∼∼ III ∼∼
Antioche. — Quelle chaleur ! On décide en famille de ne pas descendre et de rester à l’ombre sur le pont. Jean a bien envie d’insister et se penche sur le bastingage pour cacher sa déception.
Pas de vagues, une mer calme aux couleurs intenses. Jean essaye de s’absorber dans sa contemplation ; mais il a quatorze ans, et les pieds lui démangent sur ce navire.
Un œil perspicace l’observe sans qu’il s’en doute ; l’aumônier, dont les scouts se rassemblent pour descendre, se dirige vers son père. Un bref échange de quelques mots ; Jean s’entend appeler.
— Veux-tu courir Antioche avec Monsieur l’Aumônier et sa troupe ? Tu es invité, mon petit.
Un bond, un chaleureux merci, et Jean est dans la barque au milieu des Routiers, qui chantent en cadence au bruit des avirons.
Il y a plus de souvenirs à Antioche que d’intérêt présent.
Quand les scouts ont parcouru le quartier de la rue Singon, qu’on dit être celui de la primitive Église, quand quelques-uns d’entre eux, dévalant les pentes du Mont Silpius, ont caressé le rocher sculpté en tête de géant, connu sous le nom de Charonum, toute la troupe réclame un rapide « camping » pour mettre à contribution la science de l’aumônier.
— Installez-vous, Père, reposez-vous. Ce pèlerinage vous a éreinté et nous allons ramener en France un squelette.
— Bah ! croyez-vous En attendant, je voudrais tant vous aider à suivre au moins les grandes lignes des premières conquêtes de l’Église, en ce pays que les apôtres ont parcouru en tous sens !
En parlant hier de Damas, nous avons naturellement évoqué la figure admirable de saint Paul. C’est ici, à Antioche, qu’il baptisa les premiers païens convertis ; mais nous aurions dû d’abord parler de saint Pierre. Il passa un temps considérable dans cette vieille cité dont il fonda l’Église, après celle de Jérusalem.
Jean hasarde timidement :
— C’est l’Église de Rome que saint Pierre a fondée, Père. Pourquoi dites-vous celle de Jérusalem ?
— Lorsque les apôtres ont commencé à prêcher l’Évangile, on appelait « églises » les groupes de fidèles nouvellement convertis, et on leur donnait le nom de la localité qu’ils habitaient : Église de Jérusalem, d’Éphèse, d’Antioche, etc. Mais tous ces groupes ne faisaient qu’un, tous avaient même Foi, même doctrine, mêmes sacrements, et bientôt saint Pierre va leur donner comme centre et pour toujours la ville de Rome.
Avant, résumons un peu : Tandis que Saul, après le martyre de saint Étienne, était arrêté sur le chemin de Damas et devenait un missionnaire incomparable, saint Pierre, à Jérusalem, groupait autour de lui les premiers chrétiens. Tous savaient qu’il était le chef, celui à qui Jésus avait dit : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle.
Donc, les premiers chrétiens se serraient autour de lui, mais ces premiers convertis étaient des juifs et non des païens. Or un jour, saint Pierre eut une vision : « Il vit le ciel ouvert et quelque chose en descendre, comme une grande nappe attachée par les quatre coins et s’abaissant vers la terre ; là se trouvaient tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et les oiseaux du ciel. En même temps, une voix lui dit : « Lève-toi, Pierre, tue et mange. »
Vous savez tous, bien entendu, que certaines viandes étaient défendues aux Juifs, et saint Pierre ne pouvait s’expliquer ce que signifiait cette vision. Tandis, qu’il réfléchissait, il entendit la voix de Dieu lui dire : « Voici trois hommes qui te cherchent. Lève-toi, pars avec eux, c’est moi qui les ai envoyés. » Ces hommes venaient, en effet, de la part d’un centurion nommé Corneille. Saint Luc nous le dépeint comme un soldat plein de droiture, naturellement bon, religieux, charitable, mais qui n’avait pas embrassé la religion juive.
A cet homme droit, Dieu envoya un ange, pour lui ordonner…
L’un des jeunes scouts ne peut s’empêcher d’interrompre :
— Pourquoi font-ils grève maintenant les Anges ? Personne n’en entend plus parler.
— Au moment où s’établissait l’Église, Dieu voulait soutenir et éclairer les fidèles par des moyens exceptionnels ; les miracles servaient de preuves aux vérités enseignées par les Apôtres. Aujourd’hui, pour nous, ces faveurs ne sont plus aussi nécessaires. Notre foi se fonde sur des vérités révélées, certaines, qu’il nous est bien facile de croire, en pleine lumière, après vingt siècles de christianisme. Et d’ailleurs, les miracles ne sont pas si rares. Vous oubliez ceux de Lourdes… et combien d’autres.
Donc, revenons à Corneille.
L’Ange lui dit : « Tes prières et tes aumônes sont montées devant Dieu » (c’est-à-dire, lui ont été agréables). Envoie des hommes à la recherche de Simon surnommé Pierre.
« Et c’est ainsi que saint Pierre vint à Césarée, et baptisa Corneille avec toute sa famille et le Saint-Esprit descendit sur eux. »
Saint Pierre comprit alors ce que signifiaient ces bêtes de toutes sortes, réunies dans la nappe et qu’il devait tuer et manger.
Dieu lui expliquait par là que l’ancienne loi des Juifs, qui comptait beaucoup de prescriptions ou règlements extérieurs, devait être remplacée désormais par la loi d’amour, enseignée par Notre-Seigneur lui-même. L’Évangile, « la bonne nouvelle, » s’adressait à toutes les âmes de bonne volonté. Désormais, saint Pierre, saint Paul et les autres apôtres n’obligeront plus les païens convertis à se soumettre à ces règlements de la loi juive, mais bien à embrasser la vie chrétienne, telle que nous la pratiquons aujourd’hui. Cette vie chrétienne, les apôtres vont la prêcher au prix de leur liberté et de leur vie.
Déjà Hérode a fait tuer saint Jacques, et voilà bientôt saint Pierre emprisonné. Henri, lisez-nous donc encore le récit de sa délivrance.
Des mains de l’aumônier, le petit livre des Actes des Apôtres passe dans celles du jeune routier, et, de nouveau, on entend sa voix claire au milieu du groupe silencieux.
« Or, la nuit même du jour où Hérode devait le faire comparaître, Pierre lié de deux chaînes dormait entre deux soldats et des sentinelles, devant la porte, gardaient la prison.
« Tout à coup, un ange du Seigneur survint, et une lumière resplendit dans la prison. L’Ange frappant Pierre au côté le réveilla en disant : « Lève-toi promptement, » et les chaînes tombaient de ses mains.
« L’Ange lui dit : « Mets ta ceinture et tes sandales. » Il le fit et l’ange ajouta : « Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi. »
« Pierre sortit et le suivit, ne sachant pas que ce qui se faisait par l’Ange fût réel ; il croyait avoir une vision.
« Lorsqu’ils eurent passé la première garde, puis la seconde, ils arrivèrent à la porte de fer qui donne sur la ville : elle s’ouvrit d’elle-même devant eux ; étant sortis, ils s’engagèrent dans une rue, et aussitôt l’ange le quitta.
« Revenu à lui-même, Pierre se dit : Je vois maintenant que le Seigneur a réellement envoyé son ange et qu’il m’a délivré de la main d’Hérode, et de l’attente de tout le peuple Juif. »
Quelqu’un dit : C’est merveilleux.
— Oui, moins la rage d’Hérode ! Ceux qui l’ont sentie passer ont dû s’en souvenir !
— Seulement, reprend l’aumônier, quelle punition ! Vous la savez ?
— Vaguement.
— C’est encore saint Luc qui nous l’apprend : « Un Ange du Seigneur le frappa parce qu’il n’avait pas donné gloire à Dieu, et il expira rongé de vers. »
Jean, qui n’a cessé d’écouter silencieusement, dit :
— C’est une terrible mort. Mais ensuite, Père, les Apôtres, que sont-ils devenus ?
— Vers l’an 51, ils se retrouvent à Jérusalem. Cette réunion s’appellera dans l’histoire « l’Assemblée de Jérusalem ».
Ils réglèrent ensemble un certain nombre de détails qu’il serait trop long d’énumérer, et puis c’est l’adieu à la ville Sainte. Les Apôtres savent de quels châtiments elle est menacée ; ils savent aussi que ce n’est pas Jérusalem qui restera le centre de l’Église. Alors, ils vont réaliser la parole divine : « Allez, enseignez toutes les nations… » et se partager le monde. Ils sont pauvres et sans crédit ; pourtant, dirigés par le Saint-Esprit, ils vont droit aux cités les plus puissantes et les plus cultivées. Ils y entrent avec des armes bien pacifiques qui s’appellent la vérité, la charité, et l’humilité. Saint Pierre et saint Paul ont Rome pour partage…
Un scout interrompt : — Oui, Père, mais les autres apôtres ? Comment sont-ils morts ? Où ont-ils prêché ?
— Nous n’avons plus le temps, hélas ! d’entrer dans le détail. Saint Jean survécut à son martyre et à son exil et mourut très âgé. Saint Jacques fut martyrisé tandis qu’il était évêque de Jérusalem.
Saint André, frère de saint Pierre, tendit les bras à la croix sur laquelle il fut crucifié, dans sa joie de mourir comme Jésus.
Saint Jacques le majeur, frère de saint Jean, fut martyrisé sous Hérode et saint Philippe eut le même sort, quand il évangélisait la Phrygie.
Saint Barthélemy évangélisa les Indes, l’Arabie, et subit le martyre en Arménie. Saint Thomas mourut aux Indes, après avoir prêché en Perse et en Éthiopie. Saint Matthieu fut, croit-on, martyrisé en Perse, saint Jude, dans la ville de Bérythe.
Saint Simon fut crucifié et saint Mathias mis à mort, probablement en Colchide.
— Tout de même, conclut un scout, il faut être bien sûr de son affaire pour se faire tuer comme ça, en racontant la même chose, dans tous les pays du monde.
— Oui, les apôtres tenaient la vérité de Jésus lui-même, Fils de Dieu. Ils ne pouvaient donc pas se tromper et la mort ne leur faisait pas peur. Le Ciel avec Jésus était au bout. Ils ont été les premiers à donner leur vie pour leur Foi. Combien d’autres l’ont fait depuis !
Jean dit, se parlant à lui-même :
— Dommage de ne pas pouvoir en faire autant !
Mais personne ne l’entend, car l’aumônier vient de crier
— Debout et en marche ! Entendez-vous la sirène du bateau ?
Un seul mot, Messieurs,
MERCI !!!
Et moi, je vous remercie pour vos encouragements.
Ces livres, je les aime bien ; et je suis heureux de voir que d’aimables lecteurs (-trices) partagent ce même goût.
Le raconteur