Le voilà ! Le voilà ! courons vite… »
Saisissant la main de sa petite sœur, Jacques l’entraîne à toute vitesse sur le sentier rocailleux. Il y a de la joie partout aujourd’hui : dans l’air pur et le ciel bleu, dans le soleil qui brille radieux, et sur le visage de tous ces gens qui courent, chargés de branches vertes, dans la direction d’un point mystérieux où la foule s’amasse peu à peu.
« Hosanna ! Hosanna .…»
Des cris arrivent jusqu’aux oreilles de Jacques et de Myriam qui, tout essoufflés, cherchent à se faufiler parmi les groupes. Comme ils sont petits, ils arrivent sans trop de peine à se frayer un passage à travers la foule qui s’agite de plus en plus, brandissant ses palmes et redoublant ses cris :
« Hosanna ! Hosanna ! Gloire au fils de David !… »
Les enfants sont arrivés au premier rang, au bord même du sentier où ils demeurent soudain immobiles, le cœur battant d’émotion. A quelques pas d’eux, les hommes s’avancent, essayant tant bien que mal d’écarter la foule. Au milieu d’eux, assis sur un ânon : le Prophète… le fameux prophète qui, depuis tant de mois, parcourt le pays en faisant le bien, et que plusieurs prétendent être le Messie tant attendu de tous… Comme Il a l’air bon ! Son visage est lumineux comme le soleil, son regard plus doux que le miel.
De tous leurs yeux, Jacques et sa sœur regardent. Myriam est si émue qu’elle ne peut plus parler. Elle a joint ses petites mains et fixe éperdument Celui qui vient, tandis que Jacques, débordant d’enthousiasme, agite ses palmes et crie tant qu’il peut de vibrantes acclamations.
Quelques minutes encore, et le Seigneur sera tout près d’eux. Il arrive… Le voilà… Tout d’un coup, Jacques et Myriam, éperdus, tombent à genoux sur le chemin… En passant près d’eux, le Prophète les a longuement regardés, puis Il leur a souri, et son sourire, pénétrant jusqu’au fond de leur cœur, y a mis une lumière si claire, si chaude, qu’elle est en eux comme un vivant soleil.
C’est Jacques qui s’est ressaisi le premier. Il s’est relevé d’un bond et s’est précipité sur les pas du Seigneur pour mêler ses cris à ceux du bruyant cortège qui, sans fin, continue à L’acclamer.
* * *
Le soleil avait depuis longtemps disparu à l’horizon lorsque Jacques, tout couvert de poussière, est revenu à la maison. Hors de lui, le garçon n’en finit pas de raconter sa journée ; et demain, oui, demain sûrement, et les autres. jours, il recommencera à suivre le Prophète, à L’acclamer, et, qui sait, peut-être même arrivera-t-il à se faire connaître de Lui ?
Mais le lendemain, c’est en vain que Jacques a parcouru en tous sens les ruelles de la ville. Indifférentes, elles avaient repris leur animation habituelle sans qu’il soit possible d’y retrouver trace du Maître au regard si doux.
Très déçu, le jeune garçon a senti peu à peu se refroidir son enthousiasme. Un pli de contrariété a barré son front, et il s’est trouvé soudain de si mauvaise humeur que Myriam, apeurée, s’en est allée jouer, solitaire, au fond du jardin.
* * *
Ce matin, les deux enfants descendent ensemble vers la ville. Leur maman leur a donné plusieurs courses à faire, dont ils se remémorent attentivement les détails afin de ne pas en oublier une seule.
Tout à coup, Myriam tressaille. Il lui semble là-bas… Mais oui, c’est bien cela : une sorte de rumeur monte de la ruelle sombre, à droite du sentier. On dirait des pas et des cris sourds : si c’était le Prophète ? Courons vite…
En quelques enjambées, les enfants arrivent sur un petit tertre d’où l’on voit bien ce qui se passe. Un nuage de poussière indique là-bas quelque chose d’insolite. Peu à peu, les bruits se précisent, des silhouettes se dessinent : tout un cortège s’avance… Mais comme il est différent de celui de l’autre jour !
Jacques et Myriam regardent, regardent de tous leurs yeux… Il y a des gens qui crient, des soldats romains dont les armes étincellent au soleil et, au milieu d’eux, un homme… un homme qui marche lentement, courbé sous le poids d’une énorme croix…
Myriam est bouleversée
« Oh ! le pauvre, le pauvre homme ! C’est un condamné à mort, sûrement… Vois comme il est fatigué, il n’en peut déjà plus. »
Soudain, Jacques, dont le regard perçant fixe obstinément le condamné, Jacques pousse un cri :
« Le Prophète… C’est le Prophète… »
Myriam tressaille :
« Que dis-tu ? Mais non, voyons, ce n’est pas possible…»
Mais Jacques est sûr de lui :
« Je te dis que si, regarde… »
Le triste cortège est tout proche maintenant, et Myriam est bien obligée de se rendre à l’évidence : c’est le Prophète qui est là, courbé sous sa croix ; le Seigneur si bon que tous acclamaient, il y a si peu de temps encore… Mais comme a changé ! Son visage est tout couvert de sang, ses pieds se traînent sur le chemin… Les poings serrés, les joues pâlis, Jacques regarde… Il lui semble qu’en lui quelque chose, tout à coup, vient de se briser… Ses rêves, ses espoirs, son enthousiasme, tout s’écroule si brusquement, si tragiquement, qu’incapable d’en supporter davantage le jeune garçon, avec un cri rauque, s’enfuit à travers champs, en courant comme un fou.
* * *
Myriam n’a pas suivi son frère dans sa fuite. Les yeux remplis de larmes, elle a laissé passer le groupe douloureux, puis doucement elle s’est jointe aux femmes qui, sans un mot, suivent le condamné en pleurant.
Longtemps, longtemps, la petite fille a marché sur le chemin rocailleux où les pieds nus du Seigneur laissent, par endroits, de larges tâches sanglantes. Le cœur rempli d’angoisse, elle s’est arrêtée au Sommet du Golgotha. Elle a vu se dérouler devant elle le tragique spectacle de la crucifixion, et maintenant, sous le ciel qui vient soudain de s’obscurcir, elle contemple, cloué sur sa croix, Celui à qui, pour toujours, elle a donné son cœur.
Mais l’heure passe… Là-bas, à la maison, la maman de Myriam doit s’inquiéter. Il faut partir. Furtivement, la petite fille s’approche de la croix. Elle voudrait, avant de s’en aller, y déposer un baiser… Une femme est là, tout près d’elle. Une femme qui est demeurée debout tout le temps, et que Jésus, tout à l’heure, a appelé Maman…
Timidement, Myriam s’approche… Elle touche la croix, et comme, très vite, elle se retire, ses yeux tout à coup rencontrent ceux de Marie… Les mains jointes, la fillette demeure un instant immobile et, lorsqu’elle s’en va, sur le sentier plein d’ombre, une lumière très douce se lève dans son cœur endolori : dans les yeux de la Vierge elle a lu tant d’amour et tant de confiance que son chagrin s’éclaire peu à peu d’une lueur d’espoir qui va grandissant de minute en minute.
* * *
« Il reviendra, Jacques, je te dis qu’Il reviendra… »
Mais Jacques secoue la tête :
« Comment veux-tu qu’Il revienne puisqu’Il est mort et que la pierre a scellé le lieu de son repos… Non, va, c’est fini.., bien fini… C’était trop beau aussi… »
Et le garçon, obstiné dans son chagrin, s’en va d’un pas découragé sans plus rien vouloir entendre.
* * *
Cependant, le matin s’est levé. En allant à la ville, Myriam a rencontré sur le sentier plein de soleil des femmes qui, folles de joie, s’en revenaient du tombeau. De leur bouche, elle a appris la stupéfiante nouvelle. Courant de toutes ses forces, elle est allée chercher Jacques. Et lorsque, convaincu enfin par le témoignage des femmes, celui-ci s’est donné pour toujours au Christ ressuscité, Myriam a senti se lever dans son cœur une joie que jamais encore elle n’avait connue : cette vraie joie de Pâques que l’on trouve toujours lorsque, demeuré fidèle dans l’épreuve, on essaie de tout son cœur de ramener ses frères à Jésus.
Jean Bernard.
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