IV. LE CHRIST EST VENU POUR TOUS
Être le témoin du Christ est chose difficile et dangereuse. Saül allait en faire bientôt l’expérience. Quand il revint à Damas, il y trouva la situation très mauvaise pour les fidèles. Les juifs avaient obtenu des autorités arabes, de qui dépendait la ville, qu’elles missent fin à leur propagande. Et quand le gouverneur apprit que Saül recommençait à parler du Christ dans les rues, il décida de le faire arrêter. Mais Saül l’apprit et il s’enfuit.
Son évasion de Damas fut extrêmement pittoresque. La grande ville était tout entière ceinturée de hauts murs, percés de portes fortifiées, gardées avec soin. Comment déjouer cette surveillance ? Heureusement, parmi les amis de Saül, il y en avait un dont la maison, construite sur le rempart, avait un balcon au-dessus du vide. On fit asseoir Saül, qui était de petite taille, dans un de ces larges paniers dont on se servait au marché pour apporter les poissons ou les légumes. Le panier fut attaché à une corde et glissa le long de la muraille avec son précieux paquet ! Saül trouvait cela peu glorieux, mais il était libre.
Après cette fuite mouvementée, l’évadé se demanda où il irait. Il pensa à Jérusalem ; c’était évidemment dangereux, car il risquait fort, dans la Ville Sainte, de tomber sur un de ses anciens amis Pharisiens qui le considérerait comme un traître et le ferait arrêter. Mais Saül, s’il voulait vraiment se consacrer au service du Christ, devait prendre contact avec les Apôtres, ceux que Jésus lui-même avait chargés d’évangéliser le monde en son nom.
A Jérusalem, il fut tout d’abord fort mal reçu, aussi mal qu’il l’avait été dans la communauté de Damas. Parmi les fidèles du Christ, on avait gardé le souvenir du jeune fanatique qui avait joué un rôle dans le martyre d’Étienne. Les Apôtres commencèrent par s’arranger pour ne pas le voir. Cette histoire d’apparition, d’aveuglement et de vue retrouvée semblait incroyable.
Heureusement, parmi la petite troupe d’amis qui entouraient les Apôtres, se trouvait un homme de grande sagesse : Barnabé. Au cours d’un voyage, il était passé par Damas, et il y avait entendu raconter ce qui concernait Saül. Il put donc assurer que tout était vrai de l’étonnante histoire, et que l’ancien persécuteur avait courageusement donné témoignage au Christ dans la ville syrienne. Ainsi Saül fut-il admis dans la communauté des fidèles et vit-il les Apôtres. Ce fut alors que se posa une grave question. Le Seigneur, avant de remonter auprès du Père, a dit à ses disciples : « Allez et évangélisez tous les Peuples ! » Mais, pour les Apôtres, il était très difficile d’obéir à cet ordre. C’étaient des petites gens de Palestine, des ouvriers, des pêcheurs. Ils n’étaient jamais sortis de leur pays et, pour la plupart, ne devaient pas parler le grec, la langue usuelle d’alors. Comment feraient-ils pour s’en aller dans de lointains pays enseigner la doctrine du Maître ? Aussi certains d’entre eux se disaient-ils : « Commençons par prêcher l’Évangile parmi nos frères de race. Faisons-leur comprendre que Jésus est le Messie… »
Saül, lui, n’était pas de cet avis. L’ordre du Maître était formel, il avait dit : « Évangélisez tous les Peuples ! » Lui, Juif de Tarse et fils de citoyen romain, il connaissait bien mieux le monde ; il parlait grec couramment et sans doute latin aussi. Il avait voyagé. Qu’on essayât d’apprendre l’Évangile au peuple d’Israël, sans doute, mais il fallait aussi porter la Parole au reste des hommes. Saül se sentait inquiet ; que devait-il faire ? Alors, Jésus, une seconde fois, lui apparut :
— Pars d’ici, lui ordonna-t-il, va au loin ! car c’est vers les païens que je vais t’envoyer.
Il partit donc. Quelque temps il retourna dans sa ville natale de Tarse, attendant avec confiance que le Seigneur lui fît comprendre ce qu’il avait à faire. Un jour qu’il méditait dans la campagne, il vit venir à lui un homme qui lui fit de grands gestes d’amitié. C’était Barnabé qui avait été chargé par les Apôtres d’aller porter l’Évangile dans une autre grande ville de Syrie nommée Antioche : il avait besoin d’un aide, il venait chercher Saül.
Antioche était alors une des capitales du monde : la troisième ville de l’Empire romain, après Rome et Alexandrie d’Égypte. Installée sur le fleuve Oronte, pas très loin de la mer, c’était un centre commerçant d’une richesse extrême. Sa population, qui comptait plus d’un million d’âmes, était formée de tous les peuples, et l’on y parlait toutes sortes de langues. Quel beau champ d’action pouvait trouver là Saül ! A Antioche, il y avait déjà une petite communauté de fidèles de Jésus. On en parlait tellement que c’était là que, pour la première fois, on avait donné à ceux qui croyaient en le Christ, le nom de Chrétiens. Saül et Barnabé furent admirablement reçus parmi leurs frères, mais, bien vite, la question qui tourmentait Saül se posa. Fallait-il rester entre soi, entre anciens Juifs convertis, ou bien ne devait-on point aller parler du Christ à tous ces gens de toutes races qui s’entassaient dans la grande ville ? Eux aussi, les païens, n’avaient-ils pas droit à la Vérité et à la Lumière ?
Et alors, une troisième fois, le Christ intervint pour diriger son « instrument ». Saül et Barnabé revenaient de Jérusalem, où la communauté d’Antioche les avait envoyés porter des secours à leurs frères chrétiens, alors persécutés et très malheureux. Dans la Ville Sainte, ils avaient compris, mieux encore, que l’avenir du Christianisme n’était pas là, dans cette cité petite, dominée par le clan des Prêtres juifs, mais que c’était le monde entier qui devait recevoir la Parole. Ils répétèrent cela à leurs amis. Soudain l’Esprit-Saint se fit entendre :
— Mettez à part Saül et Barnabé pour la Mission à laquelle je les destine !
C’en était fait, Saül savait que tout ce qu’il pensait était voulu par le Christ. La parole de Dieu s’adresse à tous les hommes. Et lui, il serait le porteur de cette Parole à toutes les nations.
V. L’APÔTRE DES NATIONS
C’est sous ce titre, « l’Apôtre des Nations » qu’il devait être connu dans l’histoire et que l’Église le vénère. De nos jours, on donne le nom de « Missionnaires » aux prêtres courageux qui, dans les pays les plus sauvages, de l’Afrique ou de l’Asie, vont enseigner le Christianisme aux païens. Saül fut le premier des Missionnaires, le plus héroïque, le plus infatigable. Le Christianisme lui a dû de se lancer à la conquête du Monde…
Regardez-le, le petit homme, au moment où il va partir pour ses grandes expéditions. Il a quarante ans, il est dans la pleine force de l’âge ; mais, en fait, il est souvent malade ; il sent comme « une écharde dans sa chair ». Court de taille, le dos courbé, chauve et le nez fort, il ne paie pas de mine ; mais, quand il vous regarde, une puissance singulière semble jaillir de ses yeux, pour combattre et pour convaincre. Quand il parle, ses mots sont brûlants, magnifiques et terribles, et l’on ne résiste guère à son rayonnement.
Vingt ans durant ! Voilà ce que va durer sa tâche de porte-parole du Christ ! Jusqu’à la fin, jusqu’à sa mort ! Par les routes, par les mers, il s’en ira, sans que ni les obstacles de la nature ni ceux des hommes ne l’arrêtent. Ce qu’a été son existence de Missionnaire, il l’a raconté dans une lettre :
« Les fatigues, les prisons, les coups, les périls mortels, j’ai connu tout cela plus que quiconque. Cinq fois les Juifs m’ont infligé la flagellation : Quarante coups moins un. Trois fois, j’ai été roué de coups. Une fois, on m’a accablé de pierres. J’ai fait naufrage trois fois ; j’ai même passé un jour et une nuit sur la mer en furie, menacé par l’abîme. Voyages sans nombre : dangers pour franchir les fleuves, dangers de la mer. Et dangers du côté des traîtres, oui, tout cela je l’ai connu ! Et travailler jusqu’à l’épuisement, et veiller bien des jours de suite, et manquer de nourriture et de boisson, et n’avoir pas de vêtements pour les grands froids. Tel fut mon destin de témoin du Christ !
Bien peu d’hommes, on le voit, auraient été capables de mener, vingt ans de suite, une telle existence. Quarante mille kilomètres de terre et autant de mer ! deux fois le tour de la terre ! Et, à cette époque, les moyens de communication n’étaient pas ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Pauvre missionnaire, Saül dut être bien souvent obligé d’aller à pied, par longues étapes, dans la chaleur ou le grand froid. Sur mer, les bateaux étaient petits, inconfortables, peu sûrs, en cas de mauvais temps. Et si l’on songe encore que, dans tous les lieux où il arrivait, l’Apôtre était sans cesse menacé d’être arrêté, jeté en prison, flagellé, et peut-être pis encore, on admire le courage qu’il lui fallut déployer pour demeurer fidèle à sa mission.
Et encore, ces qualités magnifiques n’étaient pas les seules qu’eût cet homme extraordinaire. Son intelligence comprenait tous les problèmes et, immédiatement, leur donnait une solution. Non seulement, par son audace, il allait fonder. des communautés chrétiennes dans un grand nombre de villes. Mais, excellent administrateur, il continuerait, après son départ, à les diriger de loin comme un véritable chef. Ah, Jésus ne s’était pas trompé, quand, en choisissant Saül, il avait fait de lui son « instrument » !
VI. COMMENT SAUL DEVINT PAUL
Sur le môle de Séleucie de l’Oronte, le port d’Antioche, à l’automne de l’année 46, les voyageurs qui embarquaient sur le courrier de Chypre, regardaient un petit groupe d’hommes vêtus à la juive qui, avec de grands gestes, souhaitaient bonne mer à trois partants. L’un était malingre, court de jambes, mais sa face rayonnait d’ardeur et d’intelligence ; le second était grand et beau, plus réservé ; le troisième, un très jeune homme encore était visiblement aux ordres des deux premiers. Pouvaient-ils soupçonner, ces commerçants syriens qui s’en allaient à Chypre acheter du cuivre et des parfums, que ces trois voyageurs modestes partaient à la conquête du monde ?
Les trois ‚voyageurs étaient Saül, Barnabé et le neveu de ce dernier, le jeune Marc, celui-là même qui, plus tard, écrirait le second évangile. Ils partaient pour Chypre, parce que Barnabé en était originaire. L’île était gouvernée par les Romains qui y exploitaient les mines de cuivre, — c’était Chypre, cupros, qui avait donné son nom au métal.
Le gouverneur romain se nommait Sergius Paulus : sa famille appartenait à la noblesse de Rome. C’était un homme de grande intelligence, préoccupé des questions religieuses. En apprenant l’arrivée sur son domaine de ces personnages bizarres, qui annonçaient une doctrine nouvelle, il voulut les entendre, et ce que les trois chrétiens lui dirent l’intéressa au plus haut point.
Or, dans l’entourage du gouverneur romain, il y avait un prétendu magicien, astrologue et faiseur de tours : « Elymas le Sage ». Inquiet de voir les nouveaux venus prendre de l’influence, il essaya de les faire chasser. Alors Saül l’interpella en public, devant le Proconsul romain.
— Homme plein de ruses et de scélératesses, fils du Diable, ennemi de la vérité, est-ce que tu vas cesser de te mettre en travers du chemin de Dieu ? Maintenant la main du Tout-Puissant va s’abattre sur toi. Tu vas être aveugle et, pour un temps, tu seras privé de la vue du soleil !
Au même moment, d’épaisses ténèbres s’abattirent sur le prétendu « sage ». Il se mit à tourner sur lui-même de tous côtés, cherchant une main pour le guider. Ce miracle impressionna le gouverneur. Il vit que son fameux Elymas n’était qu’un charlatan, mais que Saül parlait réellement au nom du Dieu Tout-Puissant. Aussi lui marqua-t-il la plus grande sympathie, accueillant les messagers du Christ chez lui, les écoutant lui parler de leur Maître et de son message. Pour eux, c’était là une belle réussite : un Romain de haute naissance entendait leur enseignement. Tant et si bien que Saül résolut d’abandonner son nom israélite pour celui de Paulus, dont en français on a fait Paul. Pour aller parler dans les divers pays de l’Empire, ce changement de nom était très commode. Et il marquait aussi la gratitude de l’Apôtre des païens pour le premier païen qui lui avait donné son amitié.
VII. AVENTURES EN ASIE
Quittant l’île aimable où il avait fondé les premières églises, Paul, — nous l’appellerons désormais ainsi, — se lança à la conquête des plateaux d’Asie Mineure. C’était une entreprise pleine de difficultés ; les passes des montagnes étaient infestées de brigands ; les populations de l’intérieur parlaient des langues incompréhensibles et elles passaient pour peu commodes. Mais Paul n’était pas homme à se laisser arrêter par les obstacles.
Les trois voyages qu’il fit en Asie Mineure furent de véritables aventures. Dans beaucoup d’endroits, il y avait des colonies juives, qui, bientôt renseignées par des messages venus de Jérusalem, traitèrent Paul comme un adversaire, et cherchèrent par tous les moyens à l’empêcher de parler. Une fois, il avait enseigné le nouveau message avec tant de flamme que, le samedi suivant, il y avait foule pour l’entendre. Alors, les Juifs, furieux, organisèrent un tel vacarme que toute discussion devint impossible. Pis encore : ils dénoncèrent Paul et Barnabé comme de dangereux agitateurs publics, afin que les autorités romaines les missent en prison. Heureusement, prévenus à temps, les deux missionnaires purent s’éclipser de justesse.
Pourtant tout n’était pas aussi dramatique dans leur voyage. Une fois même, il leur arriva une aventure extrêmement comique. Cela se passait à Lystres, capitale de la Lycaonie. Paul vit, parmi ceux qui l’écoutaient parler du Christ un homme boiteux de naissance. Se souvenant alors que Jésus a promis à ceux qui parleraient en son nom de faire par leurs mains des miracles, il s’approcha de l’infirme et lui cria : « Au nom de Jésus le Christ, je te l’ordonne : lève-toi ! » D’un bond, l’homme se dressa et se mit à marcher. Le bruit de ce miracle se répandit dans toute la ville. Qui pouvaient bien être ces deux personnages bizarres qui possédaient la force surnaturelle de guérir les infirmes ? Nul doute : c’étaient des dieux ! Le plus grand, avec sa belle barbe et son air grave, c’était certainement Zeus, le père de tous les dieux ; et le petit maigre, c’était Hermès. Et voilà toute la cité en fièvre pour faire une grande fête aux deux dieux ! Le prêtre païen arrive avec des couronnes, traînant derrière lui deux taureaux blancs qu’il se propose d’offrir en sacrifice à nos deux immortels. C’est tout juste si on ne les juche pas sur l’autel pour les adorer ! Et comme cette foule parle le dialecte lycaonien, auquel Paul et Barnabé ne comprennent goutte, il leur faut pas mal de temps pour discerner la méprise, s’expliquer, et persuader ces braves gens qu’ils ne sont pas des dieux !
L’aventure eut son bon et son mauvais côté. Une communauté de chrétiens naquit à Lystres, extrêmement fervente : c’est parmi ces convertis que Paul distingua le jeune Timothée qui, plus tard, sera le compagnon de ses dernières années. Mais les Juifs organisèrent un véritable guet-apens contre les missionnaires, traînèrent Paul en dehors des murs et là le rouèrent de coups si affreusement que ses amis le retrouvèrent blessé et perdant son sang.
La dernière aventure de ces grands voyages missionnaires en Asie fut aussi une des plus étranges. Paul était arrivé pas bien loin de l’endroit où jadis se dressait la célèbre ville de Troie que, dix siècles plus tôt, les guerriers grecs avaient prise, — grâce à la ruse du cheval de bois inventé par Ulysse, — et dont les malheurs ont servi de sujet à l’un des plus célèbres poèmes de l’Antiquité : l’Iliade. Il était tout près de l’Europe, séparé par le simple bras de mer de l’Hellespont, que nous nommons les Dardanelles. Il se demandait ce qu’il devait faire : retourner en Asie ? ou bien se lancer à la conquête de ce monde inconnu qu’était l’Europe ? Barnabé l’avait quitté, et il continuait seul, de son côté, le bon travail d’évangélisation en Asie. Pour remplacer ses compagnons, Paul avait désormais toute une petite troupe de fidèles : Silas, le jeune Timothée et surtout un médecin grec, intelligent et artiste, du nom de Luc, celui-là même à qui nous devons le troisième évangile. Tous étaient prêts à le suivre, mais aucun ne pouvait le conseiller.
Or, une nuit, alors que Paul méditait sur sa conduite future, il eut une vision. Un homme était devant lui, portant un costume qu’il reconnut : c’était celui des Grecs de Macédoine, c’est-à-dire de la province qui était juste en face de lui. Et cet homme, avec de grands gestes d’appel, lui criait :
— Viens à notre secours ! arrive vite en Macédoine ! L’ordre était clair. L’Europe aussi devait recevoir l’Évangile, et c’était lui, Paul, qui avait à le lui apporter.
(à suivre)
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