PRÈS ses fiançailles, Marie quitta Jérusalem pour préparer à Nazareth la maison qu’elle occuperait avec Joseph, lorsqu’elle serait mariée.
Ne vous imaginez pas une belle maison ! En Orient, les demeures ne sont pas très jolies. Gros blocs carrés, percés de petites fenêtres afin que le soleil ne pénètre pas (le soleil est très chaud dans ce pays), elles ressemblent à un jeu de cubes qu’on aurait dispersés dans le jardin.
L’intérieur en est fort pauvre aussi. On y trouve juste le strict nécessaire pour faire la cuisine et pour le sommeil.
Comme Marie avait beaucoup de goût, elle avait disposé ses humbles objets avec tant d’art que sa maison était vraiment très avenante.
Un soir de mars, près du feu de bois allumé pour couper l’humidité, Marie, ayant fini son ménage, s’était assise pour lire la Bible. Les langues rouges et jaunes des flammes léchaient les bûches noires et grises, et Marie, le livre ouvert sur les genoux, songeait doucement à ce Messie promis à travers toute l’Histoire Sainte et attendu avec quelle impatience !
Il y a bien longtemps, le Bon Dieu avait annoncé qu’Il reviendrait sur la terre pour pardonner et réparer le péché d’Adam et d’Ève, lorsque les hommes seraient prêts à Le recevoir. Jusque-là, Il n’avait pas encore trouvé une âme assez pure pour devenir sa maman, assez fidèle pour n’aimer que Lui, assez forte pour accepter sa souffrance. Marie aurait tant aimé être choisie comme maman du Bon Dieu, mais elle se trouvait si humble, si petite, si pauvre qu’elle n’osait espérer un pareil honneur. Alors, elle pria de tout son cœur pour que les hommes, cessant d’offenser le Bon Dieu, Lui permissent de réaliser son grand dessein.
Le feu de bois s’éteignait doucement. Les grandes flammes n’étaient plus dans l’âtre sombre qu’une poignée d’étoiles palpitantes. Et Marie se demandait ce qu’elle pourrait bien faire pour hâter la venue du Messie.
Soudain le feu siffla — on eût dit une corde de violoncelle qui, seule, eût chanté — et voici que les braises endormies, doucement, se réveillent. L’une après l’autre, les flammes se dressent de leur lit de pourpre, elles s’étirent, se courbent, se balancent ; elles retombent mollement encore sur leur couche. La chanson se fait plus impérieuse ; alors, soudain dressées, elles montent à l’assaut de l’âtre en une flambée magnifique, chassant l’ombre dans les coins les plus reculés de la pièce et inondant de lumière et de chaleur Marie étonnée d’un tel réveil.
Une araignée, qui au bout de son fil faisait une petite sieste avant la chasse de la nuit, crut le matin déjà arrivé et remonta bien vite se cacher au plafond, maudissant sa paresse et ce long somme qui la mettait à la diète. Le canari s’ébroua dans sa cage entr’ouverte et, comme un oiseau d’or, vint se poser sur la cheminée, près d’un gros bouquet d’ancolies dont les corolles, mordues par la lumière, posaient à chaque feuille une petite auréole tremblante.
Marie, de ses yeux limpides, regarda l’oiseau, les fleurs, la lumière et, tout à coup, eut l’impression qu’il y avait quelqu’un derrière elle.
Brusquement, elle se retourna sur son bas tabouret et découvrit un ange si beau, si majestueux qu’elle tomba à genoux, lâchant son livre pour mieux joindre les mains. À ses pieds, son ombre se recroquevilla et, le plus doucement qu’il put, le canari regagna sa cage, sans faire le moindre bruit.
« Je vous salue, pleine de grâces », dit l’ange avec une telle gentillesse que Marie baissa la tête, toute gênée. Elle savait bien qu’elle aimait le Bon Dieu de tout son cœur, qu’elle ne L’avait jamais offensé, mais s’entendre appeler « pleine de grâces » par un messager du ciel la remplissait de confusion.
Intimidée, elle pencha la tête un peu sur le côté pour mieux écouter l’ange :
« Le Seigneur est avec vous. Il vous aime spécialement : aussi m’a-t-Il chargé de vous annoncer que bientôt vous serez la maman d’un petit garçon que vous appellerez Jésus. Il deviendra très puissant ; on le nommera le Fils de Dieu et, grâce à Lui, les hommes seront enfin sauvés, car son règne n’aura pas de fin.
« Voulez-vous bien devenir la maman de ce petit Jésus ? »
Marie était si heureuse, mais aussi tellement confuse qu’elle rougit encore plus et, d’une petite voix dans laquelle passait tout son cœur, elle murmura ce mot, doux comme un baiser : « oui ! »
Alors, le Saint-Esprit, se montrant sous la forme d’une colombe, vint poser sur Marie le double sceau de ses ailes blanches. tandis que dans son âme la grâce descendait.
E matin-là, Marie se leva plus tôt que d’habitude. Il s’agissait de partir en voyage et d’aller voir la cousine Élisabeth.
Vous connaissez la cousine Élisabeth ? La femme du prêtre Zacharie, devenu muet pour avoir douté de la parole d’un ange lui annonçant, comme à Joachim, la naissance prochaine d’un enfant. C’était un garçon qu’il lui promettait. Bien étonné, Zacharie avait dit, ainsi que Joachim, mais sur un tout autre ton : « Ce n’est jamais possible ! » L’ange, vexé, lui avait retiré l’usage de la parole :
« Puisque tu dis des bêtises, tais-toi ! »
Le pauvre Zacharie en était réduit à se promener avec des tablettes sur lesquelles il écrivait ce qu’il avait à dire, et qu’il mettait sous les yeux de ceux qui attendaient sa réponse. Vous comprenez que, dans ces conditions, on ne songeait pas à engager de longues conversations avec lui. Il fallait s’arranger pour qu’il n’eût à répondre qu’un oui ou qu’un non, ce qu’il pouvait faire d’un signe de tête. On gagnait ainsi du temps ; et déjà, à cette époque, les gens étaient fort pressés.
Seulement, pour Zacharie, ce n’était pas très gai. Il restait souvent seul, à se morfondre dans un coin, en suçant le bout de son stylet quasi inutile. Réellement pieux, il acceptait sa pénitence avec un grand esprit de foi et en offrait au Bon Dieu tous les désagréments pour le garçon qu’ils attendaient, sa femme et lui.
D’après l’ange, ce garçon aurait un rôle magnifique à remplir sur la terre. Il serait le héraut de Notre-Seigneur, le précurseur de son cousin, l’éclaireur du Bon Dieu, celui qui va devant et trace le chemin.
Puisque Jean-Baptiste devait, un jour, marcher devant son fils et le faire connaître aux hommes, la sainte Vierge voulut apporter à la maman du précurseur son salut à elle et son aide.
Élisabeth habitait un petit village dans le sud, assez éloigné de Nazareth puisqu’il fallait quatre journées de marche pour y parvenir.
Vous savez bien qu’en ce temps-là, n’existaient ni tram, ni auto. Quand les gens voulaient ou devaient partir en voyage, les riches montaient un chameau, les pauvres un âne et les misérables allaient à pied. On chaussait de grosses sandales, avec une bonne semelle et, les pieds nus, afin de donner de l’air aux orteils pour qu’ils ne s’échauffassent point, on marchait des journées entières avant d’arriver au but.
La sainte Vierge se mit en route de bon matin. Il fait beaucoup moins chaud aux premières heures que pendant le reste de la journée, et la marche est plus rapide qu’en plein midi. Elle regarda si les voisins étaient prêts ; car eux aussi allaient du côté de Jérusalem, et les voyages en groupe sont plus rassurants.
Le ciel était d’un beau vert, très clair, très limpide, sur lequel flottait une longue bande de nuages pourpres. Sur le toit de la maison,un rouge-gorge chantait sa prière du matin et vint se poser sur la bobinette dès que Marie eut fermé sa porte. Autour du seuil, des liserons agitaient leurs clochettes blanches comme des petits mouchoirs d’adieu, et un gros mimosa, posé tel un nuage d’or sur le coin du jardin, juste là où il borde la route, répandit ses fleurs au passage de la douce jeune femme.
Marie était vêtue simplement, comme les femmes de son pays, d’une robe qu’elle avait tissée elle-même et d’un ample manteau bleu dont un pan lui recouvrait la tête. Son ombre tournait autour d’elle, légère, cachant un ange dans ses plis. Un ange gardien dont le souci était grand de veiller sur Marie, car elle n’était pas seule en voyage. Jésus, dont elle allait bientôt devenir la maman selon la parole de l’archange, l’accompagnait, très près de son cœur ; et Marie, tout en avançant dans la caravane joyeuse, lui parlait doucement, tendrement et sans fin. Tous, autour d’elle, se laissaient distraire par les péripéties de la route. Elle ne voyait que son Jésus.
Vers le soir, lorsqu’un homme lui offrit son âne afin de lui permettre de se reposer un peu, Marie leva sur lui des grands yeux étonnés et si ravis qu’il resta confondu de tant de fraîcheur après une journée tellement lassante. Vraiment, elle ne croyait pas le soir déjà arrivé !
Ce furent de merveilleuses journées. La présence de Marie facilitait à tous le voyage et son sourire était le meilleur réconfort lorsqu’on se sentait trop las. Un petit garçon, harcelé par les mouches et les moustiques, vint se réfugier dans son ombre ; et l’ange qui l’habitait l’éventa de ses ailes. Du coup, il ne voulut plus quitter Marie, et c’est en lui donnant la main qu’il découvrit le village d’Élisabeth.
Du haut du chemin bordé de palmiers dont les grandes feuilles s’inclinaient avec beaucoup de grâce au passage des voyageurs, Marie distingua à l’entrée du village la petite maison de sa cousine Élisabeth, d’où montait, sur le ciel pur, une colonne de fumée légère : on y préparait, sans doute, le simple souper de maïs et d’orge écrasés.
Marie frappa à la porte et, entrant dans la maison, vit Élisabeth accroupie près du foyer, occupée à remuer dans la marmite une longue cuiller de bois. Marie lui cria joyeusement bonsoir, tandis qu’Élisabeth, stupéfaite d’une visite si inattendue, poussait un cri de saisissement. Vite, elle se redressa et, avant que Marie eût le temps de s’avancer davantage, elle tomba à genoux, bégayant, tant son émotion était forte, les paroles que nous répétons après elle dans notre « Je vous salue, Marie » :
« Vous êtes bénie entre les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni ».
La sainte Vierge ne fut pas du tout étonnée d’entendre Élisabeth la saluer si respectueusement. Elle savait bien que ce compliment s’adressait par elle à Jésus, à ce Jésus dont elle sentait contre son cœur la chaude présence.
Alors, relevant Élisabeth et la tenant serrée bien fort contre sa poitrine, elle chanta le superbe cantique qu’on nomme le Magnificat, par lequel elle remercie le Bon Dieu de l’avoir choisie, elle si petite, pour apporter aux hommes le bonheur et le salut.
Les deux cousines pleuraient d’émotion et de joie.
Comme Marie était fatiguée de son voyage et allait demeurer de longs mois avec Élisabeth, celle-ci la fit rapidement souper. On avait oublié le souper ! Heureusement, l’ange gardien, après avoir été très ému de la salutation, s’était souvenu que les humains doivent manger malgré leurs joies : alors, il avait entretenu le feu, touillé dans la pâtée, et Marie, Zacharie et Élisabeth ne firent jamais un aussi bon repas que ce soir-là.
N ces jours-là, un bruit étrange circulait de ville en village : l’empereur de Rome, pour connaître le nombre des habitants de Palestine, avait décidé que chacun d’eux devrait se faire inscrire au lieu d’origine de sa famille. C’était comme une petite « évacuation » qu’il voulait ordonner par là. La mesure était annoncée depuis longtemps. D’après les on dit, sa mise en vigueur devait être assez proche, aussi les pauvres gens commençaient à s’inquiéter.
Marie et Joseph n’entendaient pas sans un peu d’effroi ces commérages. Joseph avait son travail : il était charpentier, et le métier ne chômait pas. Il y avait toujours une charrue à remettre en état, un nouveau meuble à fabriquer ou un balai à emmancher. Laisser là la clientèle pour partir en voyage, même en voyage forcé, ce n’est pas une bonne réclame pour un artisan. Puis, Marie n’était pas bien portante. Elle s’était assez fatiguée à préparer la layette, le berceau, les menus objets nécessaires à la naissance de Jésus. Elle sentait qu’Il allait bientôt arriver et elle n’était pas tranquille à la pensée de devoir faire une longue route en cet état.
Le soir, lorsque Joseph avait achevé son travail, il en parlait longuement à Marie avant d’aller dormir. C’était lui le plus abattu des deux, tant il craignait pour elle. Marie, avec un bon sourire, le consolait en lui disant que peut-être ce voyage ne devrait pas se faire, qu’elle se trouverait mieux portante et qu’enfin, le Bon Dieu, entre les mains duquel ils étaient tous les deux, ne les abandonnerait jamais. Elle parlait si gentiment, avec tant de foi et de confiance, que Joseph, ragaillardi, après lui avoir donné un baiser sur le front, s’en allait se coucher en sifflant un cantique.
Un matin, l’édit parut. En grosses lettres, il y était prescrit à tous et à chacun de retourner dans le lieu d’origine de sa famille afin de s’y faire inscrire.
Consterné, Joseph alla trouver Marie. Il fallait donc quitter Nazareth et se rendre à Bethléem, berceau de la famille. Marie le réconforta, une fois de plus, en lui montrant que telle était la volonté de Dieu. Peut-être se souvint-elle qu’il y a bien longtemps, des prophètes avaient annoncé que le Messie, c’est-à-dire Jésus, devait naître à Bethléem ? Malgré les peines de Joseph, elle dut être bien contente : Jésus serait bientôt sur la terre.
Sans retard, Joseph sella le petit âne gris, qui d’habitude faisait les courses dans la campagne, et après quelques journées fort fatigantes, les trois voyageurs arrivèrent à Bethléem.
Plus ils approchaient de la ville, plus les routes étaient encombrées. Dans Bethléem, c’était la cohue. L’âne n’arrivant plus à avancer, Joseph en fit descendre Marie. Il chercherait seul un logement pendant que la Vierge garderait le baudet. Elle était épuisée, la pauvre sainte Vierge, et s’appuyait contre le flanc de l’animal chassant de la queue les mouches tourbillonnantes. Le matin avait été très froid ; maintenant, une lourde buée montait du sol. Marie se sentit lasse de tant de mouvement, de chaleur et d’agitation autour d’elle.
Joseph fut long à revenir. Marie, exténuée, s’était accrochée de ses deux bras noués au cou de l’âne ; et celui-ci, d’un doux mouvement d’oreilles, s’efforçait de lui donner un peu de fraîcheur. Personne ne faisait attention à ce groupe minable. Pas un passant ne songea à lui faire l’aumône d’un verre d’eau ou d’un sourire.
Enfin, Marie entendit auprès d’elle la voix basse et triste de Joseph. Elle ouvrit les yeux et le regarda affectueusement. Ses cheveux étaient collés par la sueur, son visage gris de poussière, ses vêtements fripés. Fort déçu, il rentrait de sa course vaine, n’ayant trouvé aucun logement, pas la moindre place où passer la nuit. « Ma pauvre Marie, ma pauvre Marie », hoquetait-il en hochant la tête. Marie, toujours vaillante, ne se laissa pas démonter. Pour réconforter Joseph, elle secoua sa lassitude, le prit gentiment par la main et lui dit :
« Viens, sortons de la ville : elle est trop égoïste. Dans la campagne, nous trouverons mieux ».
Appuyés l’un sur l’autre, précédés par l’âne, qui leur frayait un sentier dans les étroites rues encombrées, ils marchèrent une heure encore sans plus rien dire. D’être ensemble, cela leur faisait chaud au cœur ; comme il nous est doux d’avoir, à notre côté, un ami sur qui nous pouvons compter à fond !
Un court braiement les tira de leur engourdissement. L’âne, qui marchait avec une telle assurance qu’il semblait être du pays, piqua un galop joyeux vers une petite grotte dont on distinguait mal l’entrée, car il faisait déjà bien sombre. À sa suite, Marie et Joseph pénétrèrent dans un réduit pas bien grand, assez nauséabond car des moutons y avaient séjourné longuement. Une douce chaleur demeurait encore de leur passage et des bottes de paille fraîche étaient rangées le long des parois. Marie s’y laissa tomber, harassée, et Joseph s’assit à ses côtés. Puis, la tête entre les mains, les coudes collés aux genoux, il pleura silencieusement.
Lorsque nous nous trouvons très malheureux, pleurer nous apaise. Avec nos larmes, notre gros chagrin se dissipe, le calme renaît en nous.
Joseph, pleurant sur la misère de la sainte Vierge, sur la méchanceté et l’égoïsme des habitants de Bethléem, tout naturellement songea aussi à ce petit Jésus qui allait naître. Il comprit que le Bon Dieu, venant sur la terre, voulait y arriver comme un petit pauvre pour donner une leçon à tous les enfants, à toutes les grandes personnes, désireux de satisfaire leurs caprices, incapables du moindre sacrifice, redoutant quelque incommodité. Une grosse bouffée d’affection réchauffa son cœur : comme il l’aimerait, ce Jésus ! Rasséréné, il se redressa, frotta ses yeux rougis de larmes et sursauta : sur les genoux de Marie, un petit enfançon, nu et rose, semblait attendre qu’on l’emmaillotât. Joseph fut si troublé que, tombant à genoux, il se remit à pleurer, mais de joie cette fois. Il n’hésita pas à reconnaître, en ce petit être, son Dieu et son Rédempteur, comme nous croyons, lorsque nous allons communier, que c’est Jésus qui est présent dans la petite hostie.
La sainte Vierge chercha rapidement quelques langes, en vêtit l’enfant et le déposa dans la crèche, où Joseph, vite relevé, avait mis une botte de paille et plié son manteau. Tous deux, épaule contre épaule, contemplaient le bébé endormi quand un bruit les fit tressaillir. L’âne, avec mille précautions, entrait dans la grotte et vint se blottir entre la crèche et le mur, puis, s’abaissant vers l’enfant, souffla sa bonne haleine chaude sur le petit corps. Marie eut pour le baudet un bon sourire et Joseph le flatta de la main. La brave bête ! Elle voulait offrir au Bon Dieu ce qu’elle avait de meilleur. Longtemps, la prière de Marie et de Joseph fut accompagnée de l’espèce de ronflement que produisait l’animal entre chaque respiration.
Soudain l’âne pointa l’oreille. Il n’osa pas s’arrêter de souffler de crainte que l’enfant n’eût froid, mais il témoignait d’une étrange inquiétude. Joseph le remarqua le premier. Il n’en dit rien à Marie — sa prière était si recueillie ! — et à son tour tendit l’oreille.
Dans la nuit silencieuse, un vague murmure s’éleva : une chanson, une prière comme celle qu’on entend lorsqu’une foule récite le chapelet. Le bruit coulait, coulait, s’enflait de plus en plus. Derrière le murmure sourd, résonnait maintenant une douce musique, la plus belle musique que Joseph ait jamais entendue. Elle ressemblait à un cantique, un cantique tellement mélodieux que Joseph songea tout de suite que, seuls, les anges étaient capables d’en chanter un semblable. Il regarda Marie qui ne bougeait pas. Il regarda l’âne qui agitait ses deux oreilles en cadence. Il regarda l’Enfant, et il lui sembla qu’il souriait. N’y tenant plus, Joseph se leva. Dans l’ouverture de la grotte, il découvrit deux chérubins, accroupis, regardant extasiés leur Dieu devenu petit enfant. Leurs ailes blanches fermaient l’entrée d’une barrière de plumes hérissées. Dans l’interstice, Joseph vit s’avancer un groupe d’hommes, accompagnés de quelques moutons. Tous semblaient fort pressés ; mais devant la grotte ils s’arrêtèrent un instant, déconcertés. Il y eut un long conciliabule, dont profita un minuscule agneau pour pénétrer dans la grotte entre deux plumes et se faufiler aux pieds de Jésus. Les chérubins, au bruit de la conversation, s’étaient retournés. Devinant des amis dans le groupe indécis, ils replièrent leurs ailes. N’hésitant plus, les bergers envahirent l’étroite demeure et contemplèrent l’Enfant. Marie prit Jésus dans ses bras comme le prêtre tend l’ostensoir à la Bénédiction du Saint-Sacrement. Les bergers firent comme nous : ils s’agenouillèrent et adorèrent l’Enfant divin. Ils n’avaient pas voulu venir les mains vides (nous non plus, quand nous allons voir Jésus) ; c’est pourquoi ils lui offrirent un beau pain bis, une gourde de lait et un petit agneau blanc et propre comme un nuage égaré sur la terre.
Marie était toute joyeuse de tant d’amabilités. Vraiment, le Bon Dieu, s’Il demandait de grands sacrifices à son Fils, ne l’abandonnait pas. Elle l’aima davantage encore si c’est possible, et serra plus fort son Jésus contre son cœur.
L’enfant sourit, d’un adorable sourire qui ravit les bergers, les moutons et l’âne. Les anges entonnèrent le beau cantique que vous connaissez tous : le « Gloria ». Les bergers reprirent le refrain de leurs voix mâles et rudes. L’âne voulut les accompagner, mais sa voix était trop fausse. Joseph dut le faire taire ; alors, il se contenta de battre la mesure avec le bout de sa queue grise.
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