part de bon­bons, à ce petit, s’é­crièrent les enfants d’un com­mun accord et ils se mirent en devoir de rem­plir de frian­dises un beau sac rouge et or qu’ils remirent à la ser­vante, tan­dis que la mère lui glis­sa dans la main plu­sieurs pièces blanches.

La ser­vante alla por­ter ces dons à l’en­fant Jésus qui les reçut avec un sou­pir, bien qu’il fût heu­reux de voir que la richesse n’a­vait pas endur­ci le cœur de ces enfants.

– Après tout, ce n’est pas leur faute, pen­sa-t-il, en des­cen­dant le per­ron sur les marches duquel s’a­mon­ce­laient de gros bancs de neige où s’en­fon­çaient ses petits pieds mal chaus­sés. Ils n’ont jamais connu la misère et ne savent pas com­ment la sou­la­ger véri­ta­ble­ment. J’au­rais pour­tant bien aimé les embrasser.

Dans la rue sui­vante, Jésus ren­con­tra deux petits Ita­liens, jouant, un de la harpe, l’autre du violon.

Ils gre­lot­taient de froid et leurs petits doigts engour­dis pou­vaient à peine faire réson­ner leurs ins­tru­ments ; la souf­france et la faim se lisaient sur leur visage misérable.

Jésus se hâta de leur don­ner les frian­dises et les pièces blanches qu’il avait reçues, et après avoir sen­ti le contact de sa main mignonne et ren­con­tré le regard sym­pa­thique de ses yeux radieux, les petits musi­ciens ne sen­tirent plus le froid qui leur avait sem­blé si pénible quelques ins­tants avant, et leur cœur se rem­plit de cou­rage et d’espérance.

Jésus alla frap­per ensuite chez une famille bour­geoise dont les enfants obtinrent de leur mère la per­mis­sion de faire entrer le petit pauvre pour lui faire admi­rer leur arbre de Noël.

Ces bons enfants lui don­nèrent à pro­fu­sion des gâteaux et des bon­bons, et lui témoi­gnèrent de mille manières, la pitié qu’ils res­sen­taient pour lui, le petit mal­heu­reux, qui n’a­vait jamais eu d’arbre de Noël. Pour leur faire plai­sir, Jésus fei­gnit de n’a­voir jamais rien vu de si beau que leur arbre et leurs jouets, et serait res­té plus long­temps si la mère ne lui eut dit en lui remet­tant un gros mor­ceau de gâteau et un peu de monnaie :

– Tiens, petit, va por­ter cela à tes pauvres parents.

Jésus sor­tit alors, sans oser embras­ser les bons petits enfants, comme il aurait vou­lu le faire.

Ayant frap­pé à une autre porte on le chas­sa en lui disant qu’on ne don­nait jamais rien aux petits vaga­bonds. Jésus, le cœur bien gros, se diri­gea vers le quar­tier le plus pauvre de la ville, dans l’in­ten­tion de sou­la­ger quelque misère.

S’é­tant enga­gé dans une rue étroite et obs­cure, il faillit tom­ber sur le corps d’une petite men­diante qui gisait éva­nouie sur le pavé, ayant suc­com­bé à la faim et au froid, sans doute.

– Pauvre petite, mur­mu­ra-t-il dou­ce­ment, tu as assez souffert.

Et, l’ayant bai­sée au front, il mit la main sur son cœur, qui ces­sa aus­si­tôt de battre, et l’âme de l’en­fant s’en­vo­la, toute joyeuse, vers le ciel.

Jésus reprit sa marche soli­taire. Enfin, il s’ar­rê­ta devant une mai­son pauvre d’ap­pa­rence, et gra­vit les esca­liers jus­qu’aux man­sardes. Il frap­pa à une porte, par la fente de laquelle sor­tait une faible lumière.

– Entrez, dit une voix douce de femme, et Jésus entra.

Il se trou­va dans une chambre bien mal gar­nie, mais très propre. Une femme, jeune encore, mais pâle et maigre, cou­sait avec achar­ne­ment près d’une table où brû­lait une unique chan­delle. Près du feu se tenait deux petits enfants, jolis, bien que déli­cats, qui regar­daient Jésus avec leurs grands yeux étonnés.

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– Que veux-tu, petit ? lui deman­da la mère.

– La cha­ri­té, pour l’a­mour de Jésus, répondit-il.

– Pauvre enfant ! je suis bien pauvre moi-même, dit-elle, je ne puis te don­ner grand-chose, mais viens tou­jours te chauf­fer et man­ger un mor­ceau de pain.

Jésus, ravi de cette bon­té chez une femme d’ap­pa­rence si mal­heu­reuse, entra et alla s’as­seoir près des deux enfants, avec les­quels il se mit à cau­ser fra­ter­nel­le­ment, tout en man­geant de bon cœur le pain que la bonne femme lui donna.

Quand il eut fini de man­ger ce pain, l’aî­né des enfants lui appor­ta quelques bon­bons au fond d’un sac de papier.

– Tiens, dit-il, mange cela aus­si ; c’est la bonne voi­sine qui nous les a don­nés ; nous en avons déjà man­gé, nous, cette après-midi ; n’est-ce pas que c’est bon ?

– Oui, mange-les ! n’est-ce pas que c’est bon ? répé­ta la plus jeune, qui était l’é­cho fidèle de son aîné.

Bénédiction de l'Enfant Jésus NoëlIl s’en fal­lait de beau­coup que ces bon­bons fussent aus­si recher­chés que ceux du sac rouge et or que lui avait don­né les enfants riches. Cepen­dant, Jésus, le roi du ciel, les man­gea et les trou­va délicieux.

S’é­tant remis à cau­ser avec les deux petits, il leur deman­da ce qu’ils fai­saient tous les deux près du poêle, avant son arrivée.

– Nous atten­dions l’en­fant Jésus, qui doit venir ce soir, car c’est Noël, tu sais, dirent-ils ; il est bon, l’en­fant Jésus, il aime les petits enfants, ajou­ta l’aîné.

– Oui, il aime les petits enfants, répé­ta la plus jeune, comme d’habitude.

– Moi aus­si, je vous aime, dit Jésus, déli­cieu­se­ment ému. Je suis pauvre aujourd’­hui, mais je serai riche et puis­sant un jour, et alors vous vien­drez chez moi ; et vous ver­rez comme je vous rece­vrai bien.

– Mes ché­ris, il est temps de vous cou­cher, dit la mère, qui avait écou­té en sou­riant ce dis­cours. L’en­fant Jésus ne visite que les enfants sages qui se couchent quand l’heure est venue.

– Et le petit gar­çon, maman, faut-il qu’il retourne au froid ? Oh ! laisse-le res­ter avec nous pour cette nuit, nous lui ferons une place dans notre petit lit. L’en­fant Jésus lui appor­te­ra peut-être quelque chose, à lui aus­si, s’il reste avec nous, mais dans la rue il ne sau­rait pas où le retrouver.

– C’est bon, mes enfants, le petit va res­ter, dit la mère, qui avait les larmes aux yeux.

Les enfants ayant fait leur prière, elle les cou­cha tous les trois dans le petit lit.

– Toi, tu vas cou­cher dans le milieu, dirent à l’en­fant Jésus les deux petits. Tu auras bien plus chaud.

La mère les cou­vrit soi­gneu­se­ment de leurs vieilles cou­ver­tures rapié­cées, et les petits gar­çons s’en­dor­mirent bien­tôt en entou­rant Jésus de leurs petits bras caressants.

La mère se remit à son ouvrage qu’elle se hâta de finir afin de pou­voir le por­ter au maga­sin ce soir-là et reti­rer le salaire qui lui était dû et dont elle avait grand besoin.

Quand elle eut ter­mi­né, elle en fit un paquet qu’elle se hâta de por­ter au magasin.

Elle revint au bout d’une heure avec quelques petits paquets qu’elle déve­lop­pa en sou­riant. C’é­taient quelques jouets à bon mar­ché qu’elle alla dépo­ser dans les petites bot­tines ran­gées devant la che­mi­née. Il y avait part égale pour les trois enfants.

Puis s’a­ge­nouillant, elle pria long­temps, comme savent prier les pauvres, et s’é­tant cou­chée, elle s’en­dor­mit aus­si­tôt pour rêver des rêves tout d’es­pé­rances et de bonheur.

Le len­de­main, dès l’au­rore, Jésus prit congé de la petite famille en les bénis­sant. Les enfants avaient envie de pleu­rer, mais Jésus les conso­la en leur pro­met­tant de reve­nir bien­tôt. Il empor­ta les jouets que la bonne mère lui avait ache­tés et les dépo­sa dans la bot­tine d’une petite fille dont les parents, très pauvres, n’a­vaient pas osé faire la dépense des quelques sous néces­saires à l’a­chat d’un cadeau.

Le père crut que c’é­tait la mère qui n’a­vait pu résis­ter à la ten­ta­tion de faire ce plai­sir à leur enfant, la mère crut que c’é­tait le père, et ils ne dirent rien, ni l’un ni l’autre, ne pou­vant se résoudre à blâ­mer et n’o­sant pas approuver.

L’en­fant Jésus retour­na dans sa crèche où il se blot­tit, prêt à rece­voir l’hom­mage des fidèles. Son divin cœur était satisfait.

Anna Duval-Thi­bault

Extrait de : Noël au Qué­bec : contes, récits et souvenirs.

Noël - récit pour les enfants du catéchisme

Source : http://beq.ebooksgratuits.com/pdf/index.htm

2 Commentaires

  1. Pincemaille a dit :

    Très mer­veilleux conte qui me rap­pelle un chant de Noël de mon enfance que ma mère m’a­vait appris : « Qui frappe à la chau­mière du pauvre Jean le gueux ?
    Pitié, c’est Jean-misère plus que toi malheureux… »
    C’est à peu près la même his­toire et j’aime beau­coup ce chant ancien que je joue à la messe de Noël (je suis orga­niste en paroisse).
    Je vous remer­cie beau­coup pour tout ce que vous publiez.
    Ami­tiés à tous et Meilleurs Voeux pour la Nou­velle Année.

    26 Décembre 2015
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    • Le Raconteur a dit :

      Encore un chant de Noël que je ne connais pas.
      En tout cas, c’est un beau récit québécois.

      Bonne année 2016 à vous et à tous les lecteurs.

      4 janvier 2016
      Répondre

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