On ne sait pas très bien comment ça a commencé, mais actuellement ça y est.
Pourtant, elle marchait bien, l’équipe Saint-Jacques. Ses membres avaient du cran ; je ne sais pas si tu fais six kilomètres à pied pour aller à ta réunion d’équipe ; en tout cas, eux les faisaient. D’ailleurs, quand on connaît Paul, le chef, ça se comprend : un petit gars de 12 ans, avec un sourire qui lui fait le tour de la figure, des mollets bien plantés qui ne savent que courir, des yeux qui voient tout ; et quand il commande, eh bien ! il ne bégaie pas. Comme ce n’est jamais à lui qu’il pense, ses équipiers l’aiment bien. Et puis, ce qu’on peut avoir du plaisir avec lui ! À chaque réunion, c’est un nouveau jeu ; et toujours de bonnes idées pour le coin, pour la route, pour faire lire le journal, pour… on n’en finirait pas de le dire ; c’est à se demander où il les cherche.
Donc, l’équipe Saint-Jacques marchait à bloc, à toute allure. La meilleure preuve, c’est qu’à cause d’elle deux garçons de la paroisse avaient été baptisés et qu’un vieux de 85 ans qui n’était plus entré dans une église depuis sa Communion solennelle avait voulu faire ses Pâques.
Un jour, à la réunion, André qui habite aux Trois Tilleuls arrive avec un vilain regard. Brusquement, en pleine partie de « cercle empoisonné », il s’étale et se retourne furieux vers Louis : « Tu l’as fait exprès ! », et pan ! sur l’oreille droite de l’autre qui vraiment ne sait pas ce qui se passe. Après avoir craché par terre et lancé un juron, André s’en va. La réunion continue, mais l’entrain est tombé.
La fois suivante, André est absent, mais aussi Marcel qui habite tout près de chez lui. Décidément, ça ne va pas.
Dans la semaine qui suit, voilà que Paul, en rentrant de l’école, tombe sur une grosse pierre et se heurte très fort le genou. Ça enfle. « Trois mois de lit », dit le docteur. Pauvre équipe Saint-Jacques ! Vraiment, c’était de la malchance. Que pouvait-il donc bien y avoir ?
Je sais bien que tu vas me dire : « Ça, c’est un coup de Boutaki.[1] » Je crois bien que tu as raison. Tu penses ! Dans ce village, les gens ne voulaient même plus se faire enterrer à l’église ; un vieux qui était mort peu de temps avant avait dit : « Je veux qu’on m’enterre dans mon jardin, auprès de mon chien. » C’est ce qu’on fit ; et le jour de l’enterrement, après avoir fait un repas à en être ivres, les fils et les neveux du mort ont versé sur la tombe des aliments et du vin en disant : « Tiens, c’est pour ton dernier dîner. »
Aussi tu devines que Boutaki, dans ce pays, avait fait jusqu’à présent tout ce qu’il voulait. Si bien qu’à voir cette équipe où tout le monde s’aimait bien, il s’était mis en rage et s’était juré de la démolir. Jusqu’à présent, il avait assez bien réussi. Les réunions ne se faisaient plus ; André, de plus en plus camarade avec un grand de 15 ans, devenait aussi voyou que lui ; Marcel restait chez lui, s’amusant à tirer à la fronde sur les petits oiseaux ; il y avait bien Louis, bon garçon, qui continuait à lire le journal, mais vraiment il n’était pas capable de remettre une équipe en route. Boutaki ricanait en disant : « Je les ai. »
■
C’est alors qu’arriva l’inattendu.
Il y a deux mois que Paul est couché, et le genou ne désenfle pas. Le garçon, toutes les nuits, a de la fièvre.
Un matin, le médecin, après avoir bien tâté le membre, a l’air soucieux. Paul l’entend dire tout bas à sa maman :
« Ça devient grave. » Et la conversation continue, très longue, dans la pièce à côté.
Quand maman revient dans la chambre, elle trouve Paul en train de chanter à pleine voix « Notre joie ».
« Pourquoi chantes-tu comme cela, mon petit ?
— C’est parce que je suis tellement content, maman. »
Toute pensive, elle ne questionne pas plus, heureusement ! Il n’aurait quand même pas pu lui répondre qu’il est si content parce que le Bon Dieu va l’exaucer ; il a offert sa vie pour que l’équipe Saint-Jacques redevienne comme avant ; puisque le docteur dit que c’est grave, il va donc mourir : et l’équipe, elle, ressuscitera, plus vivante qu’avant.
« Au ciel où Dieu nous attend
Nous irons tous en chantant. »
Le dernier couplet est fini ; dans le silence, maman regarde Paul :
« Dis, mon grand garçon ; j’ai quelque chose à te dire. Demain, on te conduira à l’hôpital : il faut t’opérer au genou ; après cela, encore quelques semaines et tu pourras courir comme avant. »
Dans la tête de Paul, les idées passent au galop. Mais alors, il ne va pas mourir ! Mais alors, l’équipe ? Comment va-t-elle ressusciter si son chef ne meurt pas pour elle ? Enfin, le Bon Dieu qui voit tout d’avance s’arrangera bien. La voix calme, le garçon répond : « Bien maman. »
■
Le lendemain, Paul part à l’hôpital. Dans la voiture qui l’emmène, il ne pense qu’à une chose : « Mon Dieu, prenez-Vous‑y comme Vous voudrez, mais faites revivre l’équipe Saint-Jacques. »
L’après-midi, sur la table d’opération (le billard, disent les infirmières), Paul est allongé. Autour de lui, le chirurgien et son aide préparent des outils qui tous servent à couper, taillader, piquer, etc. : bistouris pointus, ciseaux de toutes formes, pinces compliquées.
« Monsieur le docteur !
— Qu’est-ce qu’il y a mon garçon ?
— Est-ce que ça va faire mal ?
— Oui, mais tu ne sentiras rien. Je vais te faire dormir. »
Mais c’est peut-être comme ça que le Bon Dieu veut s’y prendre ! Paul se rappelle avoir entendu son curé dire : « Il faut souvent plus de courage pour souffrir longtemps que pour donner sa vie d’un coup. »
« Monsieur le docteur, s’il vous plaît, j’aimerais bien que vous ne me fassiez pas dormir.
— On voit bien que tu ne sais pas ce que c’est.
— Si, je vous assure, je ne vais pas crier.
— Tu parles sérieusement ?
— Mais oui. Oh ! dites ! ne me faites pas dormir.
— Bon, comme tu veux. »
Le bistouri vient d’entamer la chair Une demi-heure durant, dans le genou du garçon, on taille, on pince, on pique, on coud. Raidi, aussi pâle que les blouses des infirmières, Paul ne dit rien. Peut-être qu’en approchant ton oreille tout près de ses lèvres tu l’entendrais : il dit tout bas « Mon Dieu, faites revivre l’équipe Saint-Jacques. »
Ça y est ! Le pansement est fait. La douleur est moins forte, mais il en a quand même encore pour plusieurs heures.
Le docteur a dit :
« Courageux, le petit gars ! »
Six semaines se sont passées… Boutaki ne triomphe plus. Il ne croyait pas que Paul serait allé jusque là.
Tandis qu’en ce dimanche de Pâques, sonne le joyeux carillon, sur la place de l’église, joue au grand complet, avec deux nouveaux, l’équipe Saint-Jacques ressuscitée.
Luc Ardent.
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- [1] Boutaki est un nom qui désigne le diable dans certains pays de mission, et c’est ainsi qu’on le nomme aussi chez les Cœurs Vaillants.↩
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