Entre le bœuf et l’âne gris

Auteur : André-Delastre, Louise | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 7 minutes

Par­mi les fêtes chré­tiennes, avait toutes les pré­fé­rences de saint Fran­çois [d’As­sise] (il n’est pas le seul) ! Ce jour, qui nous a don­né le Sau­veur, ne pou­vait à ses yeux appor­ter assez de joie aux créa­tures, même à leur corps, ce « Frère Âne » qu’il trai­tait si mal d’or­di­naire. Une année que Noël tom­bait un ven­dre­di, les frères déli­bé­raient pour savoir si l’on ferait maigre ce jour-là. Fran­çois pro­teste : « Ne par­lez pas de ven­dre­di ni de maigre [1] un jour pareil, le jour où l’En­fant-Dieu est né. Je vou­drais qu’en ce jour les murs mêmes puissent man­ger de la viande, ou du moins qu’on les frotte de graisse puis­qu’ils ne peuvent manger ».

Il deman­dait aux riches de réga­ler les pauvres en l’hon­neur de la fête et de don­ner aux bœufs et aux ânes, com­pa­gnons de Jésus dans l’é­table, double ration d’a­voine et de foin. — « Si je connais­sais l’Em­pe­reur, disait-il encore, je le sup­plie­rais de faire une loi ordon­nant de semer du grain sur les routes pour le régal des petits oiseaux, et sur­tout de nos sœurs les Alouettes. » Ces alouettes, qui montent si haut dans le ciel en chan­tant, devaient lui rap­pe­ler les anges de Bethléem.

Bref, notre saint aimait tant Noël que, trois ans avant sa mort, lui vint à ce sujet une belle idée. Il fait appe­ler Mes­sire Jean, noble riche, ins­truit et chré­tien plus fervent encore. — « Rends-toi à Grec­cio si tu le veux bien, lui dit-il ; nous y célé­bre­rons la pro­chaine fête du Sei­gneur. Pars dès main­te­nant et occupe-toi des pré­pa­ra­tifs que je vais t’indiquer… »

Ici, nous ne tra­hi­rons pas le secret que, lon­gue­ment, Fran­çois confie à l’o­reille de Jean. Celui-ci accepte aus­si­tôt et se met en route.

La grande Nuit arrive. On a convo­qué les Frères de plu­sieurs cou­vents des envi­rons et le peuple se presse, nom­breux, avec des torches et des cierges. Tous sont fort intri­gués : il y aura une sur­prise, paraît-il. Le lieu, déjà, étonne. Une messe de minuit en plein bois, dans une grotte, une cabane ? Un frère ras­sure les scru­pu­leux : la per­mis­sion de dres­ser cet « autel por­ta­tif » — comme nous dirions — a été obte­nue de Rome. Elle était alors très rare­ment don­née, mais le Pape véné­rait beau­coup Frère François.

La première crèche de Saint François d'Assise

Lorsque celui-ci arrive, il voit que Mes­sire Jean a fait exac­te­ment comme il vou­lait et, déjà, se sent tout heu­reux. Les fidèles n’en croient pas leurs yeux : une man­geoire est là, rem­plie de foin, et de chaque côté, un âne et un bœuf, comme à Beth­léem. Il ne manque que les per­son­nages, mais à cette époque nul n’au­rait osé aller jusque-là[2].

Les frères chantent l’Of­fice et les mon­tagnes d’a­len­tour ren­voient l’é­cho de ces belles prières ; les lumières brillent dans la nuit.

L’heure venue de la messe, Fran­çois revêt le vête­ment du diacre, la dal­ma­tique, pour assis­ter le prêtre à l’autel…

— Com­ment, ce n’est pas lui qui dit la messe ?

— Non, car il ne fut jamais ordon­né prêtre et res­ta diacre toute sa vie. Par humi­li­té, croyons-le ; mais le diacre peut tou­cher les hos­ties consa­crées, lire l’É­van­gile et rem­plir bien d’autres fonc­tions et cela seule­ment le com­blait de joie ».

Si pauvre pour lui et pour ses frères, il ne trou­vait jamais assez beaux les calices et les ciboires qui doivent conte­nir le Corps et le Sang du Christ. Il avait aus­si le plus grand res­pect pour les mains des prêtres et leur per­sonne et disait sou­vent : « Si je ren­con­trais un saint venu du Ciel et le plus pauvre petit prêtre, je salue­rais le prêtre avant le saint, car ses mains touchent le Verbe de Dieu, le Pain de vie ».[3]

Mais reve­nons à notre messe.

Le prêtre, donc, monte à l’au­tel qu’on a dres­sé sur la man­geoire ; il dira n’a­voir jamais sen­ti autant de fer­veur qu’en célé­brant cette messe-là.

Fran­çois, pour­tant bien affai­bli, chante l’É­van­gile d’une voix joyeuse et sonore, puis il prêche. Lors­qu’il par­lait de l’En­fant de Beth­léem, cette voix, écrit l’his­to­rien, deve­nait comme un bêle­ment d’a­gneau, tant le seul Nom de Jésus était doux, pas­sant sur ses lèvres.

Mes­sire Jean de Grec­cio, qui méri­tait bien une récom­pense aurait aper­çu de ses yeux, dans la man­geoire, un mer­veilleux petit enfant endor­mi, mais qui se réveillait chaque fois que Fran­çois appro­chait de lui. Le saint, par sa
parole, ne réveillait-il pas en effet dans le cœur des hommes Jésus, trop sou­vent oublié ?

Les céré­mo­nies ter­mi­nées, cha­cun ren­tra chez soi. Nul ne se sou­ve­nait d’a­voir jamais connu un Noël aus­si beau.

Mais les Frères avaient gar­dé le foin de la , et chaque fois qu’une bête était malade dans une ferme de la région, on lui en fai­sait man­ger un peu. Sou­vent elle gué­ris­sait ; Dieu sait bien que les pay­sans ont besoin de leurs ani­maux. Des hommes et des femmes mêmes, en tou­chant pieu­se­ment quelques brins de ce foin recou­vraient la san­té, les mamans sur­tout, lors­qu’elles avaient de la peine à mettre leur bébé au monde.

La « crèche » de Grec­cio fut d’ailleurs conver­tie en cha­pelle et son autel s’é­lève à l’en­droit de la man­geoire. Le Jésus de la crèche et celui de l’Hos­tie ne sont-ils pas le même divin Sauveur ?

Crèche de la Nativité : explications pour les enfants

Voi­la pour­quoi, dans notre Arche de Saint Fran­çois, les autres ani­maux se rangent avec une sorte de res­pect pour lais­ser entrer de com­pa­gnie l’âne et le bœuf ; ils leur ont même réser­vé un coin spé­cial, avec du foin.

Extrait de L’arche de Saint Fran­çois, (1986), Louise André-Delastre

Illus­tra­tion de Chris­tine Tracol.

Coloriage de Noel, La crèche avec le boeuf et l'ane

  1. [1] Faire maigre est se pri­ver de viande, par péni­tence, le ven­dre­di et cer­tains jours de l’Avent et du Cueille ou les veilles de grandes fêtes. L’É­glise a adou­ci ce com­man­de­ment, mais beau­coup de fidèles conti­nuent à l’ob­ser­ver ; c’est tout de même une bien petite pri­va­tion !
  2. [2] Il ne faut donc pas dire que Saint Fran­çois ait inven­té les crèches telles que nous aimons tant à les faire
    aujourd’­hui, mais sa belle idée en don­na d’autres aux artistes. Quant aux san­tons… les pre­miers ne furent-ils pas tous les gens de Grec­cio ?
  3. [3] Un saint de notre temps, aus­si ami de la pau­vre­té que Fran­çois, comme lui ne trou­ve­ra jamais rien d’as­sez beau pour le culte de Dieu, pour les églises, et, comme lui, par­le­ra admi­ra­ble­ment de la gran­deur du prêtre c’est le saint Curé d’Ars.
    (Lire, du même auteur, « Saint Jean-Marie Vian­ney, Curé d’Ars », 2e éd., 1986, Béti­nas Anno­nay).

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.