Au secours des persécutés
Pendant l’occupation allemande, la police traque non seulement les patriotes, mais aussi les Juifs, simplement parce qu’ils sont juifs et que le gouvernement hitlérien veut tous les mettre à mort. Bien des catholiques, alors, ont apporté leur soutien à ces malheureux, n’hésitant pas à s’exposer eux-mêmes à la prison et à la mort, pour essayer de sauver ceux qui n’avaient pas encore été découverts.
Ce fut notamment le cas d’un religieux carme, le Père Jacques de Jésus, Supérieur du collège de Fontainebleau-Avon qui, dénoncé, ne tarda pas à être arrêté par la police allemande.
Pourrons-nous jamais oublier la journée du 15 janvier 1944 ?
Les classes de la matinée avaient commencé dans le calme quand, soudain, dans le couloir, retentit un bruit de bottes ; on entend les portes claquer, se refermer brusquement : les Allemands sont là.
Un homme de petite taille entre en classe de cinquième :
— Bonnet ! appelle-t-il.
L’enfant se lève aussitôt et sort.
En quatrième, on est en classe de grec ; la porte s’ouvre et un policier en civil fait irruption :
— Monsieur Sabatier ! crie-t-il d’une voix tonnante.
Ce dernier se lève et sort lentement derrière l’Allemand. La porte se ferme, c’est fini : cela s’est passé en quelques secondes. Un long silence ; le cours est interrompu et, immobile, les bras le long du corps, le professeur regarde ses élèves. « Avez-vous compris ? » semble-t-il leur dire. Oui, ils ont compris ; ils ont compris qu’ils ne reverront jamais plus leur camarade.
Le professeur récite une prière avec ses élèves, pour celui qui vient de partir, puis il essaie de lire une histoire, mais personne n’écoute, les pensées sont ailleurs.
Trois enfants d’origine juive, que le Père Supérieur avait accepté de cacher sous de faux noms, parmi ses élèves, pour les soustraire aux recherches de la police, sont ainsi arrêtés.
Puis on vient arrêter le Père Jacques lui-même, au milieu d’un cours de français, en classe de première, et on l’enferme dans une chambre du premier étage.
A onze heures trente-cinq, le chef de la Gestapo[1] donne l’ordre à tout le monde, élèves, professeurs et personnel, de se rassembler dans la cour. Le rassemblement effectué, il déclare alors :
— Trois élèves juifs ont été arrêtés dans ce collège. Y a‑t-il encore des Juifs parmi vous ? Un autre policier commence l’appel nominal[2] des élèves et, pendant cet interminable appel, sortent de l’école, encadrés de soldats en armes, les trois petits Juifs, terrorisés, les yeux fixés à terre, une couverture sous le bras. Ils partent rudement brutalisés.
Puis la porte s’ouvre et le Père Jacques apparaît, suivi de deux Allemands. Le Père est très calme ; il s’avance tranquillement, une valise à la main, son béret brun sur la tête et, avant de descendre les marches du grand escalier, s’arrête, regarde les enfants, souriant, radieux presque, et leur crie joyeusement :
— Au revoir, les enfants ! A bientôt !
— Au revoir, mon Père répondent d’un seul cri, élèves et professeurs.
Et, spontanément, tous se mettent à applaudir de toutes leurs forces.
Le chef de la Gestapo se retourne alors, furieux, et crie :
— Taisez-vous ! Taisez-vous ! Silence !
Le Père Jacques descend les marches, traverse lentement la cour, se dirige vers le petit escalier qui conduit à la rue de la Charité, le monte en regardant tous ses élèves et, arrivé en haut, exprime son affection pour tous ceux qu’il quitte par un dernier geste d’adieu.
En le voyant une dernière fois, contraint de suivre les policiers allemands, tous, élèves et professeurs, savaient bien que la force brutale ne pourrait rien contre une âme de cette trempe.
D’après le R. P. PHILIPPE.
(Le Père Jacques, Edit. Taillandier).
Ce n’est pas une action bien glorieuse que viennent d’accomplir les policiers allemands, en arrêtant, sans courir le moindre risque, trois enfants et un prêtre ! Les guerres, toutes les guerres, traînent après elles leur cortège de peines, de sang et de larmes. Comme il faut travailler à la paix !
En prison
Envoyé dans un camp où il rejoint d’autres Français qui, comme lui, ont travaillé de toutes leurs forces à libérer la Patrie de l’occupation étrangère, le Père Jacques se met tout de suite au service de ses frères les plus malheureux, les malades. Voici le récit que l’un de ceux-ci fait de l’activité du Père.
Il y avait à Sarrebruck une infirmerie d’une saleté repoussante, où les malades étaient abandonnés sans soins et presque sans nourriture.
Cette infirmerie était une chambre prise dans un baraquement et contenant une quinzaine de lits à deux étages. Aucun soin médical, aucun médicament, hormis ceux qu’on trouvait dans les bagages des nouveaux arrivants.
Le Père Jacques insista auprès des autorités du camp pour faire l’organisation, le nettoyage de l’infirmerie et donner quelques soins à tous ces malheureux. Après maintes rebuffades[3] et de nombreux coups, il parvint à y être autorisé.
Les fonctions d’infirmier avaient été alors remplies par un détenu qui s’en acquittait sans aucune conscience, mais dès que le Père l’eut remplacé, tout fut transformé. Tout n’était pas possible mais, dans l’ordre du possible, les malades attendaient trois choses : des soins, un peu plus de nourriture et un peu de réconfort moral. Le Père Jacques leur apporta tout cela. Il nettoya d’abord soigneusement l’infirmerie et, chaque jour, il la lessivait à grande eau ; il se prodigua ensuite aux malades.
Il fit des bandes de pansement avec des draps et des vieilles chemises préalablement lavées et, finalement, par son labeur obstiné, réussit à rendre et maintenir propre l’infirmerie et ses occupants.
Plusieurs fois, il fut brutalement frappé pour ses réclamations de médicaments et de pansements, mais jamais, malgré toutes ces embûches, il n’abandonna la ligne de conduite qu’il s’était tracée. Mieux, il réussit même, au péril de sa vie, à s’approprier à plusieurs reprises des médicaments qui appartenaient au personnel de la compagnie de garde allemande et put ainsi sauver plusieurs Français.
Enfin, sans redouter les rebuffades et même les brutalités qui ne lui furent pas ménagées, il allait chaque jour à la cuisine réclamer, à titre de supplément pour les malades, les restes de nourriture qui revenaient des cantonnements des gardiens. Par son obstination, il parvint à faire admettre comme un usage habituel cette attribution de nourriture supplémentaire qu’il partageait ensuite avec un très grand souci d’équité[4]. Très souvent même, sa maigre ration personnelle partait vers la gamelle d’un camarade.
Ainsi, par son labeur incessant, par sa ténacité, le Père Jacques était un exemple et un appui efficace pour les plus malheureux de ses frères prisonniers. Mais il était davantage encore car, par sa belle figure, toute transformée par une vie intérieure plus intense qu’à l’habitude, il était devenu comme un pôle d’attraction[5] pour les plus découragés et sa présence, sa parole, étaient comme une lumière pacifiante dans cet enfer.
D’après les témoignages recueillis par le R. P. PHILIPPE.
Si le malheur enlève aux caractères faibles le peu de courage qu’ils pouvaient avoir, nous voyons qu’il décuple, au contraire, les forces des plus vaillants. Et il suffit souvent d’un homme énergique pour redonner courage à tous, même dans les situations les plus dramatiques.
Récit tiré du livre de lectures Au grand jour, par Henri Bérier et Roger Gilbert, éd. de l’École, 1963.
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