L’entrée du Christ en Suède et dans les Pays slaves

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 6 minutes

VII

Au delà de la Ger­ma­nie, il y avait, au nord, les pays scan­di­naves, à l’est et au sud-est, les pays slaves. dans les pre­miers, et dans les seconds, furent, au IXe siècle, des mis­sion­naires d’avant-garde.

Anschaire, en vieil alle­mand, signi­fie « jave­lot de Dieu ». Celui qui, il y a onze cents ans, por­tait ce nom ger­ma­nique, et qui de ce nom sut faire un sym­bole, était pour­tant de chez nous ; la Picar­die fut son berceau.

C’est du Béarn, terre fran­çaise, que la du IXe siècle reçut sa dynas­tie ; c’est de la Picar­die, terre fran­çaise, que la Suède du IXe siècle reçut son pre­mier apôtre. Char­le­magne, chez les Saxons, avait été le four­rier du Christ, un four­rier dont la poigne était rude, les rigueurs inflexibles. Alcuin sans cesse avait rap­pe­lé que le Christ ne veut devoir qu’à la per­sua­sion l’ac­cès des âmes. Lorsque, après Char­le­magne, le pres­tige impé­rial subit une éclipse, les méthodes d’a­pos­to­lat conseillées par les moines com­men­cèrent de pré­va­loir : le monas­tère de la Nou­velle-Cor­bie, en 822, s’ins­tal­lait au cœur de la West­pha­lie, non comme une for­te­resse soup­çon­neuse et dic­ta­to­riale, mais comme une pépi­nière d’a­pôtres désar­més, qui peu à peu s’en iraient au delà des Marches de l’Em­pire, por­teurs de la foi chré­tienne et de la culture chrétienne.

Histoire du Danemark et de la Suède pour les enfantsPar­mi eux, il y avait le jeune Anschaire ; et lors­qu’un roi de s’en fut deman­der à Louis le Pieux un appui pour son réta­blis­se­ment sur le trône, l’empereur, pour le voyage de retour, lui don­nait Anschaire comme com­pa­gnon. Tout de suite, par les soins du moine, s’ou­vrait près de la cour danoise une petite école de chris­tia­nisme. Le fleuve de l’Elbe, où s’é­taient arrê­tées, je ne dis pas les ambi­tions, mais du moins les conquêtes de Char­le­magne, était désor­mais fran­chi par la pro­pa­gande chré­tienne ; au delà du sol ger­ma­nique, cette pro­pa­gande visait la Scandinavie.

On put croire un ins­tant, même, que la Scan­di­na­vie l’at­ten­dait. De Suède, une ambas­sade arri­vait au palais impé­rial ; elle pré­ve­nait Louis le Pieux que les Sué­dois vou­laient des mis­sion­naires. Anschaire encore était dési­gné. Il fal­lait qu’il semât des germes, qu’il com­men­çât, auda­cieu­se­ment, un peu à l’a­ven­ture, la besogne de Dieu… Et Dieu lui-même conti­nue­rait, s’il voulait.

Il par­tit, empor­tant des cadeaux que Louis le Pieux offrait au roi de Suède, et dans son mince bagage il y avait aus­si qua­rante volumes des­ti­nés au ser­vice divin. En route, des pirates sur­girent, dépouillèrent Anschaire, ne lui lais­sant que la vie. Cela lui suf­fi­sait pour son œuvre.

Coloriage Évangélisation de la Suède pour les enfants
Récep­tion du Fran­cis­cain Rubrouck par le chef tar­tare Mangou.

Il débar­qua comme un pauvre, avec son com­pa­gnon Witt­mar. La seule richesse qui lui res­tât, c’é­tait sa foi, une richesse qu’il pou­vait dis­tri­buer à tout venant sans ris­quer de s’en appau­vrir lui-même ; et bien­tôt il la par­ta­geait avec le gou­ver­neur de la ville com­mer­çante de Bir­ca, qui se fai­sait chré­tien et qui, même, édi­fiait un sanc­tuaire dans son domaine. Le chris­tia­nisme en Suède avait désor­mais une racine, d’ailleurs bien fragile.

Saint Anschaire ou Oscar patron du DanemarkAnschaire, quelques années après, deve­nait arche­vêque de Ham­bourg et légat du pape Gré­goire IV, chez les Sué­dois, les Danois et les Slaves ; il consa­crait pour la Suède un évêque, qui, après quelques années de labeur, en était expul­sé ; et lui-même voyait les Nor­mands piller Ham­bourg et l’en chas­ser. Il deve­nait un arche­vêque sans rési­dence ; et pour que l’au­guste vaga­bond retrou­vât un coin de terre où poser sa crosse, Rome l’ins­tal­lait dans l’é­vê­ché de Brême.

Mais ce qui impor­tait à Anschaire, ce n’é­tait pas la fixi­té du domi­cile, c’é­tait, au delà de la Bal­tique, la lar­geur et la pro­fon­deur des ave­nues s’ou­vrant en plein monde païen. Les catas­trophes mêmes qui l’a­vaient déra­ci­né lui per­met­taient de s’a­ban­don­ner à ses rêves d’a­pôtre. De nou­veau, vingt jours durant, il navi­guait vers la Suède. On lui disait, à son arri­vée à Bir­ca, qu’il allait peut-être au-devant du mar­tyre ; il répon­dait en invi­tant le roi à dîner.

Saints Cyrille et Méthode évangélisateurs des SlavesLe roi consul­tait les dieux en recou­rant au sort, et la ques­tion qu’il leur posait était celle-ci : « Dois-je consen­tir qu’An­schaire prêche le Christ ? » Obsé­dé qu’il était par le mot du pro­phète Isaïe : « Archi­pels, écou­tez ! » Anschaire, à l’é­cart, priait. Les dieux répon­daient oui, et la voix de l’as­sem­blée popu­laire, à son tour, disait oui ; le roi rati­fiait la per­mis­sion don­née par ces deux sou­ve­rai­ne­tés. Anschaire avait le droit de prê­cher, et la Suède celui d’é­cou­ter. Quelque temps il prê­cha, puis d’autres mis­sion­naires lui succédèrent.

Mais peu d’an­nées après sa mort, l’in­dif­fé­rence des empe­reurs ger­ma­niques lais­sa vaciller et presque s’é­teindre le flam­beau de lumière que saint Anschaire avait allu­mé, et qu’a­près lui d’autres avaient recueilli, et ce sera seule­ment au XIe siècle qu’un nou­vel effort mis­sion­naire abou­ti­ra à la fon­da­tion du pre­mier évê­ché sué­dois. Anschaire n’a­vait pu ins­tal­ler aucune église durable ; tout au contraire, les deux Grecs, saint Cyrille et saint Méthode, que Ras­tis, duc des Moraves, appe­lait chez les Slaves de l’Ouest, eurent, dans le nord de la , un suc­cès écla­tant : ils habi­tuèrent les Slaves, dans les offices, à se ser­vir de la langue sla­vonne ; et les chré­tien­tés qu’ils orga­ni­sèrent se sen­tirent enchaî­nées à la foi du Christ par l’at­trait même qu’elles trou­vaient aux belles céré­mo­nies du culte. Si rapides furent leurs pro­grès, que ce seront des prêtres Moraves qui, au Xe siècle, por­te­ront l’É­van­gile en Pologne : là ou saint Cyrille et saint Méthode avaient prê­ché, des voca­tions mis­sion­naires sur­gis­saient, impa­tientes de por­ter tou­jours plus loin, tou­jours plus avant le nom du Christ.

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