Un bébé était arrivé pendant la nuit chez les voisins Dupré. Le matin, il était là, tout simplement couché dans le berceau. Il avait un mignon petit nez et des doigts si minuscules qu’il pouvait en porter plusieurs à la fois à la bouche.
Le bébé dormait et ne s’occupait nullement des gens qui l’entouraient. Ce n’était au fond pas bien poli ; et, les six enfants Dupré avaient l’air bien déçus. Ils auraient tant voulu saluer leur petit frère.
Papa leur expliqua qu’il ne fallait pas prendre cela comme une offense, que le petit enfant, ayant eu un long chemin à parcourir pour leur arriver, était fatigué, et que maintenant il voulait dormir.
Chacun fut satisfait de cette explication ; même, les enfants se mirent à parler tout bas pour ne pas empêcher le nouveau frère de dormir. Quand la nurse arriva et commanda à toute la petite compagnie de sortir, elle obéit sagement et se retira aussitôt, dans la chambre de famille, où, naturellement, la conversation continua à voix basse. Il s’agissait avant tout de savoir quel nom on donnerait au petit frère. Les uns voulaient l’appeler Francis, car ils avaient déjà eu un Francis, mais le Bon Dieu était venu le chercher. Les autres voulaient lui donner le nom de Robert ; le grand-père s’appelait ainsi. Finalement, papa mit fin à ces discussions en disant : « Claude sera son nom : son oncle et parrain s’appelle ainsi ».
* * *
Quelqu’un frappa à la porte. C’était Mariette, la petite voisine, qui passait la tête par l’entrebâillement de la porte et demandait si elle osait aussi entrer. Elle avait entendu parler d’un nouveau petit frère et elle aimerait tellement le voir.
Naturellement, elle put entrer ; comme elle n’avait pas de frères et sœurs pour jouer avec elle, les enfants Dupré la considéraient comme de la maison.
Pour faire plaisir à Mariette, papa ouvrit la porte de la chambre. Les enfants s’approchèrent sur la pointe des pieds et se groupèrent gentiment autour du berceau où était couché le petit Claude. Ils étaient fiers de présenter leur nouveau petit frère ! René expliqua même tout bas : « Tu sais, Mariette, il doit dormir maintenant, il a fait un si long chemin pour venir jusqu’à nous ; c’est pour cela que nous n’avons pas encore pu lui dire bonjour ».
Le petit Claude dormait et n’avait pas l’air de tenir beaucoup à faire connaissance avec ses frères et sœurs. Sans doute, trouvait-il qu’il lui resterait bien assez de temps pour cela, car il n’avait pas l’intention de retourner si vite chez le Bon Dieu ; au contraire, il semblait vouloir s’installer pour longtemps sur cette terre.
De retour dans sa famille, Mariette en eut long a raconter.
« Maman, dit-elle tout à coup, les Dupré avaient déjà six enfants, et maintenant ils en reçoivent encore un, cela fait sept. Et chez nous, il n’y a que moi ! Pourquoi les Dupré… ont-ils encore un enfant ? Ils en ont bien assez ! Le Bon Dieu aurait pu le savoir et nous le donner à nous, ce petit. Je lui aurais bien cédé la voiture de poupée que saint Nicolas m’a apportée ; elle est assez grande pour lui, il est si petit ! »
En entendant parler Mariette, la maman souriait, tout émue. Elle-même avait pensé presque la même chose. Depuis si longtemps elle souhaitait un petit frère à sa Mariette.
« Mariette, dit-elle pour consoler la petite et en-même temps pour se consoler elle-même, le Bon Dieu donne les petits enfants à qui il veut, et comme il veut ; on ne peut que le prier, et rien de plus, pour en obtenir un. Peut-être ne le lui as-tu pas dit assez aimablement et assez fort que tu désirais un petit frère. Ainsi il n’a pas frappé à la bonne porte ».
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Il se trouva que la classe de Mariette put assister au baptême du petit Claude, parce que M. le Vicaire leur avait justement expliqué le sacrement de baptême au catéchisme. Tous se rassemblèrent autour de cet enfant de la terre qui allait devenir un enfant de Dieu. Pleins de respect, ils observèrent comment le prêtre traçait le premier signe de croix sur le front et sur la poitrine du bébé. Ils le virent mettre un peu de sel dans la bouche du petit Claude, « le sel de la sagesse », comme le prêtre l’appelait. Le petit tordit un peu la bouche, puis il se remit à dormir comme il l’avait toujours fait jusque là. Les enfants accompagnèrent le bébé dans l’église, où, avec le parrain et la marraine, ils récitèrent le Notre Père et le Credo. Du premier banc, ils suivirent attentivement chaque cérémonie. Ils virent comment se faisaient les onctions avec l’huile sainte ; comment l’eau du baptême était versée sur la petite tête. Ils se tenaient sur la pointe des pieds pour ne perdre aucun geste du prêtre, sachant combien le baptême est important. Ils savaient bien que sans baptême on n’est rien devant le Bon Dieu. En effet, on ne peut même pas recevoir un autre sacrement avant d’avoir été baptisé.
Celui qui n’aurait rien vu de ce saint acte, aurait au moins pu en entendre quelque chose. Claude, le nouveau chrétien, s’était mis à crier de toutes ses forces. Il ne paraissait pas du tout enchanté de recevoir cette eau. Le poupon pleurait encore même après que sa petite tête eut été séchée avec de la ouate. La cérémonie terminée, le parrain et la marraine sortirent de l’église avec leur protégé. René les suivait de tout près, portant le cierge baptismal, trop lourd pour les menottes de son petit frère nouveau-baptisé.
Après le baptême, Mariette attendit M. le Vicaire devant la sacristie. Quand il sortit, elle lui donna la main en lui disant : « M. le vicaire, j’aimerais aussi un petit frère. Maman a dit qu’il fallait le commander au Bon Dieu. Je l’ai fait déjà souvent, mais il ne m’a pas écoutée ; il a envoyé le bébé chez les Dupré. Peut-être saurez-vous mieux présenter mon désir au Bon Dieu ; chaque jour vous êtes si près de Jésus pendant la sainte messe. S’il vous plaît, demandez au Bon Dieu de m’exaucer ; n’oubliez pas la bonne adresse : Mariette Olivey, Rue Haute 15. »
* * *
Mariette ne remarqua pas le sourire de M. le Vicaire ; elle était tout oreilles pour écouter sa réponse et se demandait si M. le Vicaire avait bien tout compris et s’il ferait bien la commission.
« Bien, Mariette ! dit M. le Vicaire. Je présenterai à Jésus ta requête. Mais je ne peux pas te promettre qu’il fera selon ton désir. Il me vient une idée : peut-être Jésus ne veut-il pas te donner un petit frère, parce que c’est Jésus lui-même qui veut être ton petit frère. Tu sais, ma petite, qu’il s’est fait enfant pour descendre sur la terre le jour de Noël. S’il est si pauvre et si petit, c’est pour pouvoir dire à tous les hommes, grands et petits : « Je veux être votre frère ! » Mariette, maintenant que tu te prépares à ta première communion, tu devrais souvent penser à cela et aller tous les jours rendre visite à Jésus à l’église. Ainsi chaque fois que tu aimerais jouer avec un petit frère, va chez lui et dis-lui que tu l’aimes bien. Le jour de ta première communion, il viendra dans ton cœur, et ce divin petit frère te donnera cette joie non seulement une fois, mais chaque fois que tu iras communier plus tard. »
Mariette est rentrée toute pensive. Elle a froncé les sourcils comme une grande qui doit beaucoup réfléchir. Jésus est mon frère ?… C’est magnifique !… C’est encore plus beau que d’avoir le plus cher petit frère dans le berceau à la maison… Mariette se sent heureuse.
* * *
« M. le Vicaire, regardez ce que j’ai trouvé dans la crèche hier soir », dit le sacristain, le lendemain matin, à la sacristie. Et il lui tendit une grande poupée toute neuve. Heureusement, la porte de la sacristie était fermée, sinon, dans l’église on aurait entendu M. le Vicaire rire tout fort. — Que c’était amusant, cette poupée que quelqu’un avait mise dans la crèche avec l’enfant Jésus ! — « Voyez, il y avait encore un billet sur lequel est écrit en grandes lettres : Pour Jésus le petit frère ! C’est une enfant de la première ou de la deuxième classe qui doit l’avoir écrit. »
M. le Vicaire eut vite trouvé la clef du mystère : personne d’autre que Mariette n’a pu faire cela, pense-t-il. Elle a voulu faire cadeau à l’enfant Jésus de ce qui lui était le plus cher, afin de réjouir son petit frère divin.
Naturellement, on ne remit pas la poupée dans la crèche à l’église. Jésus n’aurait su qu’en faire ; l’amour de Mariette lui suffisait. Une poupée dans la crèche ! … que diraient les personnes venant à l’église ? … Elles ne pouvaient savoir ce qu’une petite fille avait voulu donner et dire à l’enfant Jésus en lui apportant sa poupée.
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Ce soir-là quand Mariette alla se coucher elle trouva sa poupée sur son lit. Elle tenait une image représentant le petit Jésus tendant les mains. M. le Vicaire avait écrit : « Le divin petit frère te dit merci ! »
Heureuse, la poupée dans ses bras, Mariette s’endormit. Dans son sommeil elle souriait encore, parce qu’elle aussi avait un petit frère.
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