L’apôtre des campagnes françaises

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 12 minutes

III

Saint Martin

fut, au IVe siècle, le grand mis­sion­naire du pays qui s’ap­pelle aujourd’­hui la France. En ce temps-là, la , pro­vince romaine, pos­sé­dait des grandes villes, comme Lyon, Tou­louse, Bor­deaux, , Paris ; mais elles étaient rares, et d’im­menses forêts cou­vraient le sol de France ; les terres culti­vées, les terres des pay­sans, se trou­vaient ain­si sépa­rées les unes des autres, et très iso­lées. Tan­dis que les villes étaient en grande par­tie conver­ties au chris­tia­nisme, la foi n’a­vait pas péné­tré assez avant dans les cam­pagnes ; elles étaient res­tées païennes pour la plu­part ; d’ailleurs, le nom de païen vient du latin paga­nus, pay­san ; cette éty­mo­lo­gie prouve la len­teur que les habi­tants des cam­pagnes met­taient à deve­nir chrétiens.

Histoire pour les jeunes des missions en Gaule
Fran­cis­caines Mis­sion­naires de Marie. Les Cha­te­lets : Novices en récréation.

En Gaule, il ne res­tait plus guère de la reli­gion des Druides que la croyance aux divi­ni­tés des fon­taines, aux arbres-fées ; les Romains avaient appor­té avec eux leurs faux dieux, leurs idoles ; les pay­sans les avaient adop­tés, mélan­gés avec leurs divi­ni­tés gau­loises ; le tout était confus, et c’é­taient sur­tout des superstitions
qui fai­saient le fond de la reli­gion populaire.

Récit des missions pour les colonies de jeunes
Fran­cis­caines Mis­sion­naires de Marie. La Cha­te­lets : Le Vieux Manoir.

Saint Mar­tin naquit de parents païens, en Pan­no­nie, pro­vince romaine des bords du Danube. Son père était offi­cier. Sa famille, un jour, quit­ta la Pan­no­nie pour s’é­ta­blir en Ita­lie : Mar­tin fut éle­vé à Pavie. C’est là qu’il apprit à connaître et à aimer la reli­gion du Christ ; et, à dix ans, mal­gré l’op­po­si­tion de ses parents, il alla trou­ver des prêtres chré­tiens et leur deman­da de le pré­pa­rer au bap­tême. Ceux qui dans la pri­mi­tive Église s’ins­trui­saient en vue de ce sacre­ment por­taient le titre de chré­tiens, bien que le bap­tême ne leur fût don­né par­fois qu’a­près plu­sieurs années d’at­tente : tel fut le cas de saint Mar­tin, qui ne le reçut qu’à vingt-deux ans.

Mais dès l’âge de douze ans, il sen­tait en lui un attrait irré­sis­tible pour la vie que menaient dans le désert les moines d’O­rient. Prier Dieu, vivre dans la pau­vre­té, même dans la pri­va­tion des choses les plus néces­saires à la vie, tel était son désir. Ses père et mère, scan­da­li­sés par de sem­blables goûts, le for­cèrent à entrer dans la car­rière mili­taire à l’âge de quinze ans. Il devait res­ter dans l’ar­mée durant huit années, conscien­cieux, fai­sant son devoir de sol­dat, mais menant dans les gar­ni­sons, dans les camps, une vie qui n’é­tait qu’un exemple constant de ver­tu et de cha­ri­té : il n’é­tait pas de ceux qui rou­gissent de leur Dieu devant les hommes, qui craignent les moque­ries et les rica­ne­ments lors­qu’ils pra­tiquent ouver­te­ment leur reli­gion. Mar­tin était avant tout un bon sol­dat du Christ.

Maison de formation des religieuses missionnaires
Impri­me­rie des Fran­cis­caines Mis­sion­naires de Marie à Vanves : Fonte des carac­tères d’imprimerie.

C’est à l’é­poque où il tenait gar­ni­son à Amiens qu’on raconte de lui le trait de cha­ri­té qui a été répé­té à sa louange le long des siècles. Saint Mar­tin, de par son grade, était tenu de faire des tour­nées dans le pays pour veiller au bon ordre et à la sécu­ri­té des habi­tants. Mais il ne se conten­tait pas d’ob­ser­ver la consigne de son métier, il secou­rait les pauvres, si nom­breux sur­tout par les hivers rigou­reux, leur don­nait des vivres, des vête­ments. Un cer­tain matin, il ren­trait de sa tour­née d’ins­pec­tion et de cha­ri­té, matin gla­cial qui suc­cé­dait à une nuit plus froide encore. Au cours des heures pré­cé­dentes, il avait vidé sa bourse dans la main de ceux qui avaient faim et froid ; il s’é­tait par sur­croît, pour ces membres souf­frants de Jésus-Christ, dépouillé de ses vête­ments, à l’ex­cep­tion de sa chla­myde, man­teau mili­taire dont il s’en­ve­lop­pait par-des­sus sa tunique et sa cui­rasse. Tout à coup il voit devant lui un mal­heu­reux com­plè­te­ment nu. Son cœur aus­si­tôt est ému de pitié ; mais il se désole de n’a­voir plus rien à don­ner ; il espère que par­mi ses com­pa­gnons d’armes il y en aura bien un pour secou­rir le misé­rable tran­si de froid : aucun ne s’ar­rête ; alors, reve­nant près de lui, il enlève son man­teau, le fend en deux et en donne la moi­tié au men­diant. Lui-même se couvre tant bien que mal avec l’autre moi­tié, et cer­tains se moquent de lui en le voyant ain­si accou­tré. Que lui importe, et qu’im­porte, aus­si, s’il sent à son tour les mor­sures de la gelée : son frère en Jésus-Christ n’a plus froid. La nuit sui­vante, Jésus lui appa­rut dans son som­meil : la moi­tié du man­teau que Mar­tin avait don­née revê­tait le Sau­veur, il était entou­ré d’anges ; et Mar­tin enten­dit ces paroles : « Mar­tin, encore can­di­dat au bap­tême, m’a revê­tu de ce manteau. »

Récit des missions chrétiennes du st Paul au VVe siècle
Fran­cis­caine Mis­sion­naire de Marie, relieuse. Mai­son de Vanves.

L’an­née sui­vante, Mar­tin était bap­ti­sé, et deux ans plus tard il récla­ma son congé de l’empereur Constant : « Je suis désor­mais sol­dat du Christ, décla­rait-il, et il ne m’est plus per­mis de por­ter les armes. » Constant, qui ras­sem­blait à ce moment-là ses troupes pour com­battre les Francs, s’emporta por­ta contre Mar­tin : « La reli­gion n’est qu’un pré­texte, lui dit-il ; tu veux fuir la bataille qui se livre­ra de-main. » Mais Mar­tin s’é­cria : « Puisque tu ne crois pas en ma sin­cé­ri­té, que tu me prends pour un lâche, fais-moi mar­cher seul et sans armes, demain, contre l’ar­mée enne­mie ; et au nom de Jésus, pro­té­gé par le signe de croix, j’i­rai sans crainte. » L’empereur accepte ce qu’il appelle un défi, il fait gar­der Mar­tin jus­qu’au len­de­main matin ; mais, à l’heure où devait se livrer la bataille,les Francs, pris d’une crainte mys­té­rieuse, envoient des dépu­tés à l’empereur pour deman­der la paix.

Après qu’il eut quit­té l’ar­mée, Mar­tin alla rejoindre comme dis­ciple saint Hilaire, évêque de Poi­tiers. Hilaire prit vite en ami­tié un chré­tien qui réglait en tout sa vie sur celle du Christ. Il com­prit quel apôtre il trou­vait en lui pour évan­gé­li­ser le pays autour de Poi­tiers ; mais Mar­tin lui annon­ça bien­tôt que son devoir l’ap­pe­lait en Pan­no­nie, pour conver­tir ses parents. Il par­tit donc, et tout le long du che­min évan­gé­li­sa les cam­pagnes ; il fit un grand nombre de conver­sions. Arri­vé chez les siens, il eut la joie de gagner sa mère à la foi chré­tienne et la dou­leur de voir son père résis­ter à ses exhor­ta­tions et à ses prières. Mais ses pré­di­ca­tions en Pan­no­nie ame­nèrent beau­coup de païens au Christ.

Saint Martin le treizième apôtreEn ce temps-là, l’a­ria­nisme rava­geait l’É­glise. Les ariens étaient des héré­tiques qui niaient que Notre-Sei­gneur Jésus-Christ fût le Fils de Dieu. Saint Mar­tin leur fut un adver­saire redou­table et les com­bat­tit avec autant de zèle qu’il en met­tait à conver­tir les païens. Il ne res­ta pas en Pan­no­nie, car il avait pro­mis à Hilaire de reve­nir en Gaule. Ce fut à son retour qu’il fon­da l’ab­baye de Ligu­gé, non loin de Poi­tiers, dans la val­lée du Clain ; c’é­tait le pre­mier monas­tère de la Gaule occi­den­tale : oh ! pauvre entre les pauvres ! Mar­tin com­men­ça par se construire une cabane ; peu à peu d’autres moines vinrent le rejoindre : les uns habi­taient une cabane comme lui, d’autres choi­sis­saient, pour s’a­bri­ter, des grottes creu­sées dans le rocher. Ils vivaient dans le silence, la prière et la pau­vre­té abso­lue, ne quit­tant leur retraite que pour se répandre dans la contrée et y prê­cher le vrai Dieu.

Entre tous, Mar­tin était ani­mé du désir de conqué­rir des âmes, et plu­sieurs miracles accrurent encore sa répu­ta­tion de sain­te­té. Elle se répan­dit au loin ; et c’est ain­si que les Tou­ran­geaux, leur évêque étant mort, réso­lurent d’ap­pe­ler Mar­tin à le rem­pla­cer. Ils allèrent le trou­ver dans sa retraite de Ligu­gé, mais aucune de leurs sup­pli­ca­tions ne put le déci­der à accep­ter l’é­pis­co­pat. Alors ses futurs dio­cé­sains usèrent d’un stra­ta­gème. Comme ils savaient qu’il ne refu­sait jamais de sou­la­ger son pro­chain, ils envoyèrent vers lui un cer­tain Ruri­cius. Celui-ci se jeta à ses genoux et le pria avec larmes de venir voir sa femme malade. Mar­tin sui­vit aus­si­tôt le pauvre sup­pliant ; mais à peine s’é­tait-il éloi­gné du monas­tère, qu’une troupe de gens l’en­tou­ra, le sai­sit et l’emmena à Tours. Là, une foule l’at­ten­dait, l’ac­cueillait avec des trans­ports de joie et l’ac­cla­mait évêque de Tours. Mar­tin se rési­gna à sa charge nou­velle, et jamais évêque ne fut plus que lui père de tous ses diocésains.

Vie de Saint Martin pour les scouts
Mai­son des Cha­te­lets (Côtes-du-Nord): Céré­mo­nie de départ des Fran­cis­caines Mis­sion­naires de Marie.

Il avait gar­dé sa sim­pli­ci­té de vie, sa fru­ga­li­té : il ne voya­geait que mon­té sur un âne et sans escorte d’ap­pa­rat. Il était indul­gent pour le pécheur, tout en haïs­sant le péché. Il met­tait la paix par­tout où il pas­sait. Près de Tours, il fon­da le monas­tère de Mar­mou­tier, où il se reti­rait tout le temps que lui lais­saient ses devoirs d’é­vêque, et menait la vie de prières qu’il avait ins­ti­tuée à Ligu­gé. Et de Mar­mou­tier comme de Ligu­gé, des essaims de moines s’en allèrent pour conver­tir les pays envi­ron­nants. Saint Mar­tin, lui, mul­ti­pliait de plus en plus les voyages, et de nom­breux miracles mar­quaient son pas­sage par­mi les popu­la­tions païennes. Il avait bien la foi qui trans­porte les mon­tagnes. Il allait sans jamais connaître la crainte, quoique plus d’une fois des païens aient essayé de l’as­sas­si­ner ; sans sou­ci de leurs menaces, il ren­ver­sait les idoles ; et de ses propres mains, secon­dé par ses moines, et bien plus encore par les aides d’en haut que Dieu lui envoyait, il détrui­sait les temples et cer­tains arbres sacrés devant les­quels les païens ne pou­vaient pas renon­cer à s’agenouiller.

On raconte à ce sujet que saint Mar­tin, alors qu’il évan­gé­li­sait le pays des Éduens, vou­lut abattre un de ces pins sacrés d’une hau­teur excep­tion­nelle, objet d’un culte tout spé­cial. Il s’ap­pro­chait de l’arbre avec ses com­pa­gnons, mais une foule hos­tile leur bar­rait le che­min. Saint Mar­tin essaya d’ex­pli­quer à ces païens qu’ils n’a­vaient dans ce pin qu’un arbre comme un autre ; les audi­teurs ne se lais­saient pas convaincre, et un des pay­sans, s’ap­pro­chant de lui, lui dit en se moquant : « Nous allons l’a­battre, mais tu te met­tras des­sous quand il tom­be­ra. » Saint Mar­tin accep­ta le mar­ché, au grand effroi de ses com­pa­gnons, et se lais­sa lier au pied de l’arbre. Aus­si­tôt les cognées com­mencent à atta­quer le tronc. Bien­tôt des cra­que­ments aver­tissent de la chute pro­chaine de l’arbre. Il s’a­bat de toute sa hau­teur, mais au moment où il va écra­ser le saint, celui-ci, d’un signe de croix, le rejette en arrière, et l’arbre va tom­ber au milieu des païens épou­van­tés. Ils s’en­fuient, mais reviennent bien­tôt et se conver­tissent en masse.

Lui, qui avait dès l’en­fance rêvé d’une vie de soli­tude, fut contraint, pour l’a­mour des âmes, à des courses. per­pé­tuelles. Il par­cou­rut dans tous les sens une grande par­tie de la Gaule.

Coloriage de Saint Martin et le miracle du pin sacré
À la voix de saint Mar­tin, l’arbre sacré s’a­bat sur les païens.

Après toute une vie consa­crée à Dieu et à ses frères, saint Mar­tin mou­rut à Candes, à cin­quante kilo­mètres envi­ron de Tours. Quoique très souf­frant, sachant sa mort pro­chaine, il s’é­tait fait por­ter dans cette paroisse pour y remettre la concorde entre les clercs. Là, cou­ché sur un lit de sangle, il atten­dait l’heure de son rap­pel à Dieu. Ses frères accou­rus près de lui se lamen­taient ; il les conso­lait en leur disant que s’il leur était encore utile, Dieu pro­lon­ge­rait ses jours. Comme il est dit dans son office, « il ne crai­gnait pas de mou­rir, il ne refu­sait pas de vivre. » Et ain­si cet homme de paix s’en­dor­mit dans la paix du Seigneur.

On a nom­mé saint Mar­tin le trei­zième apôtre, et il n’est pas un saint auquel on ait consa­cré autant d’é­glises, non seule­ment en France, mais dans toute l’Eu­rope chrétienne.


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2 Commentaires

  1. Pincemaille a dit :

    Je connais le vil­lage de Can­dé St. Mar­tin, près de Fon­te­vrault, avec le vitrail rela­tant l’en­lè­ve­ment de son corps, les fidèles de Tours et ceux de Poi­tiers se le dis­pu­tant. Dans cette église se trouve une dalle indi­quant l’en­droit pré­cis où était cou­ché le Saint au moment de son retour vers le Christ.
    Son nom de Mar­tin vient, en effet, du dieu Mars auquel sa famille avait vou­lu le consa­crer, d’où son pas­sé mili­taire et, non seule­ment, son nom est atta­ché à un nombre infi­ni d’é­glises et de com­munes de France, mais ce patro­nyme est un des plus répan­dus dans notre pays ! Puissent les Fran­çais s’en souvenir.
    Ami­tiés à vous tous et mer­ci pour vos récits tou­jours si ins­truc­tifs et priants.

    20 septembre 2015
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    • Le Raconteur a dit :

      Mer­ci pour ces détails qui com­plètent la fresque de la vie de saint Martin.

      Moi aus­si j’af­fec­tionne par­ti­cu­liè­re­ment saint Mar­tin ; je suis d’o­ri­gine tou­ran­gelle. Et pour aller à Cande-Saint-Mar­tin, il suf­fi­sait de tra­ver­ser le pont sur la Loire lorsque nous allions chez ma grand-mère !
      Vous com­pren­drez que votre com­men­taire me touche. Encore une fois, merci.
      Le raconteur.

      22 septembre 2015
      Répondre

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