Notre-Dame
Lorsque Tony, le vieux berger, partait pour la saison d’été vers l’alpage où il menait paître toutes les chèvres du hameau, il emmenait avec lui son chien « Patou » et « Canzonet », le petit sansonnet qu’il avait apprivoisé.
Tony l’avait recueilli avec ses frères, alors qu’ils n’étaient que de pauvres oiselets, que des gamins avaient jetés hors du nid maternel. Canzonet, le plus robuste, avait vécu, grâce aux bons soins du berger et aux miettes de pain trempées dans du lait dont celui-ci le gavait à l’aide d’un petit bâton. Il était devenu un joli sansonnet apprivoisé, très attaché à son maître et très doué pour le chant.
Durant ses longues heures de liberté, Tony, avec une patience inlassable, lui avait appris, à l’aide de son pipeau, toutes sortes d’airs montagnards et de cantiques. Mais celui que Canzonet sifflait le mieux et avec le plus de plaisir, tout comme son maître d’ailleurs, c’était : Ave, ave, ave Maria…
Tout le monde, dans ce coin de la montagne, connaissait Canzonet qui, en grandissant, prenait goût aux promenades de plus en plus lointaines. Mais les chasseurs d’isards, et aussi les douaniers, se gardaient bien d’épauler leurs fusils lorsqu’ils apercevaient le sansonnet de Tony.
« Attention, c’est le petit oiseau de l’Ave Maria. Il ne faut pas lui faire de mal, le vieux berger en aurait trop de chagrin… »
Et les gamins aussi le respectaient, se gardant bien de lui jeter des pierres.
Mais les oiseaux en promenade n’ont pas que les hommes et les enfants pour ennemis : il y a aussi les oiseaux de proie. Et quand Tony voyait Canzonet s’éloigner, il n’était pas tranquille du tout, surtout en mai, au moment de la saison des nids, car, pour nourrir leurs petits, les rapaces sont en chasse du matin au soir.
« Reste près de moi, Canzonet, mon petit ami : tu es un imprudent et tu te feras prendre, c’est moi qui te le dis ! »
Mais il faisait si bon sur les hauteurs ! Et puis, on a beau avoir un vieil ami, on reste un oiseau amoureux de sa liberté !
Et il arriva ce qui devait arriver, ce que le vieux Tony craignait.
Un beau jour que Canzonet, perché sur une branche, faisait sa toilette au soleil, un épervier, qui faisait tout là-haut sa tournée de chasse, l’aperçut et se mit à décrire, toutes ailes étendues, de grands ronds au-dessus de la proie qu’il avait repérée. Sa grande ombre tournait aussi dans l’herbe de la pente : Canzonet aurait pu l’apercevoir ; alors, l’oiseau de proie attendit astucieusement qu’un nuage cache le soleil pour commencer à rétrécir les cercles qu’il traçait, tout en descendant peu à peu.
Canzonet, sans méfiance, continuait sa toilette d’oiseau.
Tout à coup, l’épervier replia à demi ses ailes et se laissa tomber comme une pierre sur sa proie qu’il saisit entre ses serres avant de remonter vers le ciel. D’un mouvement énergique et rapide de ses deux grandes ailes, il reprenait lentement de la hauteur. Canzonet, revenu de sa stupeur, prenait conscience de sa situation tragique.
Perdu, il était bien perdu. L’oiseau de proie le tenait et l’emmenait là-haut vers son nid, dans le rocher. En deux ou trois coups de ce bec crochu qu’il voyait un peu au-dessus de lui, il serait bon pour le déjeuner des petits affamés.
Et, plein de regrets et de remords, le petit Canzonet, une dernière fois, se mit à siffler l’air qu’il aimait le mieux chanter : Ave, ave, ave Maria…
Stupéfait, l’oiseau de proie arrêta un instant l’effort de ses grandes ailes et perdit de la hauteur. Il se crut en danger, car il pensait avoir entendu l’homme, le berger, son ennemi, sifflant dans son pipeau. Pour fuir plus vite, il lâcha sa proie qui tomba, rapide, alors que lui remontait et disparaissait dans les nuages.
Canzonet se retrouva dans l’herbe, un peu meurtri, tout étourdi ; il se blottit dans une touffe afin de calmer le tremblement de peur qui l’agitait encore.
Pendant ce temps, Tony attendait son petit compagnon. Il était fort inquiet à son sujet car il ne l’avait pas vu depuis le matin :
« Que peut-il faire ? Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé ! »
Le soleil baissait. Du village, blotti au fond du vallon, monta le son argentin d’une cloche : dong ! ding ! dong !… Les trois coups bien connus de l’Angelus.
Le vieux berger se découvrit et pria. Jamais il ne manquait de réciter la Salutation à la Sainte Vierge. Puis, sa prière finie, il prit son pipeau : Ave, ave, ave Maria !
« Oh ! Marie, dit-il ensuite, le cœur serré d’inquiétude, je sais qu’un oiseau est une toute petite créature et que cela est bien hardi de venir vous importuner à son sujet, mais Canzonet est un si bon petit compagnon pour moi, je vous en prie, bonne Vierge, écartez de lui tout danger et rendez-le moi. »
Le petit oiseau, tapi dans l’herbe, avait entendu le pipeau de son ami. Il essaya ses ailes et regagna la cabane du berger. Arrivé près de lui, Canzonet se mit à siffler : Ave, ave, ave Maria !
« Oh ! te voilà, s’écria le berger tout joyeux, je te croyais perdu… »
Le petit oiseau ne pouvait lui expliquer sa tragique aventure ; il ne put que recommencer le chant connu : Ave, ave, ave Maria ! que le berger accompagna de son pipeau.
* * *
Non, Tony ne connaîtra jamais ce qui s’était passé, mais ce qu’il savait bien, c’est qu’il avait demandé à la Vierge Marie de protéger son petit oiseau et que celui-ci était revenu.
Et sa conviction s’affermit encore de ce fait que jamais plus, durant toute la saison d’été, Canzonet ne s’éloigna du lieu où son vieil ami menait paître ses chèvres. Et jamais, aux trois Angelus du jour, Canzonet ne manqua d’accompagner le pipeau qui sifflait la chanson aimée : Ave, ave, ave Maria !
M. D’Alençon.
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