Les 7 bonnets de sainte Catherine

Auteur : Lauriot-Prévost, Suzanne | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Sainte Catherine

La à Jager­nault, le , avait tou­jours, de mémoire d’homme, été bel­le­ment fêtée. Toutes les demoi­selles du pays qui avaient eu leurs vingt-cinq ans dans l’an­née étaient seules admises à venir coif­fer et fleu­rir la sainte.

Elles étaient sept, cette année-là, sept belles jeunes filles qui sem­blaient aus­si déci­dées qu’elles étaient fraîches et accortes : c’é­taient Lise et Made­leine, Ber­nine et Javotte, la grande Lino­lette, et Pacaude et Ginette.

Histoire pour la catéchèse des adolescents - Chapeau de la Sainte Catherine
Sta­tuette en bois sculp­té et poly­chrome, époque XVIII° : Ste Cathe­rine d’.

Made­moi­selle Emé­ren­tienne, La gou­ver­nante de Mon­sieur le Curé de Jager­nault, les avait réunies ce dimanche-là après les vêpres, pour s’as­su­rer de leur concours et les exhor­ter à faire bien les choses. Mais, à son grand scan­dale, elle se heur­ta à un refus.

« Or, ça, dit Lise d’un ton net, je n’en ferai rien cette année.

– Moi de même », dit Madeleine.

« Ne comp­tez pas sur nous non plus », s’é­crièrent à la fois Ber­nine et Javotte.

« Il me sera impos­sible de venir », dit Linolette.

Et Pacaude et Ginette par­lèrent de même.

« Qu’est-ce que cela signi­fie ? Per­dez-vous la tête ? » s’é­cria Made­moi­selle Emé­ren­tienne, confondue.

Les sept filles bais­sèrent le nez en pre­nant un air buté.

« C’est peut-être la crainte de res­ter filles qui vous fait hési­ter ? » deman­da Made­moi­selle Emérentienne.

« Que non, dirent les filles, nous savons bien que, coif­fant ou non sainte Cathe­rine, nous sommes assez ave­nantes et jolies pour trou­ver des épou­seurs quand le moment en sera venu.

– Alors, qu’y a‑t-il donc ?

– Il y a, écla­ta Javotte, il y a que la sainte Cathe­rine de Jager­nault est par trop laide et trop usée et que le moindre orne­ment à son égard est temps perdu.

– Trop laide ? trop usée ? se récria la gou­ver­nante, une sta­tue qu’on honore depuis des siècles ?

– Jus­te­ment, dirent les filles. Elle est trop vieille. A Clo­sille-sur-Armont, il y en a une gran­deur nature, en plâtre peint, toute neuve et très belle. La nôtre est un déshon­neur pour la paroisse. »

Bref, tant et tant dis­cu­tèrent les sept demoi­selles, qu’à la fin Made­moi­selle Emé­ren­tienne pro­mit d’en par­ler à Mon­sieur le Curé. Elle le fit, et Mon­sieur le Curé en par­la à Mon­sieur le Mar­quis de Hoche­paille, le sei­gneur du pays. Celui-ci était géné­reux, et il offrit à la paroisse une sainte Cathe­rine en tous points conforme aux dési­rs de ces demoiselles…

* * *

Statue sainte Catherine en platre - histoire pour les enfants du catéchismeLorsque, le dimanche sui­vant, elles apprirent la chose, les sept filles de Jager­nault se mon­trèrent enchan­tées et pro­mirent de pré­pa­rer une fête de sainte Cathe­rine comme on n’en avait jamais vue.

« Bien, approu­va Made­moi­selle Emé­ren­tienne, vous trou­ve­rez la sta­tue dans la sacris­tie la veille de la fête ; coif­fez-la comme vous vou­drez, pla­cez-la où vous vou­drez, fleu­ris­sez-la comme vous vou­drez. N’é­par­gnez pas votre peine et que ce soit parfait. »

* * *

La veille de la fête, vers la fin du jour, les sept filles de Jager­nault se retrou­vèrent à la sacris­tie. Cha­cune avait confec­tion­né un pour la sainte, mais lors­qu’il fal­lut choi­sir, ce fut une belle bataille. Cha­cune vou­lait impo­ser sa coif­fure, et ce que les demoi­selles de Jager­nault vou­laient, elles le vou­laient bien !

Bref, tant et tant elles se bat­tirent autour de la sta­tue que celle-ci finit par tom­ber et se bri­ser en miettes.

Conster­nées, les sept filles se regar­dèrent sans paroles, le bon­net à la main. Qu’al­lait dire Made­moi­selle Emé­ren­tienne ? Qu’al­lait dire Mon­sieur le Curé ? Si au moins elles avaient eu quelques heures pour se retour­ner et avi­ser au moyen de sor­tir de ce mau­vais pas. Par exemple, en cou­rant emprun­ter la sainte Cathe­rine de Clo­sille ! Mais Made­moi­selle Emé­ren­tienne allait venir ; on l’at­ten­dait d’un moment à l’autre…

« Cachez les mor­ceaux et lais­sez-moi faire, s’é­cria sou­dain Lise ; j’ai une idée…

– Moi aus­si, j’ai une idée », ren­ché­rit Madeleine.

« Et moi aus­si, et moi aus­si », dirent toutes les autres.

Et elles s’é­clip­sèrent mys­té­rieu­se­ment, après avoir balayé les mor­ceaux et les avoir cachés sous le rideau qui abri­tait les sou­ta­nelles des enfants de chœur, et sans rien vou­loir se dire les unes aux autres.

* * *

Lorsque Made­moi­selle Emé­ren­tienne entra dans l’é­glise, il y fai­sait déjà sombre ; la vieille femme, de plus, n’a­vait pas bonne vue. Elle dis­tin­gua cepen­dant une grande sainte Cathe­rine coif­fée d’un haut bon­net, dans un ren­fon­ce­ment, à droite de l’au­tel de la Sainte Vierge. Elle l’admira.

« Elles ont bien tra­vaillé, se dit-elle ; mais pour­quoi donc l’ont-elles mise dans un coin aus­si noir ? »

Cepen­dant, un peu plus loin, noyée dans l’ombre d’un gros pilier, à sa grande stu­peur, Made­moi­selle Emé­ren­tienne aper­çut une seconde sainte Cathe­rine, avec un bon­net à aile­rettes. Intri­guée, elle conti­nua sa ronde. Et sous la chaire, près des fonts bap­tis­maux, dans chaque cha­pelle laté­rale, il y avait une sainte Catherine…

Flai­rant une mys­ti­fi­ca­tion, Made­moi­selle Emé­ren­tienne se diri­gea réso­lu­ment vers la sacris­tie pour prendre le balai. Celui-ci se trou­vait jus­te­ment pen­du au mur, près des sou­ta­nelles des enfants de chœur, si bien qu’en sou­le­vant le rideau la gou­ver­nante décou­vrit les débris de la nou­velle statue…

Ah ! je vous assure que l’exé­cu­tion fut rapide, et, fumante de colère, Made­moi­selle Emé­ren­tienne lais­sa les sept filles pleu­rant comme des Made­leines sur le seuil de l’é­glise, se tam­pon­nant les yeux de leurs petits bon­nets, et par­tit à la recherche de Mon­sieur le Curé pour lui faire par­ta­ger son courroux…

Alors, les demoi­selles de Jager­nault se res­sai­sirent. Elles ne crai­gnaient point la colère de Mon­sieur le Curé, mais elles redou­taient son cha­grin. Aus­si, sans perdre une seconde, se mirent-elles à la recherche de la vieille sta­tue de bois ; en peu de temps, elles la net­toyèrent, la levèrent, la repei­gnirent, l’ha­billèrent, la coif­fèrent d’un bon­net confec­tion­né sur-le-champ. Puis elles la fleu­rirent. Elles venaient de finir lorsque Mon­sieur le Curé entra dans son église. Elles illu­mi­nèrent alors toute la nef.

* * *

Bonnet de la Sainte CatherineEt Mon­sieur le Curé qui s’at­ten­dait à une catas­trophe, Mon­sieur le Curé qui n’a­vait rien dit, mais qui pré­fé­rait de beau­coup sa vieille sainte Cathe­rine de bois à la sainte Cathe­rine de plâtre, Mon­sieur le Curé eut un sou­rire exta­sié. Made­moi­selle Emé­ren­tienne elle-même sen­tit sa colère s’évanouir…

Et les sept filles de Jager­nault s’en retour­nèrent bras des­sus bras des­sous, en chan­tant dans la nuit, coif­fées de leurs petits bon­nets quelque peu chif­fon­nés et encore humides de leurs larmes.

* * *

Il paraît qu’à Jager­nault on conti­nue à hono­rer la vieille sta­tue de bois.

« Et, ajoute ma grand-tante de qui je tiens cette his­toire, depuis lors les filles de plus de vingt-cinq ans ont gar­dé la cou­tume de par­cou­rir les rues en bande joyeuse le jour de la fête de la sainte, en arbo­rant les plus coquets bon­nets du monde.

S. Lau­riot-Pré­vost

Sainte Catherine d'Alexandrie - Histoire pour les Catherinettes
Sainte Cathe­rine d’Alexandrie

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