Salsa

Auteur : Reggie, Marie | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 8 minutes

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À l’ombre des monts Atlas, juste à l’en­droit où ils se ren­contrent avec les flots bleus, Sal­sa naquit. Certes, l’é­vé­ne­ment pas­sa bien inaper­çu dans la grande ville ; la tri­bu ber­bère elle-même n’y prê­ta pas grande atten­tion ; seule la maman, pen­chée sur le petit être qui venait d’ou­vrir ses yeux sur le monde, cher­chait à per­cer le mys­tère de cette vie com­men­çante : que devien­drait Sal­sa ? que ferait-elle ?

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Ruine de la basilique Sainte Salsa à Tipiasa

Nous sommes aux pre­miers siècles du chris­tia­nisme. Après de nom­breuses per­sé­cu­tions, une ère de paix règne enfin ; les apôtres du Christ par­courent le pays en tous sens, prê­chant et ensei­gnant à tous la dou­ceur de la loi de cha­ri­té. Peu à peu, les temples ont été délais­sés, les faux dieux aban­don­nés, et main­te­nant tout cela s’a­mon­celle en un immense tas de ruines ; le culte de l’Em­pe­reur lui-même a été aban­don­né. À de rares excep­tions près, la popu­la­tion ne vou­lait rendre hom­mage qu’au seul vrai Roi du monde le Christ Jésus.

Mais si les yeux se por­taient sur les monts qui entou­raient la cité, ils pou­vaient encore y voir un temple éle­vé à la gloire d’un dra­gon d’or qui comp­tait, au sein des tri­bus ber­bères de la ville, de nom­breux ser­vi­teurs, par­mi les­quels se pla­çaient les parents de la petite Salsa.

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Sainte Salsa, jeune berbère de l'empire romain

Les années ont pas­sé. Sal­sa, la jolie païenne, va avoir qua­torze ans. Petite, menue et vive comme une gazelle, la jeune Ber­bère, depuis quelques jours, inter­rompt ses courses sur la plage pour écou­ter, assise sur le sable chaud, un homme mys­té­rieux venu de l’Est. L’au­di­toire est nom­breux et aug­mente chaque jour. Sal­sa, depuis des jours et des jours, suit fidè­le­ment les ensei­gne­ments de cet homme qui parle de choses si belles avec tant de flamme. Et la petite fille vou­lut connaître davan­tage Celui au nom duquel l’homme disait être venu.

Ce que décou­vrit alors Sal­sa lui sem­bla si mer­veilleux qu’un beau matin tout bai­gné de soleil, la petite Ber­bère renon­ça pour tou­jours à l’ gri­ma­çante du temple de la montagne.

* * *

Ce soir-là, la lune, telle une immense lan­terne japo­naise, illu­mi­nait toute la col­line. C’é­tait jour de liesse et l’on pré­pa­rait de grandes réjouis­sances : cette nuit toutes les tri­bus païennes se ren­draient au temple pour y ado­rer l’i­dole à tête d’or.

Sal­sa savait bien qu’elle ne pour­rait se déro­ber à cette céré­mo­nie. Ses parents, après bien des hési­ta­tions, l’a­vaient lais­sée se conver­tir au chris­tia­nisme ; mais ils ne tolé­raient pas qu’elle res­tât seule au vil­lage en ce jour de fête, et force fut donc à Sal­sa de mon­ter sur la colline.

Elle vit sacri­fier les ani­maux et mon­ter dans le ciel la fumée épaisse des viandes brû­lées ; elle res­pi­ra l’âcre odeur du sang qui décou­lait en rigoles des autels ; elle vit se dérou­ler les danses qui agi­taient la foule au son d’un tam-tam assour­dis­sant et assis­ta, le cœur rem­pli d’une tris­tesse pro­fonde, aux beu­ve­ries qui plon­gèrent les hommes ivres dans un pro­fond sommeil.

* * *

La lune était déjà haute dans le ciel ; on n’en­ten­dait plus que le choc sourd des vagues contre les rochers et, sous les rayons bla­fards de l’astre de la nuit, l’i­dole gri­ma­çait sur la foule endor­mie ; dans le cyprès voi­sin, une chouette pous­sa un hulu­le­ment lugubre.

Sal­sa, écœu­rée par le spec­tacle auquel elle vient d’as­sis­ter, ayant encore devant les yeux les scènes hor­ribles qui se sont dérou­lées, se lève dou­ce­ment, exa­mine les dor­meurs et, du fond de son cœur, la petite chré­tienne adresse à Dieu une fer­vente prière. Quelle réso­lu­tion vient-elle donc de prendre ?

dragon du temple - Tipaza- Sainte Salsa

Avec pré­cau­tion, Sal­sa s’ap­proche de l’i­dole ; la voi­ci tout près de la tête jaune. Com­ment ose-t-elle s’ap­pro­cher ain­si ? Tou­cher l’i­dole, n’est-ce pas pro­fa­na­tion de la part d’une femme ? Si on la voyait ? Sal­sa ne pense pas au dan­ger qui la menace ; dres­sée sur la pointe des pieds, elle atteint la tête du dra­gon. Oh ! comme elle est pesante ! Qu’im­porte ! Enjam­bant les corps allon­gés à même le sol, la petite fille, tenant son far­deau dans ses deux bras repliés, s’en va dou­ce­ment, tout dou­ce­ment jus­qu’à la falaise et là, dépose l’hor­rible masque.

Per­sonne n’a bou­gé ; le calme est tou­jours aus­si pro­fond. Sal­sa revient vers le temple, et là, ras­sem­blant toutes ses forces, elle s’empare de la sta­tue d’airain.

Pour la seconde fois, elle enjambe les dor­meurs et quelques secondes plus tard le dra­gon gît au bord de l’a­bîme aux flots grondants.

* * *

Un bruit épou­van­table réveille les gar­diens du temple tan­dis que sous la pous­sée de Sal­sa le dra­gon va se bri­ser pour jamais sur les rochers avant d’être englou­ti dans les flots.

Une foule gron­dante, hur­lante, entoure main­te­nant la petite fille. Vaillam­ment, forte d’une force incon­nue, elle fait face à ceux qui la couvrent d’in­jures et de crachats.

« Oui, j’ai jeté votre dra­gon à la mer : ce n’est qu’une hor­rible idole ; une race libre n’a­dore pas de tels dieux ; un seul mérite d’être ado­ré, c’est le Dieu des Chré­tiens ; Lui seul doit régner ! Pour­quoi ne vou­lez-vous pas connaître sa Loi, cette Loi que le Christ est venu appor­ter au monde, il y a trois cents ans à peine ? »

Un ins­tant les hommes se sont tus devant tant d’au­dace, puis la vio­lence a fait place à l’é­ton­ne­ment. Sal­sa est sai­sie bru­ta­le­ment, lapi­dée, traî­née jus­qu’au bord de l’a­bîme où elle vient de pré­ci­pi­ter le dra­gon. Alors, dans un accès de colère et de sau­va­ge­rie, la foule réclame la mort pour celle qui a osé un pareil geste.

* * *

Un corps qui tour­noie dans le vide… un bruit étrange à peine per­cep­tible dans le gron­de­ment de la mer… et Sal­sa dis­pa­raît dans l’a­bîme alors que la foule, encore fré­mis­sante d’in­di­gna­tion et augu­rant les pires désastres puis­qu’elle n’a­vait plus son dieu, redes­cen­dait la mon­tagne au temple désor­mais inutile.

Sainte Salsa précipitée dans la mer

Des jours et des jours Sal­sa fut ber­cée par les vagues, sa longue che­ve­lure brune dénouée sem­blant la pro­té­ger contre les chocs des roches.

Et puis, un matin, la tem­pête se leva ; un navire, au large, était en per­di­tion ; le capi­taine avait eu un songe étrange : il fal­lait, lui avait-il été révé­lé, repê­cher le corps d’une jeune fille. Quel rêve ! Le capi­taine ne pou­vait y croire com­ment pour­rait-il recueillir un corps alors que tout l’é­qui­page sem­blait per­du ? Cepen­dant la tem­pête redou­blait de fureur et là, tout contre le navire qui don­nait dan­ge­reu­se­ment de la bande, le corps d’une fillette était tour­men­té par les vagues.

Alors le capi­taine, au risque de sa vie, plon­gea au creux des vagues et réus­sit à rame­ner Sal­sa, la tenant par la cein­ture de sa tunique. Alors, oh ! miracle, les flots se cal­mèrent, le ciel se balaya et le navire, char­gé de son pré­cieux far­deau, rega­gna le port en toute hâte.

Le miracle fit grand bruit dans toute la ville. Le corps de Sal­sa fut inhu­mé par de pieux chré­tiens, et bien­tôt, de toute la côte d’A­frique, on vint au tom­beau de la petite fille où s’ac­com­plis­saient d’autres nom­breux miracles.

* * *

Sainte Salsa veillant sur le Port de Tipaza

Sal­sa est deve­nue patronne offi­cielle de la ville de Tifas qui la vit naître et aujourd’­hui, de tous les points du pays, les chré­tiens accourent en pèle­ri­nage à la cha­pelle éle­vée à la gloire de la petite Ber­bère qui vou­lait que, sur toute la terre d’A­frique, s’é­tende le règne du Christ.

Marie Reg­gie.

  1. [1] Pre­mier com­man­de­ment : Un seul Dieu tu aime­ras et ado­re­ras par­fai­te­ment.

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