Or, la nuit était venue violette et troublante.
Sur les pas du sacristain, la clef grinça et le pêne lourd fit dans la cathédrale un grondement de tonnerre. Le bruit porté de voûte en voûte, d’ogive en ogive par tous ces gestes croisés des arcs, emplit la nef et s’évanouit dans les bas-côtés en un murmure de voix confuses. La lampe d’autel, balancée lentement sur son fil, tremblait sa flamme rouge et pailletait de clartés fugitives, le cuivre des candélabres et le bois poli des stalles.
Dans la rue, quelques fenêtres roses où passent des ombres derrière les rideaux, un chat noir.
Onze heures a sonné sur la ville assoupie. Il fait sombre dans l’église et les vitraux ternes dans leur dentelle de pierre semblent des jeux de patience.
Et voilà, qu’en ce soir des Rois, ils s’irradient, comme si un soleil merveilleux les pénétrait, les vivifiait ; ils éblouissent, ils aveuglent. Leurs tons chatoyants ont des nuances exquises, les étoffes sont opulentes et drapées à grands plis, les visages transparents, les yeux extatiques.
Ils s’animent. L’Enfant sur les genoux de sa Mère tend les bras. Un craquement de verre qu’on brise. La Vierge souriante se lève, elle quitte sa fenêtre, elle s’avance diaphane et radieuse portée sur des ailes invisibles. Un crépitement déchire l’air. Toutes les baies ajourées sont vides. Saint Joseph tire le bœuf et l’âne chargé de la crèche. Les Mages bruissent de soie et de velours : Melchior et sa suite nègre chargée d’or et d’ivoire, les yeux tristes et pâles, comme les landes du Nord. Gaspard déploie des fourrures bariolées, et le vieux Balthazar, rutilant de pierreries, égrène des colliers de diamants. À grand’peine, les serviteurs maintiennent les chameaux nerveux. La troupe opalescente glisse, des anges chantent à mi-voix accompagnés par les harpes. Sainte Élisabeth ouvre ses ceintures closes et sème des roses suaves. Les oiseaux de saint François volètent autour de lui. La gorge fleurie d’un peu de sang, les onze mille Vierges blondes, aux paupières longues. Voici des Martyrs, des Ermites, des Pontifes écrasés sous le poids des chapes et des mitres, la blanche Monique, appuyée sur son fils, les regards lointains vers les rivages d’Afrique, et rampant, les yeux verts dans les orbites cavées, Hérode est entraîné par un démon poilu.
Dans les trous d’ombre, angoissants de mystère, entre la double chevauchée des noirs pignons, le ciel qui charrie des étoiles, formidable, vertigineux, infini à rendre fou.
La crèche est sur le maître-autel. Marie berce Jésus. Les encensoirs fument. L’assemblée se prosterne en cette Heure sainte, mystique. Les bouches s’ouvrent et les cœurs aussi, vers ce tout petit qui est l’Incommensurable.
Quand le jour gris papillota et que l’aube pourpre et blonde trembla au bord du ciel, le cortège s’ébranla, il pâlit ; les saints et les saintes escaladèrent leur croisée et reprirent leur geste plastique. La Vierge sourit encore, son Fils lui tend la main. Le ciel moutonné est un filet d’azur, et le soleil « passe en revue les petits nuages ». Les vitraux, percés de part en part flamboient.
Edgar Voirol, rhét.
Source : http://www.digi-archives.org/
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