Un Tarcisius breton

| Ouvrage : 90 Histoires pour les catéchistes I .

Temps de lec­ture : 9 minutes

L’Eucharistie.

La fran­çaise venait d’é­cla­ter. Par­tout les églises étaient pro­fa­nées, les prêtres dénon­cés, tra­qués comme des bêtes fauves, sou­vent fusillés sur le bord des che­mins. Les fidèles eux-mêmes voyaient leurs mai­sons enva­hies par des bandes de for­ce­nés qui mena­çaient de les égor­ger s’ils ne dénon­çaient pas les prêtres qu’ils connaissaient.

Le curé de la paroisse de Moned, en , avait aban­don­né son pres­by­tère pour échap­per aux révo­lu­tion­naires. Depuis des semaines il errait à tra­vers la cam­pagne, ne vou­lant com­pro­mettre per­sonne par sa pré­sence. Voyant sa misère, un brave pay­san déci­da de l’ac­cueillir chez lui et de mettre sa ferme à sa dis­po­si­tion. « Vous serez ici chez vous, lui dit-il. La grange vous ser­vi­ra pour dire la messe et mon fils Ben­ja­min sera votre . » L’en­fant, qui dési­rait vive­ment faire sa , fut au comble de la joie, car le prêtre pour­rait ain­si lui ensei­gner le caté­chisme et le pré­pa­rer faci­le­ment à ce grand jour. Dans sa nou­velle demeure le bon curé vécut à la manière de ceux qui l’en­tou­raient. Vêtu d’une veste de pay­san, chaus­sé de gros sabots, il accom­pa­gnait ses hôtes aux champs. Son dégui­se­ment le cachait si bien qu’il pou­vait aller dans toutes les direc­tions sans être recon­nu, sauf de ses parois­siens qu’il encou­ra­geait et conso­lait de son mieux. Ben­ja­min lui ser­vait habi­tuel­le­ment de guide, sur­tout la nuit, car il connais­sait les moindres sen­tiers. En cas de soup­çon il n’hé­si­tait pas à se faire pas­ser pour le fils du pros­crit qu’il appe­lait d’ailleurs : Père.

Prêtre réfractaire célébrant la messe en cachetteChaque dimanche, avant le lever du jour, le curé célé­brait la messe dans quelque ferme iso­lée. Les voi­sins, dis­crè­te­ment pré­ve­nus, s’y ren­daient par petits groupes afin de ne pas éveiller l’at­ten­tion. Chaque fois le cœur du petit ser­vant brû­lait d’un amour plus ardent pour Jésus et il ne se las­sait pas de lui répéter :

« Mon Dieu, je vous aime plus que tout ; per­met­tez que je fasse bien­tôt ma Pre­mière Com­mu­nion ! Je vous pro­mets de vous aimer tou­jours ! Plu­tôt mou­rir que de vous trahir ! »

Or un soir que tous dor­maient à la ferme, la porte fut secouée par des coups répé­tés. Le fer­mier entrou­vrit sa fenêtre et recon­nut la sil­houette du voyageur.

« Que veux-tu, Charles, à pareille heure ? » demanda-t-il.

« Ma mère se meurt, répon­dit l’homme. Elle vou­drait bien voir le prêtre. » M. le Curé est aus­si­tôt aver­ti, mais com­ment faire ? Il n’a pas d’ consa­crée et la malade serait heu­reuse de rece­voir le via­tique ! Il célé­bre­ra donc la messe, consa­cre­ra une hos­tie, puis se met­tra en route après.

« Qu’y a‑t-il ?» deman­da Ben­ja­min qui venait de se réveiller.

« On appelle pour une mou­rante », lui répon­dit son père.

En quelques minutes l’en­fant est prêt, dis­pose l’au­tel et sert la messe. Au moment de la com­mu­nion le célé­brant met une hos­tie dans un minus­cule qu’il cachait habi­tuel­le­ment der­rière une poutre, puis, quelques ins­tants plus tard, se met en che­min, pré­cé­dé de son petit com­pa­gnon. Le ciel est sans étoiles, ce qui favo­rise leur dan­ge­reuse entre­prise mais rend la marche par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile, car le moindre bruit peut déce­ler leur pré­sence. Si les sol­dats qui recherchent le prêtre le sur­pre­naient qu’ar­ri­ve­rait-il ? Certes, il n’a pas peur de la mort… Il lui serait même doux d’al­ler se repo­ser un peu au ciel, mais il a un petit com­pa­gnon et de plus, il porte la Sainte Hos­tie ! Sou­dain, Ben­ja­min s’ar­rête, l’o­reille aux aguets, « Écou­tez, chu­chote-t-il au prêtre ; j’en­tends du bruit de ce côté. » Ils avancent encore de quelques pas et voi­là qu’à tra­vers les arbres de la forêt ils voient dis­tinc­te­ment les étin­celles d’un feu de camp ! Ce sont les sol­dats qui veillent ! Que faire ? Aucune issue ne s’ouvre devant les voya­geurs. Ils pour­raient reve­nir sur leurs pas… mais, à quelques cen­taines de mètres de là, une chré­tienne se meurt ! Si le prêtre avance, il sera cer­tai­ne­ment recon­nu ; il sait d’ailleurs que sa tête est mise à prix. Mais que devien­dra la Sainte Hos­tie qu’il porte ? Une idée tout à coup lui jaillit à l’es­prit. « Mon petit, dit-il à Ben­ja­min, vou­drais-tu faire ta Pre­mière Com­mu­nion ? » « Oh ! oui, Père », répond aus­si­tôt l’en­fant. Le prêtre fait alors age­nouiller son jeune com­pa­gnon, entend rapi­de­ment sa confes­sion puis dépose dou­ce­ment sur ses lèvres l’hos­tie consa­crée. Le visage de l’en­fant se trans­fi­gure ; il tres­saille de joie et en oublie le dan­ger pour­tant tout proche… Mais M. le Curé le tire bien vite de son extase et, l’embrassant pater­nel­le­ment, lui donne l’ordre de retour­ner à la ferme pen­dant qu’il essaye­ra de pas­ser. « Que Dieu te garde, mon petit, lui dit-il. Au revoir, en Para­dis ! Prends le ciboire, je te le confie. »

prêtre entouré de révolutionnairesEt le prêtre, fidèle à sa mis­sion, reprit sa route en direc­tion de la mori­bonde. Bien vite il est aper­çu par les sol­dats qui le cherchent depuis des mois. Ils se ruent sur lui comme sur une proie, sachant bien que ses habits de pay­san cachent un prêtre. Ils savent aus­si qu’il tra­verse le bois pour aller por­ter les der­niers secours de la reli­gion à une mou­rante et ils se doutent qu’il a sur lui le Saint-Via­tique. On le fouille donc des pieds à la tête, on l’in­sulte, on le menace s’il ne répond pas aux ques­tions qu’on lui pose. Le cou­ra­geux n’op­pose que le silence à la rage de ses bour­reaux. « Puisque tu ne veux pas nous dire où tu a mis ton Dieu, hurlent-ils, eh bien ! monte le voir au Para­dis ! » Et d’un coup d’é­pée ils lui trans­percent la poi­trine. « Mon Dieu, mur­mure le prêtre en tom­bant, par­don­nez-leur ! Je remets mon âme entre vos mains ! » Ce furent ses der­nières paroles.

ciboire de voyageBen­ja­min, tout occu­pé à son action de grâce, ren­trait pen­dant ce temps à petits pas chez son père… Brus­que­ment sa prière est inter­rom­pue par des hur­le­ments et des blas­phèmes. Il entend le bruit des armes que l’on charge ; des baïon­nettes qui sont mises en place. Plus de doute, on l’a vu et il est cer­né ! Dans quelques ins­tants, il sera lui aus­si pri­son­nier… Mais Ben­ja­min a fait à Dieu le sacri­fice de sa vie. Il pour­rait, s’il le vou­lait, échap­per à la mort en livrant aux sol­dats le ciboire que le prêtre lui a confié, mais il a juré d’être fidèle jus­qu’à la mort, il sau­ra tenir sa pro­messe ! Gui­dé par cette cou­ra­geuse pen­sée le gar­çon sai­sit le petit ciboire puis, fai­sant quelques pas, va le cacher dans le creux d’un chêne. Il a à peine ter­mi­né son pieux geste qu’une voix reten­tit dans la nuit : « Halte là ! » hurle quel­qu’un. Une main bru­tale lui tombe alors sur l’é­paule et il aper­çoit près de lui un sol­dat. « N’est-ce pas toi, lui dit-il, qui accom­pa­gnais le curé tout à l’heure ? »

Ben­ja­min ne sait pas mentir…

« Oui, c’est moi », répond-il courageusement.

« Eh bien, je l’ai tué ton curé, et si tu ne veux pas subir le même sort, dis-moi ce qu’il a fait de l’hos­tie et du ciboire qu’il por­tait cer­tai­ne­ment sur lui ! »

L’en­fant sent que le moment est grave… A la pen­sée de la mort qui le menace il pâlit.., puis, rele­vant le front avec fier­té et met­tant la main sur sa poi­trine il dit réso­lu­ment : « L’hos­tie est dans mon cœur ; pre­nez-la si vous vou­lez ! Le ciboire, lui, est bien caché ! »

Le sans-culotte furieux de cette double réponse bran­dit son sabre et, fou de rage, en assène un ter­rible coup sur la tête de l’en­fant. Ben­ja­min, frap­pé à mort, s’é­croule, bai­gnant dans son sang. L’as­sas­sin le tourne du bout de pied pour voir s’il bouge encore puis, voyant que sa triste besogne est bien faite, s’en va rejoindre ses com­pa­gnons. Mais au bout d’un ins­tant la troupe revient près du cadavre. Elle craint la ran­cune des pay­sans s’ils découvrent leur crime. Creu­sant alors un trou au pied d’un chêne tout proche, celui-là même où était caché le ciboire, ils y ense­ve­lissent le jeune martyr.

Bien des années plus tard, le chêne ayant vieilli, une large fente s’ou­vrit près des racines, lais­sant appa­raître des osse­ments. Divers indices per­mirent de recon­naître qu’il s’a­gis­sait de ceux de Ben­ja­min. L’arbre fut abat­tu. A la stu­pé­fac­tion de tous on vit, au-des­sus du sque­lette déchar­né de l’en­fant, un minus­cule ciboire doré, debout dans une cavi­té du tronc ! Les abeilles avaient même tra­vaillé à son orne­men­ta­tion et fabri­qué tout autour un disque de cire qui le main­te­nait sus­pen­du comme un ostensoir…

On le trans­por­ta dans l’é­glise du vil­lage. Là, sa pré­sence rap­pe­la long­temps à tous le glo­rieux mar­tyre du prêtre et de son héroïque enfant de chœur.

coloriage saint Tarcisius

2 Commentaires

  1. Bernard Tissier a dit :

    Bon­jour, l’his­toire est jolie mais pas datée et la paroisse de Moned ne figure pas sur l’an­nuaire bre­ton d’é­poque, avez vous des références ???
    Mer­ci Bernard

    6 janvier 2014
    Répondre
    • Le Raconteur a dit :

      Et oui, moi aus­si j’ai fait la recherche de la paroisse en vain.
      Ce récit pro­vient du livre 90 his­toires pour les caté­chistes. Au vu de l’en­semble des his­toires de l’ou­vrage, je pense que ce récit doit être roman­cé ce qui explique l’ab­sence de référence.
      Mais il serait inté­res­sant de retrou­ver la ou les his­toires réelles qui en sont à l’origine.

      7 janvier 2014
      Répondre

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