Jacinte, la plus jeune des trois voyants de Fatima, était une jolie enfant, brune, les traits réguliers, avec des yeux vifs et profonds. Intelligente et fine, son bon cœur, son caractère tendre et doux la rendaient aimable à tous.
Onzième enfant de la famille Marto, ses grandes sœurs et ses frères la choyaient à l’envi. Parfois, Olimpia, la mère, grondait ses aînés parce qu’ils gâtaient trop la petite. Mais au fond, les succès de sa benjamine flattaient et réjouissaient son cœur.
Cette fervente chrétienne avait toujours hâte de voir grandir ses enfants pour leur enseigner les prières et les premières vérités de la religion. Jacinte et son frère François, de deux ans plus âgé, apprirent de leur maman à aimer Jésus et Marie.
De temps en temps, la mère réunissait autour d’elle tous ses enfants pour une sorte de catéchisme familial. Le foyer d’Olimpia était profondément religieux, comme celui de sa belle-sœur, Maria-Rosa, mariée à Antonio dos Santos.
Deux maisons basses et modestes, situées à quelques minutes du bourg de Fatima, abritaient ces familles nombreuses. À côté du logis, la bergerie, l’aire, puis le jardin où le puits creusé dans le roc se cachait sous l’ombre épaisse des figuiers.
Dans chaque demeure, sur la muraille blanchie à la chaux, le crucifix s’entourait d’images pieuses devant lesquelles, chaque soir, parents et enfants s’agenouillaient pour la prière.
En cette contrée montagneuse du Portugal, la population restait simple, chrétienne, laborieuse. Le travail était dur pour cultiver la vigne et le blé dans les étroites bandes de terre enclavées dans les rochers. Les troupeaux qui broutaient le long des collines constituaient la richesse du pays. Pour les garder, beaucoup d’enfants manquaient l’école et ne savaient ni lire, ni écrire.
Cette vie monotone n’était coupée que par le repos du dimanche, vrai jour du Seigneur. Tous venaient à la messe, même les habitants des hameaux les plus écartés.
Fatima, loin des villes, avec des chemins rocailleux, impraticables, restait comme un îlot préservé au milieu du Portugal, sur lequel passait une terrible vague d’impiété et d’anarchie.
Cette nation, jadis très prospère, alors ruinée, déchirée par les haines, le communisme, les persécutions religieuses, semblait courir à l’abîme.
Certes, nul ne se doutait que des montagnes obscures de Fatima, viendrait, au Portugal, un message de paix et de résurrection !
Les bergers
Jacinte et son frère François ne jouent qu’avec leur cousine Lucie dos Santos, élevée comme eux par une maman qui veille sur la pureté de son âme et place avant tout la franchise, la probité, les vertus chrétiennes. Lucie, née en 1907, est l’aînée de ses cousins.
Un jour, dans la maison de Lucie, pour faire plaisir à Jacinte, on s’amuse au jeu des « gages ».
Lucie ayant gagné commande à Jacinte d’embrasser un grand cousin occupé à écrire :
— « Cela non », répond la petite, « commande-moi autre chose. Pourquoi tu ne me fais pas embrasser Notre-Seigneur qui est là ? »
Et du doigt, elle montre le crucifix accroché à la muraille.
— « Tu as raison … monte sur une chaise, porte-le ici, et, à genoux, fais-lui trois baisers, un pour François, un pour toi et un pour moi. »
— « À Jésus, j’en ferai tant que tu voudras ! »
Jacinte court détacher le crucifix et le baise avec ferveur. Ensuite, contemplant l’image du Sauveur, elle interroge :
— « Pourquoi le bon Jésus est-il cloué sur une croix ? »
— « Parce qu’il est mort par amour pour nous. »
— « Raconte-nous cela ! »
Lucie commence le récit, mais Marie, sa sœur aînée, rentre et gronde Lucie d’avoir pris le crucifix. Il ne faut pas jouer avec les objets bénits !
— « Ne la gronde pas, cousine », interrompt Jacinte, « c’est moi qui l’ai décroché, je n’y reviendrai plus ! »
Marie pardonne et envoie les enfants jouer dans le jardin. Alors, dans un coin solitaire, sous les grands châtaigniers, Lucie reprend le récit de la Passion. En entendant raconter les souffrances de Jésus, Jacinte s’attendrit et pleure :
— « Pauvre Seigneur ! Je ne ferai plus de péchés ! Je ne veux plus que Jésus souffre ! »
Plus tard, les deux petits prient Lucie de les instruire pour qu’ils puissent communier, et ils écoutent avidement ce que dit leur cousine.
Mais Lucie, qui grandit, va garder le troupeau de la famille dans la montagne et ne rentre qu’au crépuscule.
François et Jacinte supplient leur maman de les laisser suivre leur cousine, et quand Olimpia consent, leur joie éclate.
Ce n’est plus seulement Lucie qui parlera du Seigneur aux enfants. La nature dans sa beauté va aussi élever leur âme.
Jacinte aime passionnément les fleurs. Parmi les herbes fraîches des hauteurs, le bon Dieu les fait croître à profusion, surtout les lis et les pivoines sauvages qu’elle ne se lasse pas d’admirer.
Dans les vallons, Jacinte a découvert un écho. Assise sur un rocher avec ses petits compagnons, elle crie de sa voix claire, tous les mots de l’Ave Maria que l’écho docile redit. La montagne, elle aussi, prie la Sainte Vierge !
Le soir, Jacinte contemple longuement les teintes merveilleuses du soleil couchant. Puis, dès que paraissent les étoiles, elle s’amuse à les compter. La lune est pour elle « la lampe de la Sainte Vierge », les étoiles « les lampes des anges », et le soleil, lui, la « lampe de Notre-Seigneur ».
Que les journées passent vite dans la montagne !
Chaque matin, après avoir récité le Pater, l’Ave, invoqué les anges gardiens, les enfants se mettent en route avec leurs moutons, à la recherche d’un pâturage. On s’installe à l’ombre des bois. Quand l’Angélus a sonné, on ouvre le panier qui contient le modeste repas. Les mamans ont bien recommandé de réciter le chapelet. Après qu’il est dit, on peut jouer, tout en surveillant le troupeau.
Jacinte aime ses moutons. À chaque brebis elle a donné un nom. Elle se plaît à caresser les agneaux blancs, à les baiser. Le soir, elle rapporte parfois dans ses bras le plus petit des agneaux. Une fois où elle marche ainsi au milieu de son troupeau, François lui en demande la raison :
— « Pour faire comme Notre-Seigneur sur l’image qu’on m’a donnée ; Jésus se tient au milieu du troupeau avec une brebis entre ses bras, sur sa poitrine. »
Certes, Jacinte aime Jésus de tout son cœur pur et fervent, et pourtant, elle est loin d’être parfaite. On trouve encore en elle beaucoup de petits défauts ordinaires aux fillettes. Sensible à l’excès, pour un rien elle fond en larmes. Si on la contrarie, elle se fâche et quitte le jeu pour aller bouder dans un coin. Elle raffole de la danse. Gracieuse et légère, dès qu’elle entend un air de flûte ou d’accordéon, vite, elle se met à tourner en cadence. Dans sa hâte de courir s’amuser, il lui arrive d’abréger le chapelet.
À l’école de la Sainte Vierge, les défauts de Jacinte vont disparaître pour faire place à une floraison de vertus, vraiment admirables dans une âme d’enfant.
L’ange de la paix
Un jour de printemps de 1916, les petits bergers, surpris par un orage, se réfugient dans une sorte de grotte qui s’ouvre parmi les rochers sur une pente de la montagne du Cabeço. En attendant la fin de la pluie, ils récitent le chapelet, puis se mettent à jouer.
Tout à coup, une rafale de vent leur fait lever la tête. Au-dessus du feuillage argenté des oliviers, ils voient venir à eux une silhouette humaine, blanche comme une statue de neige, transparente comme le cristal. Un être d’une beauté surhumaine s’approche d’eux et leur dit doucement :
— « N’ayez pas peur. Je suis l” « Ange de la Paix ». Priez avec moi. »
Et l’Ange agenouillé, le front penché jusqu’à terre, répète trois fois : « Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je vous aime Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, qui n’adorent pas, qui ne vous aiment pas ! » Puis, se relevant, il ajoute :
— « Priez ainsi ! Les Cœurs très Saints de Jésus et de Marie se laisseront toucher par votre prière. »
L’Ange disparaît, mais les enfants, absorbés par le souvenir de cette vision, ont peine à s’apercevoir que la nuit tombe.
Durant une brûlante journée de l’été, tandis que les enfants se reposent à l’ombre du jardin de Lucie, l’Ange vient à eux de nouveau et les engage à prier, à beaucoup prier…
Enfin, au cours de l’automne, dans la grotte du Cabeço, où les bergers viennent de réciter le chapelet, une clarté extraordinaire les enveloppe. L’Ange est là, devant eux… Il tient dans la main un calice, et, au-dessus, une hostie de laquelle tombent des gouttes de sang qui coulent dans le calice. Laissant le calice et l’hostie suspendus en l’air, l’Ange s’agenouille à côté des enfants et leur fait répéter trois fois : « Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous adore profondément et je vous offre les très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles du monde, en réparation des outrages par lesquels il est lui-même offensé.
« Par les mérites infinis de son Cœur Sacré et par l’intercession du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs. »
— « Je ne sais ce que j’éprouve », disait Jacinte après les visites de l’Ange, « je ne sais plus ni parler, ni chanter, ni jouer. Je n’ai plus envie de rien faire ».
— « Ni moi non plus », assurait François, « mais qu’importe, l’Ange est plus beau que tout ! »
La belle Dame
Au printemps de 1917, Jacinte atteint ses 7 ans.
Le 13 mai de cette année-là, par une belle et claire journée, les petits pâtres se dirigent avec leurs troupeaux, vers un lieu nommé la Cova da Iria, creux ombragé de chênes verts qui appartient à la famille de Lucie.
Quand l’Angelus tinte dans le lointain, les enfants se mettent à genoux. Il ne s’agit pas d’oublier le chapelet en ce mois consacré à Marie ! Le chapelet pieusement récité, les bergers poussent leurs brebis vers la cime du coteau. Là, ils commencent à jouer aux « maçons », jeu prophétique, car à l’endroit où ils assemblent des pierres sèches pour une fragile construction, s’élèvera plus tard, en l’honneur de Notre-Dame de Fatima, la plus grande église du Portugal !
Tout à coup, un éclair éblouissant frappe les yeux des enfants. Malgré le bleu pur du ciel, Lucie commande :
— « Partons ! l’orage pourrait venir ! »
À mi-côte, un éclair plus brillant encore les aveugle.
Au fond du vallon, les petits s’arrêtent, saisis, interdits… Devant eux, sur un chêne vert, se tient une dame merveilleusement jeune et belle, enveloppée de lumière. En elle, tout est blancheur et clarté. Il faudrait, diront les enfants, « le langage des anges » pour décrire cette céleste vision. Un long rosaire pend au bras de la Dame. De sa voix infiniment douce, la Visiteuse parle aux petits, et Lucie s’enhardit à lui demander d’où elle vient.
— « Je suis du ciel. »
— « Vous venez du ciel !… Et moi, irai-je au ciel ? »
— « Oui, tu y viendras. »
— « Et Jacinte ? »
— « Aussi. »
— « Et François ? »
— « Aussi… »
La conversation se poursuit. La Dame confie aux enfants certaines choses qui ne sont que pour eux. Elle désire les voir revenir à cet endroit, le 13 de chaque mois, durant cinq mois.
Puis elle demande aux petits bergers :
— « Voulez-vous vous offrir à Dieu pour faire des sacrifices et accepter volontiers toutes les souffrances qu’il voudra vous envoyer en acte de réparation pour les péchés qui offensent sa divine Majesté ? »
Au nom de trois, Lucie avec élan répond : « Oui, nous le voulons »
— « Vous allez donc avoir beaucoup à souffrir, mais la grâce de Dieu vous assistera et vous soutiendra toujours. »
Avant de s’éloigner, la Dame recommande aux enfants de dire le chapelet tous les jours, pieusement, pour obtenir la paix du monde. Puis, l’apparition s’évanouit dans la lumière du jour…
Une joie profonde comble l’âme des petits. De temps en temps, Jacinte soupire : « Oh ! quelle belle Dame ! Quelle belle Dame ! »
Lucie recommande de ne rien dire à personne. Mais Jacinte peut-elle taire son bonheur à sa mère à laquelle elle a l’habitude de tout dire ? Le soir, elle se jette dans ses bras :
— « Petite maman, aujourd’hui, j’ai vu la Sainte Vierge à la Cova da Iria !… »
— « Jésus ! que dis-tu là ? Es-tu devenue folle ? »
Maria-Rosa ne veut rien entendre.
Pourtant, le soir, Jacinte insiste encore :
— « Maman, il faut dire le chapelet tous les jours. Cette Dame l’a dit. »
Malgré tous les obstacles, les enfants sont fidèles au rendez-vous que la céleste Visiteuse leur a fixé pour le 13 juin.
À Lucie qui la prie de les emmener tous trois au Paradis, la Dame répond :
— « Oui, je viendrai bientôt prendre Jacinte et François. Mais toi, tu devras rester plus longtemps ici-bas. Jésus veut se servir de toi pour me faire connaître et aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. »
— « Alors », répond tristement Lucie, « je vais rester toute seule ? »
— « Non, ma fille, je ne t’abandonnerai jamais. Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et la voie qui te conduira à Dieu. »
Le 13 juillet, la Dame insiste sur la récitation quotidienne du chapelet, « pour obtenir la fin de la guerre. Seule, l’intercession de la Sainte Vierge peut obtenir cette grâce aux hommes ».
Au cours de cette apparition, les assistants remarquent la grande tristesse de Lucie, et l’exclamation d’horreur qui s’échappe de ses lèvres.
Le secret confié ce jour-là par Marie, Lucie, après 25 ans de silence, a obtenu du ciel, la permission de le dévoiler en partie.
Un instant, devant les yeux des enfants épouvantés, l’enfer s’est montré comme une grande mer de feu où sont plongés les démons comme des braises ardentes, au milieu de hurlements de désespoir qui font trembler d’épouvante.
La Sainte Vierge dit avec bonté et tristesse :
— « Vous avez vu l’enfer où vont aboutir les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, le Seigneur veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé.
« La guerre va vers sa fin ; mais si l’on ne cesse pas d’offenser le Seigneur, sous le prochain pontificat commencera Une autre, pire… » Et la Dame parle des châtiments terribles qui menacent le monde : guerres, famines, persécutions.
Pour abréger ces châtiments, Marie demandera la consécration du monde à son Cœur Immaculé, et la communion réparatrice des premiers samedis du mois. Sur l’horizon si sombre, une lumière se lève : « Finalement, mon Cœur Immaculé triomphera. »
Puis, la Vierge ajoute : « Lorsque vous récitez le chapelet, dites à la fin de chaque dizaine : « O mon Jésus, pardonnez-nous nos péchés, préservez-nous du feu de l’enfer, prenez au Paradis toutes les âmes, spécialement celles qui ont le plus besoin de votre miséricorde. »
Au mois d’août, la Vierge dit aux enfants :
— « Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs, car beaucoup d’âmes vont en enfer parce qu’il n’y a personne pour se sacrifier pour elles ! »
Enfin, on sait comment, au cours de la dernière apparition, le 13 octobre 1917, la céleste visiteuse fait connaître son nom :
— « Je suis Notre-Dame du Rosaire. Je suis venue pour exhorter les fidèles à changer de vie, à ne pas affliger, par le péché, Notre-Seigneur qui est tant offensé, à réciter le saint rosaire, à se corriger et à faire pénitence de leurs péchés. »
Et, dans le ciel, apparaît le grand prodige du soleil tournant comme une roue de feu, prodige vu par une foule de plus de 70.000 personnes et destiné à prouver l’importance du message que la Mère de Miséricorde envoie à la terre par la bouche de trois petits enfants.
« Sacrifiez-vous pour les pécheurs ! »
Au lendemain de la première apparition, Jacinte, songeuse, est assise sur un rocher :
— « Viens t’amuser, Jacinte ! »
— « Aujourd’hui, je ne joue pas. »
— « Pourquoi ? »
— « Parce que je pense à ce que cette Dame nous a dit : réciter le chapelet et faire des sacrifices pour la conversion des pécheurs .. . » Et Jacinte se demande quels sacrifices elle va faire ? — Hélas, autour d’elle, les occasions de souffrir ne manqueront pas !
Personne ne veut croire à la vérité des apparitions.
Lucie est rudement grondée et corrigée par sa maman qui, dans son horreur du mensonge, veut que sa fille avoue qu’elle invente cette histoire.
À mesure que la foule augmente à la Cova da Iria, le mécontentement des parents grandit. Non seulement leurs enfants trompent tout ce monde, mais ces curieux piétinent leurs champs, ceux des voisins, ruinent les récoltes, et des ennuis de tous genres retombent sur les familles.
M. le curé reste froid, soucieux.
Puis, voilà l’autorité civile qui s’en mêle ! L’administrateur de la région tient à étouffer cette affaire. Il veut arracher aux petits leur secret, et devant leur refus, se fâche, menace de les faire mettre à mort. À cette nouvelle, Jacinte s’écrie :
— « Tant mieux ! J’aime tant Jésus et la Sainte Vierge que nous irons les voir plus tôt ! »
Le 13 août, ce terrible administrateur enlève les enfants par ruse pour leur faire manquer le rendez-vous de la Dame. Voyant ses efforts inutiles pour les amener à livrer ce fameux secret, il les fait jeter en prison. Les petits bergers ont le cœur gros de se voir enfermés. Mais, tout de suite, ils pensent à prier pour la conversion des pécheurs. Tous trois s’agenouillent et récitent pieusement le chapelet. Les autres prisonniers, émus par la ferveur de ces innocents, se mettent aussi à genoux et répondent comme ils peuvent aux Ave.
Jacinte pleure encore en pensant à sa maman, puis elle joint les mains, et les yeux levés au ciel :
« O mon Jésus, c’est pour votre amour et pour la conversion des pécheurs ! » Et elle ajoute : « Et aussi pour le Saint-Père et en réparation des péchés commis contre le Cœur Immaculé de Marie. »
Le soir, nouvel interrogatoire, et comme les enfants refusent toujours de céder, l’administrateur, pour les épouvanter, parle de les faire frire dans l’huile bouillante !
Saisissant violemment la petite Jacinte en larmes, il l’entraîne vers la cuisine.
— « Je croyais que c’était pour de bon et que j’allais mourir », avouera Jacinte plus tard. « Mais je n’avais pas peur et je me recommandais à la Sainte Vierge. »
Au bout de trois jours, l’administrateur, las de ne rien gagner sur ces petits, les ramène à Fatima.
Il y a aussi pour les trois enfants la fatigue, l’ennui des questions continuelles à subir, les méfiances, les railleries. Mais ces souffrances qui résultent de leur mission ne leur semblent pas encore suffisantes.
Dès la première visite de la Dame, François suggère de donner le goûter aux brebis pour faire un sacrifice. Une autre fois, Jacinte voyant des mendiants, propose :
— « Donnons nos déjeuners à ces petits pauvres ! » Ce que l’on fait. Mais l’après-midi, la faim tourmente si fort Jacinte, que l’idée vient aux enfants de ramasser des glands pour les manger. Désormais, Jacinte choisit comme sacrifice de goûter avec des glands ou des olives vertes.
— « Ne mange pas de ça », proteste Lucie, « c’est trop amer ! »
— « C’est justement pour cela que j’en mange, c’est pour convertir les pécheurs. »
Un jour, la maman de Jacinte coupe à sa treille de superbes grappes de raisins qu’elle tend aux petits. Que ces grains dorés sont tentants… ! Mais Jacinte pense aux pécheurs :
— « Ne les mangeons pas, et offrons ce sacrifice. »
Elle court porter les belles grappes à de petits pauvres qui passent dans le chemin et revient toute joyeuse.
Pour sauver les pauvres pécheurs, les enfants ne savent qu’inventer.
À l’école, durant les récréations, Jacinte et Lucie laissent les autres jouer et vont à l’église pour prier.
Les visites de la Sainte Vierge ont transformé l’âme de la petite Jacinte. Ses défauts ont disparu. Elle ne pense qu’au ciel où elle voudrait entraîner beaucoup d’âmes. Elle désire tant amener les autres à aimer la Sainte Vierge comme elle l’aime !
À la maison, elle se fait tendre et câline pour obtenir que le chapelet soit récité tous les jours en famille, et elle y parvient. Pour obéir à Marie, elle souhaiterait répandre le rosaire dans le monde entier.
Vers le ciel
Pour la fête de Noël 1918, le petit François tombe gravement malade. Durant quelques mois, il souffre avec une patience angélique. Ses forces s’en vont, il sent que la Sainte Vierge va venir le chercher. M. le curé permet à François de communier dans son lit. Il est tout rayonnant de joie.
Avant son départ pour le ciel, Jacinte lui donne ses commissions pour Notre-Seigneur et la Sainte Vierge :
— « Dis-leur que je souffrirai tout ce qu’ils voudront pour les pécheurs et pour faire réparation au Cœur Immaculé de Marie. »
Après le départ de François pour le Paradis, Jacinte a bien du chagrin. On l’entend souvent murmurer, les yeux pleins de larmes :
— « Quand irai-je voir mon petit François ? »
Jacinte, elle aussi, est malade, bien malade. La grippe dégénère en pleurésie purulente. Une plaie s’ouvre dans le côté, les douleurs sont extrêmes.
L’enfant, jadis si sensible, souffre sans une plainte, avec un courage extraordinaire.
Lucie, sa confidente, sa grande amie, lui demande :
— « Est-ce que tu vas mieux ? »
— « Tu sais bien que je ne vais pas mieux… Que j’ai mal au côté… ! Mais je ne dis rien, je souffre pour la conversion des pécheurs. »
Et une autre fois : « J’aime tant dire à Jésus que je l’aime ! Quand je le lui dis très souvent, il me semble que j’ai une flamme dans la poitrine, mais elle ne brûle pas. »
Parfois, la petite malade reste longuement silencieuse, absorbée. À Lucie, qui l’interroge, elle avoue :
« Je pense à Notre-Seigneur et à sa Divine Mère, aux pécheurs et à la guerre qui doit venir. Il mourra tant de monde ! Il y en a tant qui vont en enfer ! Il y aura tant de maisons détruites !… tant de prêtres morts ! Quel chagrin !… Si on cessait d’offenser le Seigneur, la guerre ne viendrait pas, et les gens n’iraient pas en enfer. »
À sa chère Lucie, elle promet : « Au ciel, je prierai beaucoup pour toi, pour le Saint-Père, pour le Portugal, pour que la guerre n’y arrive pas et pour tous les prêtres. »
Jacinte désire ardemment recevoir Jésus pour la première fois. Dans le courant du mois de mai, M. le curé lui donne la sainte hostie qu’elle reçoit avec une piété bien au-dessus de son âge.
Le matin, quand Lucie vient prendre de ses nouvelles avant l’école, Jacinte lui donne ses commissions :
— « Passe à l’église et dis à Jésus, caché, que je le désire beaucoup et que je l’aime beaucoup ! »
Durant l’été, Marie annonce à son enfant qu’il lui faudra aller dans un hôpital de Lisbonne, et qu’après avoir beaucoup souffert, elle y mourra seule…
Peu après, un docteur, venu à Fatima, insiste pour que Jacinte soit transportée à Lisbonne et opérée.
Le cœur déchiré, la pauvre petite dit adieu à tous ceux qu’elle aime :
— « O Jésus, je pense que vous pouvez convertir beaucoup de pécheurs ! Ce sacrifice est si grand ! »
À Lisbonne, Jacinte passe d’abord une quinzaine dans un orphelinat. La supérieure garde précieusement le souvenir de cette enfant modeste, si patiente, si attachante. La ferveur avec laquelle on la voit prier, réciter le rosaire, impressionne ceux qui l’approchent. Jacinte souffre un vrai martyr, mais Marie la console par ses visites. Un jour où la supérieure s’approche de son lit, elle lui dit avec sa charmante naïveté :
— « Revenez plus tard, marraine, maintenant j’attends la Sainte Vierge. »
Après ces entretiens avec sa Mère du ciel, Jacinte confie à la supérieure des pensées bien au-dessus de son âge.
Parfois aussi, elle lui dit :
— « On veut m’opérer, mais la bonne Vierge m’a dit que je mourrais. C’est bien inutile. »
Malgré ses affirmations, Jacinte est portée à l’hôpital le 2 février 1920, et opérée. Les pansements sont un véritable supplice pour la petite martyre qui les supporte avec une patience héroïque. Une fois encore, la Vierge apparaît à son enfant chérie et lui enlève ses souffrances.
Trois jours après cette suprême visite, Jacinte, sachant qu’elle va mourir, réclame avec instance les derniers sacrements.
Le 20 février, le curé de la paroisse, la confesse et — dernier sacrifice — ne croyant pas la petite si mal, remet la communion au lendemain.
Le soir, alors que Jacinte est seule, la Sainte Vierge vient la chercher pour l’emmener en Paradis.
À la nouvelle de cette mort, une foule immense vient spontanément visiter cette petite fille qui, dans son cercueil, revêtue de sa robe blanche de communiante, semble encore vivante avec ses joues et ses lèvres roses. « Très belle », rapporte un témoin, » elle exhale un parfum suave comme celui des fleurs les plus exquises ».
Maintenant, dans tout le Portugal pacifié, régénéré, les enfants connaissent et aiment la petite Jacinte. Ils voient en elle une sœur dont la générosité admirable a contribué à sauver leur pays et à porter au monde un message de salut.
Comme l’oiseau qui trace un sillage dans le bleu limpide du ciel, Jacinthe entraîne les âmes vers Dieu, et la voie qu’elle indique, voie merveilleusement rapide, droite et sûre, c’est Marie, son Cœur Immaculé, son saint Rosaire.
* * *
Les années ont passé.
Le message confié par la Sainte Vierge aux petits bergers, continue à se répandre à travers le Portugal où il est écouté avec docilité. La vie chrétienne refleurit dans les foyers et la prière s’y fait plus fervente.
Le 13 mai 1931, le Portugal se consacrait solennellement à Notre-Dame de Fatima.
Mais bien d’autres nations n’ont pas su profiter des appels de la Vierge et de ses avertissements.
La seconde guerre mondiale, prédite par Marie, si les hommes ne se convertissaient pas, cette guerre est venue ensanglanter le monde. Le Portugal a été préservé de ce châtiment.
Au milieu de la tempête, le 30 octobre 1942, le Pape, Pie XII, dans un grand élan de confiance, consacrait le monde au Cœur Immaculé de Marie.
En 1946, pour le couronnement de la statue de la Vierge, à la Cova da Iria, le Souverain Pontife, dans son message diffusé, proclamait le rayonnement mondial de Fatima.
Sur le champ des apparitions, s’élève une immense basilique. Dans cette église. dédiée à Notre-Dame de Fatima, ont été transportés les corps précieux de François et de Jacinte. Lucie, la seule survivante des trois petits voyants, continue dans un monastère, sa vie de prière et d’immolation.
À la Cova da Iria, les pèlerins arrivent de plus en plus nombreux, non seulement du Portugal, mais de toutes les. nations. De mai à octobre, le 13 de chaque mois, date des visites de la Vierge aux bergers, des multitudes se mettent en route vers Fatima. Beaucoup viennent à pied, certains même, dans un esprit de pénitence, meurtrissent leurs pieds nus aux pierres des chemins rocheux.
Dès la veille au soir, deux ou trois cent mille pèlerins sont rassemblés. La plupart passent la nuit en prières, en adoration devant le Saint Sacrement exposé. À l’aube, les messes commencent. D’innombrables communions sont distribuées. Après la grand-messe, sous l’éclatant soleil de midi, la statue de Notre-Dame de Fatima est portée processionnellement à travers cette immense multitude qui la salue avec ferveur. Puis, les foules se dispersent et la Cova da Iria, retombe dans le silence jusqu’au mois suivant.
Ces pèlerinages sont marqués d’un caractère de foi, de pénitence, de recueillement, de prière intense, vraiment. impressionnant. Fatima demeure une source inépuisable de grâces et de miracles qui se déversent sur le Portugal, l’Église, le monde entier.
J. Maldan.
Imprimatur (2» édition) Verdun, 1er février 1958. L. CHOPPIN, vic., gén.
Beaucoup d’erreurs dans ce texte… La Sainte Vierge n’a pas demandé la consécration « du monde » mais seulement et uniquement celle de « la Russie ». Voir les mémoires de Soeur Lucie (Lucia)
Merci pour cette rectification.
Je ne me permettrai pas de modifier le texte de l’auteur Juliette Maldan, mais les commentaires sont là pour corriger/compléter si besoin.