VIII. A LA CONQUÊTE DE L’EUROPE
Ce fut donc par la Macédoine que le grand Apôtre entra en Europe. La première ville où il enseigna le Christ fut Philippes. A la façon des philosophes grecs, il s’installa sur les bords de la rivière et se mit à parler à tous les passants, répondant à toutes leurs questions. Des femmes, converties par lui, lui offrirent une hospitalité généreuse. Et Paul commençait peut-être à se dire que conquérir l’Europe à l’Évangile était beaucoup moins difficile qu’il ne croyait, quand un incident, mi-burlesque, mi-dramatique, mit soudain fin à cette confiance.
Un jour que les Apôtres s’en allaient à leur endroit habituel pour parler, une femme se mit à pousser des cris. Était-ce une folle ? Pas tellement, car ce qu’elle criait était fort juste : « Ces hommes sont vraiment envoyés par le Ciel : ce qu’ils enseignent est le salut ! » Mais il est facile de comprendre que Paul ne tenait pas tellement à ce qu’on le signalât ainsi à l’attention des autorités, surtout par la voix d’une détraquée. Il devina, d’un coup, que dans cette jeune esclave se cachait un redoutable démon, qui la faisait crier ainsi pour les faire connaître et les perdre. S’arrêtant donc, il cria :
— Démon, sors aussitôt de cette femme ! Je te le commande au nom de Jésus-Christ !
A l’instant même, la femme redevint tout à fait normale : le démon l’avait quitté. Mais qui fut très mécontent ? Le patron de cette jeune esclave. Tant qu’elle était à demi-folle, il lui faisait raconter aux badauds la bonne aventure, expliquer leurs songes. Et cela lui rapportait beaucoup. Furieux, il alla dénoncer Paul et les siens. Et voilà nos missionnaires jetés en prison non sans avoir été sérieusement rossés. Mais au milieu de la nuit, la ville entière est secouée par un tremblement de terre d’une violence extrême. Les portes du cachot s’effondrent : Paul est libre ! Lui et ses compagnons partirent de Philippes avec toutes sortes d’égards, et les excuses des autorités !
Il n’en fut point partout de façon aussi agréable. Bien au contraire ! En combien de lieux, les mêmes ennuis qui avaient obligé l’apôtre à quitter précipitamment les villes d’Asie Mineure, se reproduisirent en Grèce… Les Juifs, — il y en avait partout, — dès que les chrétiens commençaient à parler, organisaient des manifestations, les dénonçaient aux magistrats et les contraignaient ainsi à reprendre au plus vite leur route. A Thessalonique, le port de la Macédoine, un certain Jason, qui bravement avait pris le parti des chrétiens, faillit payer fort cher son dévouement à la bonne cause. Mais, malgré ces résistances et ces difficultés, Paul continuait son œuvre ; partout où il passait des communautés naissaient, de fidèles du Christ, décidés à vivre selon ses commandements et à répandre ensuite son message dans toute la contrée.
Après bien des mois dans la Grèce du Nord, Paul arriva à Athènes. Ce n’était plus alors la capitale prestigieuse du temps où elle imposait la gloire, de ses artistes et de ses penseurs, mais une ville de luxe, peuplée d’oisifs, de gens qui ne croyaient à rien. Bien mauvais terrain pour essayer d’y semer l’Évangile ! Paul essaya quand même, mais sans succès. Lorsqu’il voulut raconter à ses auditeurs la Résurrection du Christ, ces Athéniens éclatèrent de rire : « Ça va ! on t’écoutera là-dessus une autre fois ! » Tant il est vrai que ce ne sont pas les riches de l’argent et de la culture qui comprennent le mieux le message du Dieu d’humilité, mais les pauvres, les petits…
Paul s’en rendit compte en arrivant à Corinthe. Le grand port, installé sur l’isthme, comptait une énorme population de dockers, marins, artisans, de toutes races et de toutes langues. Ce n’était sans doute pas toujours des gens bien élevés, bien habillés, mais il y avait parmi eux beaucoup de cœurs généreux. Paul entreprit de fonder une communauté chrétienne. Il y réussit admirablement. Très vite, de nombreux hommes et femmes de ce petit peuple, demandèrent à recevoir le baptême, et cette église de Corinthe devint même une des plus vivantes de toute la chrétienté. Les chefs en étaient deux excellents chrétiens arrivés de Rome, Aquilas et Priscille, qui avaient donné à l’apôtre l’hospitalité la plus généreuse. Au total, donc, un beau succès !
IX. LES CÉLÈBRES LETTRES DE S. PAUL
L’éternel voyageur du Christ allait repartir une fois de plus : à peine avait-il bien planté une église dans un endroit qu’il sentait le besoin d’entreprendre de nouveau ce même labeur difficile, de persuader, de convertir, défricher, telle était sa vraie mission. Mais cela ne veut pas dire qu’une fois éloigné de ces communautés chrétiennes qu’il avait fait naître, il les oubliât et s’en désintéressât. Durant ses voyages, pendant ses haltes en un point ou un autre, il trouvait le temps de penser à ses amis lointains, et il leur écrivait des lettres, longues, détaillées, à la fois pleines d’affectueuses paroles et de sages conseils : ce sont les célèbres « épîtres » dont, aux messes du dimanche, on entend lire un fragment.
Représentons-nous Paul composant une de ses lettres. Il ne les écrit pas de sa main, bien qu’il sache parfaitement écrire, mais probablement parce que sa vue est devenue, très vite, mauvaise. Il les dicte à un secrétaire. La scène se passe dans un atelier de tisseur de tentes, car, tout au long de sa vie de missionnaire, Paul a tenu à gagner son pain afin de n’être à charge à personne. C’est le soir : les métiers à tisser ont cessé de battre et, sur la trame de l’étoffe, la navette ne tire plus le fil luisant. La flamme d’une lampe à huile dessine un rond de lumière jaune, dans lequel le secrétaire maintient la feuille de papier. Debout, tantôt se promenant de long en large, tantôt s’appuyant au métier, parfois bondissant quand le feu de sa pensée l’emporte, l’apôtre dicte, très tard dans la nuit. C’est ainsi que sont rédigés ces textes qui ont tant contribué à mieux faire comprendre le message du Christ et sa doctrine.
Car, évidemment, ce qu’il enseigne, lui, le témoin du Christ, ce n’est rien d’autre que ce que Jésus lui-même a appris au monde. Mais Paul était un homme d’une intelligence merveilleuse, qui avait réfléchi profondément sur les moindres paroles du Maître et qui, les ayant comprises mieux que personne, les expliquait comme on n’avait jamais fait avant lui. Et comme, en outre, son style était admirable, ces lettres familières, adressées à des groupes d’amis, sont en même temps parmi les plus grands chefs-d’œuvre de toute la littérature du monde. On aura une petite idée de la beauté de ces textes en lisant ces quelques lignes écrites à ses amis de Corinthe :
« Frères, voici un mystère que je vous révèle : tous, nous ne mourrons pas : tous nous ressusciterons. Oui, en un clin d’œil ! au son de la dernière trompette du Jugement dernier : et tous les morts ressusciteront, et tous nous serons transformés. Alors, quand notre corps mortel aura revêtu l’immortalité, nous pourrons nous tourner vers la Mort, et lui crier, comme il est dit dans la Sainte Écriture : — Mort, où es donc ta victoire ? où est l’aiguillon dont tu nous a percés ? »
X. LE TUMULTE D’ÉPHÈSE
Nous avons quitté Paul à Corinthe. Nous le retrouvons, deux ans plus tard, à Éphèse, autre grand marché, si important par son trafic qu’on l’appelait « la porte de l’Asie » : c’était là que les caravanes venues du lointain des terres, déchargeaient leurs marchandises qui étaient embarquées sur les navires de Méditerranée. Comme à Corinthe, tout un peuple de travailleurs et de petites gens s’y tassait à qui l’apôtre pourrait prêcher l’Évangile.
Il devait y rester longtemps, environ deux ans. Son ami Aquilas s’y était installé, comme tisseur de tentes, et Paul travaillait dans son atelier, du petit matin jusque vers onze heures (il devait travailler fort, car il rapporte lui-même que ses mains étaient devenues calleuses). Au milieu du jour, il allait dans un bâtiment d’école qu’il avait loué pour les heures où le professeur, n’y enseignait pas et où alors, lui, Paul, groupait tous ceux qui voulaient l’entendre. Après quoi, le reste du jour, il allait rendre visite aux infirmes, aux malades. Ainsi, une communauté grandissait : selon la douce coutume des premiers chrétiens, le soir, tous les baptisés se réunissaient en un dîner fraternel, où l’on célébrait, selon le rite enseigné par Jésus, l’Eucharistie par le pain et le vin.
Le Seigneur bénissait visiblement cet apostolat et Éphèse devenait une seconde Corinthe, un centre vivant de Christianisme. Dieu montrait la puissance de son apôtre par de nombreux miracles : il suffisait de poser un linge qui avait touché le saint sur un infirme ou un malade pour que, aussitôt, il fût guéri. Les prodiges furent même si éclatants que des espèces de charlatans juifs imaginèrent de les imiter et se mirent à proclamer qu’eux aussi ils avaient la puissance miraculeuse de l’Apôtre. Mais, un jour, il leur arriva une aventure cocasse : ils essayaient de chasser un démon qui était dans un homme :
— Va-t’en, nous te l’ordonnons par ce Jésus que prêche Paul !
Mais le démon, par la bouche du possédé, leur répondit :
— Je sais bien qui est Jésus et je connais bien Paul, mais vous, qui êtes-vous ?
Et se précipitant sur eux, il attrapa deux des charlatans et les traita si gentiment qu’ils durent s’enfuir nus et les côtes fort endolories.
Le succès de Paul à Éphèse était donc éclatant. Mais, comme toujours, il devait provoquer une réaction violente. La ville étant consacrée à la déesse païenne Artémis. Son temple était célèbre : une des merveilles du monde. Tout autour, dans des centaines de boutiques, on vendait aux visiteurs de petits objets en argent qui reproduisaient la statue de la déesse ou le temple en réduction. Un des marchands de ces objets se mit à crier comme un forcené :
— Les chrétiens nous ruinent ! Ils veulent ruiner Éphèse ! Ils disent que notre déesse n’existe pas, que ce n’est qu’une idole ! Qu’adviendra-t-il si leur doctrine se répand ? Personne ne viendra plus à Éphèse ! Personne n’achètera plus nos statuettes d’argent, nos petits temples ! Éphésiens, soulevez-vous et arrêtez ces malfaiteurs !
Et voilà qu’éclate une véritable émeute anti-chrétienne. Dans le théâtre, noir de monde, deux auxiliaires de Paul sont entraînés, et la foule veut leur faire un mauvais parti. Paul essaie de se lancer dans la bagarre : on le retient de peur qu’il ne lui arrive malheur. Des heures durant la ville entière fut en ébullition, et le Maire, en personne vint annoncer au peuple que l’affaire serait examinée par les magistrats municipaux, qui jugeraient si les chrétiens étaient ou non coupables. Une fois de plus se vérifiait l’annonce faite par le Christ : son message était bien un « signe de contradiction ».
XI. LA ROUTE DU SACRIFICE
Les mois de nouveau ont passé. Paul a repris le bâton d’infatigable marcheur du Christ. Il a revu encore plusieurs de ses églises en Asie et en Europe ; il est même retourné voir ses chers enfants de Corinthe. La mère de toutes les communautés, celle de Jérusalem, étant de plus en plus livrée au dénuement, à la persécution, il a organisé une vaste collecte pour elle parmi les églises de la chrétienté. Maintenant le voici sur un navire qui fait voile vers la Palestine, où il remettra aux Apôtres le résultat de la quête fraternelle.
Mais il sent en lui, le courageux missionnaire, un pressentiment tragique. Il devine qu’à Jérusalem une épreuve nouvelle l’attend, plus grave que celles qu’il a connues. Peut-être la mort. Mais il ne renoncera pas à faire route vers la Terre Sainte : au contraire ! il sait bien que son témoignage ne sera complet que lorsqu’il aura donné sa vie pour le Christ, qu’il sera mort martyr…
Quand il fait halte à Milet, ses amis d’Éphèse envoient une délégation pour le saluer, et il leur parle :
— Je sais que des tribulations et des souffrances m’attendent, mais je ne fais aucun cas de ma vie pourvu que je puisse remplir la mission que m’a confiée le Maître. Et vous, mes amis, je vous confie au Seigneur : qu’il vous donne votre part d’héritage dans son royaume, avec ses Saints !
Plus loin, à l’escale de Tyr, tout le petit noyau de chrétiens le supplie de rester avec eux, mais il refuse : l’Esprit-Saint l’appelle ; il ne désobéira pas… Et quand le navire s’éloigne, tous les chrétiens, assemblés sur le rivage, s’agenouillent, cependant que, debout à l’arrière, l’Apôtre les bénit…
Et voici que le voyage touche à sa fin. Paul a gagné Césarée. Il voit venir à lui un personnage bizarre, vêtu de peaux de bêtes, la barbe et la chevelure hirsutes, il se nomme Agabus, et il est prophète, comme l’étaient jadis Isaïe, Jérémie ou Jean-Baptiste. Dès qu’il est en présence de l’Apôtre, Agabus s’empare de sa ceinture, s’en lie les mains et les pieds en criant :
— Voilà comment sera lié, à Jérusalem, par les Juifs, celui à qui appartient cette ceinture ! Et il sera livré au pouvoir des païens !
En entendant Ces paroles prophétiques, les chrétiens, en pleurant, supplient l’Apôtre de renoncer à son projet :
— Pourquoi pleurer ainsi, reprend Paul, et me briser le cœur ? Je suis prêt, quant à moi, non seulement à être lié, mais à être tué pour le Christ… Et devant le calme courage de cet homme de foi sublime, les fidèles ne peuvent que murmurer :
— Que la volonté du Seigneur s’accomplisse !
(A suivre)
Soyez le premier à commenter