Sainte Catherine
La Sainte Catherine à Jagernault, le 25 novembre, avait toujours, de mémoire d’homme, été bellement fêtée. Toutes les demoiselles du pays qui avaient eu leurs vingt-cinq ans dans l’année étaient seules admises à venir coiffer et fleurir la sainte.
Elles étaient sept, cette année-là, sept belles jeunes filles qui semblaient aussi décidées qu’elles étaient fraîches et accortes : c’étaient Lise et Madeleine, Bernine et Javotte, la grande Linolette, et Pacaude et Ginette.
Mademoiselle Emérentienne, La gouvernante de Monsieur le Curé de Jagernault, les avait réunies ce dimanche-là après les vêpres, pour s’assurer de leur concours et les exhorter à faire bien les choses. Mais, à son grand scandale, elle se heurta à un refus.
« Or, ça, dit Lise d’un ton net, je n’en ferai rien cette année.
– Moi de même », dit Madeleine.
« Ne comptez pas sur nous non plus », s’écrièrent à la fois Bernine et Javotte.
« Il me sera impossible de venir », dit Linolette.
Et Pacaude et Ginette parlèrent de même.
« Qu’est-ce que cela signifie ? Perdez-vous la tête ? » s’écria Mademoiselle Emérentienne, confondue.
Les sept filles baissèrent le nez en prenant un air buté.
« C’est peut-être la crainte de rester filles qui vous fait hésiter ? » demanda Mademoiselle Emérentienne.
« Que non, dirent les filles, nous savons bien que, coiffant ou non sainte Catherine, nous sommes assez avenantes et jolies pour trouver des épouseurs quand le moment en sera venu.
– Alors, qu’y a‑t-il donc ?
– Il y a, éclata Javotte, il y a que la sainte Catherine de Jagernault est par trop laide et trop usée et que le moindre ornement à son égard est temps perdu.
– Trop laide ? trop usée ? se récria la gouvernante, une statue qu’on honore depuis des siècles ?
– Justement, dirent les filles. Elle est trop vieille. A Closille-sur-Armont, il y en a une grandeur nature, en plâtre peint, toute neuve et très belle. La nôtre est un déshonneur pour la paroisse. »
Bref, tant et tant discutèrent les sept demoiselles, qu’à la fin Mademoiselle Emérentienne promit d’en parler à Monsieur le Curé. Elle le fit, et Monsieur le Curé en parla à Monsieur le Marquis de Hochepaille, le seigneur du pays. Celui-ci était généreux, et il offrit à la paroisse une sainte Catherine en tous points conforme aux désirs de ces demoiselles…
* * *
Lorsque, le dimanche suivant, elles apprirent la chose, les sept filles de Jagernault se montrèrent enchantées et promirent de préparer une fête de sainte Catherine comme on n’en avait jamais vue.
« Bien, approuva Mademoiselle Emérentienne, vous trouverez la statue dans la sacristie la veille de la fête ; coiffez-la comme vous voudrez, placez-la où vous voudrez, fleurissez-la comme vous voudrez. N’épargnez pas votre peine et que ce soit parfait. »
* * *
La veille de la fête, vers la fin du jour, les sept filles de Jagernault se retrouvèrent à la sacristie. Chacune avait confectionné un bonnet pour la sainte, mais lorsqu’il fallut choisir, ce fut une belle bataille. Chacune voulait imposer sa coiffure, et ce que les demoiselles de Jagernault voulaient, elles le voulaient bien !
Bref, tant et tant elles se battirent autour de la statue que celle-ci finit par tomber et se briser en miettes.
Consternées, les sept filles se regardèrent sans paroles, le bonnet à la main. Qu’allait dire Mademoiselle Emérentienne ? Qu’allait dire Monsieur le Curé ? Si au moins elles avaient eu quelques heures pour se retourner et aviser au moyen de sortir de ce mauvais pas. Par exemple, en courant emprunter la sainte Catherine de Closille ! Mais Mademoiselle Emérentienne allait venir ; on l’attendait d’un moment à l’autre…
« Cachez les morceaux et laissez-moi faire, s’écria soudain Lise ; j’ai une idée…
– Moi aussi, j’ai une idée », renchérit Madeleine.
« Et moi aussi, et moi aussi », dirent toutes les autres.
Et elles s’éclipsèrent mystérieusement, après avoir balayé les morceaux et les avoir cachés sous le rideau qui abritait les soutanelles des enfants de chœur, et sans rien vouloir se dire les unes aux autres.
* * *
Lorsque Mademoiselle Emérentienne entra dans l’église, il y faisait déjà sombre ; la vieille femme, de plus, n’avait pas bonne vue. Elle distingua cependant une grande sainte Catherine coiffée d’un haut bonnet, dans un renfoncement, à droite de l’autel de la Sainte Vierge. Elle l’admira.
« Elles ont bien travaillé, se dit-elle ; mais pourquoi donc l’ont-elles mise dans un coin aussi noir ? »
Cependant, un peu plus loin, noyée dans l’ombre d’un gros pilier, à sa grande stupeur, Mademoiselle Emérentienne aperçut une seconde sainte Catherine, avec un bonnet à ailerettes. Intriguée, elle continua sa ronde. Et sous la chaire, près des fonts baptismaux, dans chaque chapelle latérale, il y avait une sainte Catherine…
Flairant une mystification, Mademoiselle Emérentienne se dirigea résolument vers la sacristie pour prendre le balai. Celui-ci se trouvait justement pendu au mur, près des soutanelles des enfants de chœur, si bien qu’en soulevant le rideau la gouvernante découvrit les débris de la nouvelle statue…
Ah ! je vous assure que l’exécution fut rapide, et, fumante de colère, Mademoiselle Emérentienne laissa les sept filles pleurant comme des Madeleines sur le seuil de l’église, se tamponnant les yeux de leurs petits bonnets, et partit à la recherche de Monsieur le Curé pour lui faire partager son courroux…
Alors, les demoiselles de Jagernault se ressaisirent. Elles ne craignaient point la colère de Monsieur le Curé, mais elles redoutaient son chagrin. Aussi, sans perdre une seconde, se mirent-elles à la recherche de la vieille statue de bois ; en peu de temps, elles la nettoyèrent, la levèrent, la repeignirent, l’habillèrent, la coiffèrent d’un bonnet confectionné sur-le-champ. Puis elles la fleurirent. Elles venaient de finir lorsque Monsieur le Curé entra dans son église. Elles illuminèrent alors toute la nef.
* * *
Et Monsieur le Curé qui s’attendait à une catastrophe, Monsieur le Curé qui n’avait rien dit, mais qui préférait de beaucoup sa vieille sainte Catherine de bois à la sainte Catherine de plâtre, Monsieur le Curé eut un sourire extasié. Mademoiselle Emérentienne elle-même sentit sa colère s’évanouir…
Et les sept filles de Jagernault s’en retournèrent bras dessus bras dessous, en chantant dans la nuit, coiffées de leurs petits bonnets quelque peu chiffonnés et encore humides de leurs larmes.
* * *
Il paraît qu’à Jagernault on continue à honorer la vieille statue de bois.
« Et, ajoute ma grand-tante de qui je tiens cette histoire, depuis lors les filles de plus de vingt-cinq ans ont gardé la coutume de parcourir les rues en bande joyeuse le jour de la fête de la sainte, en arborant les plus coquets bonnets du monde.
S. Lauriot-Prévost
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