XI
Le martyr du père Spinola
Charles Spinola avait vingt ans ; l’éclat de la famille génoise dont il était le fils lui promettait toutes les dignités, toutes les gloires. Un jour tombait entre ses mains le récit du martyre du Père Aquaviva à l’île de Salsette, et désormais il ne voulut plus d’autre gloire que celle d’apôtre dans la Société de Jésus. Apôtre, il le serait, même si son père ne voulait pas ; il le serait, même si son oncle le cardinal paraissait tiède pour ce projet ; oui, il le serait, même si le Père général des Jésuites ne voulait pas de lui ; il le serait, dût-il porter sa requête aux pieds du Pape. Dix ans durant, comme novice, puis comme jeune Père, il disait à ses supérieurs : « Je veux être missionnaire. » On l’envoyait, non pas au Japon, mais dans la maison que les Jésuites avaient à Crémone : il y allait, docile… Mais l’année d’après, ses souhaits étaient comblés : c’est au Japon qu’on l’expédiait. Il avait hâte de s’éloigner, de ne plus entendre les siens mettre devant ses yeux les belles charges d’Église, les belles couleurs violettes ou rouges, auxquelles un Spinola pouvait prétendre. Il se sentit très content du capitaine du vaisseau, lorsque celui-ci, oubliant les promesses faites à la famille Spinola de bien traiter un tel passager, le logea très peu confortablement et en grossière compagnie : « Je serai encore plus mal chez les païens, » pensait-il. Et pour se mettre à l’école des héros qui avaient su mourir pour Dieu, il composait les litanies des martyrs jésuites, des huit qui en 1570 avaient versé leur sang en Floride, et des quarante qui, la même année, voguant vers le Brésil, avaient été attaqués et noyés par des corsaires huguenots. Il sembla que l’Océan voulût faire barrière entre Spinola et le Japon tant désiré. Mais rien ne le décourageait : ouragans, manque de vivres, épidémie de peste, atteintes de la fièvre, longues haltes dans certains ports du Brésil ou des Antilles pour réparer le vaisseau. Que pesaient tous ces ennuis, dès lors qu’on s’acheminait vers le Japon ? Mais, hélas ! Spinola et toute l’embarcation tombaient entre les mains d’un corsaire anglais. Adieu les quatre cents beaux lingots d’or que Spinola emportait avec lui, cadeau du Très Saint-Père pour la mission japonaise ! Le corsaire les confisquait. Et Spinola crut un instant qu’il faudrait dire : « Adieu, la mission japonaise ! » car lui-même était traité en prisonnier et débarqué en Angleterre. On lui permettait pourtant de gagner Lisbonne ; de là, naguère, il était parti pour le Japon ; il revenait, ayant inutilement erré sur les mers… Tout était à refaire : sa famille, le sachant revenu, luttait de nouveau pour le conserver en Europe. Dieu ne veut pas de lui au Japon ! prétendait-elle. Les nouvelles luttes qu’il eut à livrer se dénouèrent par de nouvelles victoires : en mars 1599, il reprenait la mer ; cette fois, la traversée fut propice : le vaisseau fila droit vers Macao, où Spinola, deux ans durant, apprit la langue japonaise et ce qu’étaient les Japonais. Cet apprentissage achevé, il débarquait, en 1602, dans la région de Nagasaki.