Le pèlerinage du Basque

Auteur : Baussan, Charles | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Il était 11 heures du matin.

Histoire pour les enfants - pèlerinage d'un basque - Agent de police à ParisÀ , l’agent n° 217 reve­nait pour la cin­quan­tième ou la soixan­tième fois, le long du trot­toir, rue de la Cité, quand il aper­çut au milieu du par­vis Notre-Dame un ras­sem­ble­ment déjà énorme et qui gros­sis­sait toujours.

– Encore un acci­dent ! pensa-t-il.

Et, prêt à tirer son car­net pour le pro­cès-ver­bal, il quit­ta le trot­toir de son pas tran­quille et tra­ver­sa la foule. Au milieu, un homme était à genoux, la figure tour­née vers Notre-Dame.

Il avait une culotte courte, des guêtres de drap, une veste brune, et ser­rait dans ses mains un gour­din plan­té devant lui et coif­fé d’un béret. À côté de lui, une grande blanche har­na­chée de pom­pons rouges, le poi­trail enguir­lan­dé de gre­lots qui tin­taient, levait la tête, dres­sait les oreilles.

L’agent mit sa main sur l’é­paule de l’homme :

— Levez-vous, que faites-vous là ? Com­ment vous appelez-vous ?

L’homme se retour­na, vit le képi, l’u­ni­forme. Il se rele­va et mit son béret.

Récit pour les jeunes du catéchisme - Mule du pèlerin basqueIl était petit, mais tout car­ré, car­ré de tête, car­ré d’é­paules. La mule ten­dit le cou, et, répon­dant à cette avance, il lui don­na une petite tape d’a­mi­tié qui fit carillon­ner les gre­lots. Après quoi, il dit à l’agent :

— Je m’ap­pelle José Irri­goyen. Je suis mule­tier à Elhio­ga­ra, à trois lieues de Saint-Jean-de-Luz ; il y a deux mois, ma femme a eu de mau­vaises fièvres, et j’ai pro­mis, si elle gué­ris­sait, de venir faire ma , avec ma mule, à Paris, devant la grand’­porte de Notre-Dame. Ma femme a gué­ri, et me voi­là. Je fais ma prière.

— Vous faites un rassemblement.

— Moi ? Je ne ras­semble rien du tout. Je n’ai besoin de per­sonne, et je ne cherche per­sonne. Je suis venu tout seul d’El­hio­ga­ra avec ma mule. Y a pas de loi, je pense, qui défende de cau­ser sur une place avec un ami. Moi, je cause au bon Dieu. Ceux que ma conver­sa­tion gêne n’ont qu’à ne pas écou­ter. Je n’é­coute pas la leur. Je suis venu ici pour faire ma prière devant Notre-Dame : qu’on me laisse faire.

La foule riait, amu­sée : ouvriers sor­tant des usines, trot­tins flan­qués de leurs car­tons, bou­lan­gers avec leurs voi­tures… Du haut des omni­bus, les voya­geurs se pen­chaient pour voir. Une voix éraillée gla­pit, à plu­sieurs por­tées du gourdin :

— Ah ! là, là ! calo­tin, as-tu fini ?

Mais une autre voix tonna :

— Bra­vo ! le  !

Et d’autres, petites et grosses, répétèrent :

— Bra­vo, le Basque !

L’agent se fâcha.

— Assez d’his­toires, dit-il, suivez-moi.

Et il prit la mule à la bride. La mule recu­la et rai­dit le cou.

Histoire pour les jeunes - Basque— Lâchez ma mule, cria Irri­goyen, elle va vous mordre. Lâchez ma mule et lais­sez-moi tran­quille. À quoi ça ser­vi­rait de m’ar­rê­ter ? Fau­drait que le gou­ver­ne­ment nour­risse ma mule. Et moi, vous ne me gar­de­rez pas toute ma vie en pri­son. Sitôt sor­ti, je revien­drai là. Je n’ai pas fait quatre cents lieues à pied pour le roi de Prusse. Vous ima­gi­nez pas que je vas m’en retour­ner comme ça refaire mes quatre cents autres lieues ! Sans vous, à l’heure qu’il est, ma prière serait déjà faite et je serais à l’au­berge ; ce qui ne me déplai­rait pas ni à ma mule non plus. Vous m’a­vez fait perdre mon temps et vous per­dez le vôtre. Je suis venu d’El­hio­ga­ra pour faire ma prière là où je suis et je la ferai.

À ce moment, une dame qui sor­tait de l’é­glise se fau­fi­la entre les coudes, par­vint jus­qu’à Irri­goyen et lui mit un doigt sur la manche.

— Mon ami, dit-elle, je pense comme vous ; je vous approuve et je vous admire. Vous don­nez là un bel exemple dont nous devons tous pro­fi­ter. Mais cepen­dant, en per­sis­tant à vou­loir faire ici votre prière (comme c’est votre droit) en pleine place publique, au milieu de cette foule, ne crai­gnez-vous pas de paraître ridi­cule, et, ce qui est plus grave, d’at­ti­rer les moque­ries sur la reli­gion ?… sur notre reli­gion ? À quoi bon cette démons­tra­tion sur une place ? Croyez-moi, entrez plu­tôt à Notre-Dame, je me charge de votre mule et la ferai conduire à l’hô­tel où elle sera bien soi­gnée. Entrez à Notre-Dame. Vous prie­rez là dans le calme, dans le recueille­ment aus­si long­temps que vous voudrez.

prière du pèlerin— Madame, dit José, vous êtes savante, je ne suis qu’un mule­tier. Mais vous ne connais­sez pas ma mule. J’aime l’é­glise et j’y vais le dimanche et les fêtes, sans faute, et dans la semaine quand je peux. Mais ce que j’aime aus­si, c’est le soleil, c’est le grand jour, et ce que je n’aime pas, c’est me cacher. Et puis, ce n’est pas ça l’af­faire. Ce qui est pro­mis est pro­mis ; quand je vends une mule grise, je ne livre pas une mule noire. J’ai pro­mis de venir ici, avec ma mule, faire ma prière devant la grand’­porte de Notre-Dame, et je la ferai comme j’ai dit, pas autre­ment. Après, quand elle sera faite, j’en­tre­rai à Notre-Dame et je dirai un Ave pour que le bon Dieu vous fasse aimer le soleil.

La dame leva les bras au ciel et les lais­sa retom­ber. L’agent regar­da le Basque qui le regardait.

— Allons, faites votre prière, dit-il, et dépêchez-vous.

— Je ne me dépêche jamais, dit Irrigoyen.

Il se remit à genoux, posa son gour­din devant lui et son béret sur son gour­din. Sa mule pen­chait la tête tout près de lui. Et ain­si, sabrant la foule d’un large signe de croix, large de toute la lar­geur de ses épaules, et ne regar­dant rien, ne voyant rien, si ce n’est, par-des­sus la cohue des têtes, le haut des tours enso­leillées, Irri­goyen, mal­gré amis et enne­mis, fit sa prière, comme il l’a­vait dit, devant la grand’­porte de Notre-Dame, avec sa mule.

Charles Baus­san.
Fleurs de paix et fleurs de guerre

coloriage Portail Notre-Dame de Paris

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