Le petit oiseau de l’Ave Maria

Auteur : Alençon, M. d’ | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Notre-Dame

Histoire dévotion à Marie - Le sansonnet qui chante l'Ave MariaLorsque Tony, le vieux , par­tait pour la sai­son d’é­té vers l’al­page où il menait paître toutes les chèvres du hameau, il emme­nait avec lui son chien « Patou » et « Can­zo­net », le petit san­son­net qu’il avait apprivoisé.

Tony l’a­vait recueilli avec ses frères, alors qu’ils n’é­taient que de pauvres oise­lets, que des gamins avaient jetés hors du nid mater­nel. Can­zo­net, le plus robuste, avait vécu, grâce aux bons soins du ber­ger et aux miettes de pain trem­pées dans du lait dont celui-ci le gavait à l’aide d’un petit bâton. Il était deve­nu un joli san­son­net appri­voi­sé, très atta­ché à son maître et très doué pour le chant.

Durant ses longues heures de liber­té, Tony, avec une patience inlas­sable, lui avait appris, à l’aide de son pipeau, toutes sortes d’airs mon­ta­gnards et de can­tiques. Mais celui que Can­zo­net sif­flait le mieux et avec le plus de plai­sir, tout comme son maître d’ailleurs, c’é­tait : Ave, ave,

ave maria - henry morin jacques morianTout le monde, dans ce coin de la mon­tagne, connais­sait Can­zo­net qui, en gran­dis­sant, pre­nait goût aux pro­me­nades de plus en plus loin­taines. Mais les chas­seurs d’i­sards, et aus­si les doua­niers, se gar­daient bien d’é­pau­ler leurs fusils lors­qu’ils aper­ce­vaient le san­son­net de Tony.

« Atten­tion, c’est le petit de l’Ave Maria. Il ne faut pas lui faire de mal, le vieux ber­ger en aurait trop de chagrin… »

Et les gamins aus­si le res­pec­taient, se gar­dant bien de lui jeter des pierres.

Mais les oiseaux en pro­me­nade n’ont pas que les hommes et les enfants pour enne­mis : il y a aus­si les oiseaux de proie. Et quand Tony voyait Can­zo­net s’é­loi­gner, il n’é­tait pas tran­quille du tout, sur­tout en mai, au moment de la sai­son des nids, car, pour nour­rir leurs petits, les rapaces sont en chasse du matin au soir.

« Reste près de moi, Can­zo­net, mon petit ami : tu es un impru­dent et tu te feras prendre, c’est moi qui te le dis ! »

Mais il fai­sait si bon sur les hau­teurs ! Et puis, on a beau avoir un vieil ami, on reste un oiseau amou­reux de sa liberté !

Et il arri­va ce qui devait arri­ver, ce que le vieux Tony craignait.

Un beau jour que Can­zo­net, per­ché sur une branche, fai­sait sa toi­lette au soleil, un éper­vier, qui fai­sait tout là-haut sa tour­née de chasse, l’a­per­çut et se mit à décrire, toutes ailes éten­dues, de grands ronds au-des­sus de la proie qu’il avait repé­rée. Sa grande ombre tour­nait aus­si dans l’herbe de la pente : Can­zo­net aurait pu l’a­per­ce­voir ; alors, l’oi­seau de proie atten­dit astu­cieu­se­ment qu’un nuage cache le soleil pour com­men­cer à rétré­cir les cercles qu’il tra­çait, tout en des­cen­dant peu à peu.

Can­zo­net, sans méfiance, conti­nuait sa toi­lette d’oiseau.

coloriage epervier rapace en volTout à coup, l’é­per­vier replia à demi ses ailes et se lais­sa tom­ber comme une pierre sur sa proie qu’il sai­sit entre ses serres avant de remon­ter vers le ciel. D’un mou­ve­ment éner­gique et rapide de ses deux grandes ailes, il repre­nait len­te­ment de la hau­teur. Can­zo­net, reve­nu de sa stu­peur, pre­nait conscience de sa situa­tion tragique.

Per­du, il était bien per­du. L’oi­seau de proie le tenait et l’emmenait là-haut vers son nid, dans le rocher. En deux ou trois coups de ce bec cro­chu qu’il voyait un peu au-des­sus de lui, il serait bon pour le déjeu­ner des petits affamés.

Et, plein de regrets et de remords, le petit Can­zo­net, une der­nière fois, se mit à sif­fler l’air qu’il aimait le mieux chan­ter : Ave, ave, ave Maria…

Stu­pé­fait, l’oi­seau de proie arrê­ta un ins­tant l’ef­fort de ses grandes ailes et per­dit de la hau­teur. Il se crut en dan­ger, car il pen­sait avoir enten­du l’homme, le ber­ger, son enne­mi, sif­flant dans son pipeau. Pour fuir plus vite, il lâcha sa proie qui tom­ba, rapide, alors que lui remon­tait et dis­pa­rais­sait dans les nuages.

Can­zo­net se retrou­va dans l’herbe, un peu meur­tri, tout étour­di ; il se blot­tit dans une touffe afin de cal­mer le trem­ble­ment de peur qui l’a­gi­tait encore.

Pen­dant ce temps, Tony atten­dait son petit com­pa­gnon. Il était fort inquiet à son sujet car il ne l’a­vait pas vu depuis le matin :

« Que peut-il faire ? Pour­vu qu’il ne lui soit rien arrivé ! »

berger - MilletLe soleil bais­sait. Du vil­lage, blot­ti au fond du val­lon, mon­ta le son argen­tin d’une cloche : dong ! ding ! dong !… Les trois coups bien connus de l’.

Le vieux ber­ger se décou­vrit et pria. Jamais il ne man­quait de réci­ter la Salu­ta­tion à la Sainte Vierge. Puis, sa prière finie, il prit son pipeau : Ave, ave, ave Maria !

« Oh ! Marie, dit-il ensuite, le cœur ser­ré d’in­quié­tude, je sais qu’un oiseau est une toute petite créa­ture et que cela est bien har­di de venir vous impor­tu­ner à son sujet, mais Can­zo­net est un si bon petit com­pa­gnon pour moi, je vous en prie, bonne Vierge, écar­tez de lui tout dan­ger et ren­dez-le moi. »

Le petit oiseau, tapi dans l’herbe, avait enten­du le pipeau de son ami. Il essaya ses ailes et rega­gna la cabane du ber­ger. Arri­vé près de lui, Can­zo­net se mit à sif­fler : Ave, ave, ave Maria !

« Oh ! te voi­là, s’é­cria le ber­ger tout joyeux, je te croyais perdu… »

Le petit oiseau ne pou­vait lui expli­quer sa tra­gique aven­ture ; il ne put que recom­men­cer le chant connu : Ave, ave, ave Maria ! que le ber­ger accom­pa­gna de son pipeau.

* * *

Non, Tony ne connaî­tra jamais ce qui s’é­tait pas­sé, mais ce qu’il savait bien, c’est qu’il avait deman­dé à la Vierge Marie de pro­té­ger son petit oiseau et que celui-ci était revenu.

Et sa convic­tion s’af­fer­mit encore de ce fait que jamais plus, durant toute la sai­son d’é­té, Can­zo­net ne s’é­loi­gna du lieu où son vieil ami menait paître ses chèvres. Et jamais, aux trois Ange­lus du jour, Can­zo­net ne man­qua d’ac­com­pa­gner le pipeau qui sif­flait la chan­son aimée : Ave, ave, ave Maria !

M. D’A­len­çon.

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