∼∼ VIII ∼∼
Toute une joyeuse matinée en perspective, en route vers le Pincio.
C’est délicieux. D’un côté le grand parc de la villa Borghèse, à l’opulente verdure ; de l’autre, la ville de Rome dans cette lumière limpide que lui verse à flots le ciel d’Italie. Sur toute la hauteur, les fleurs semblent jetées par touffes, à profusion. Tous les tons se mêlent dans une richesse inouïe, l’air est embaumé, tantôt par le parfum des roses apporté par une brise infiniment douce, tantôt par l’odeur tonifiante des pins.
Au fond du tableau, Saint-Pierre se dessine majestueux et comme triomphant. Chacun, ébloui, contemple et reste muet.
Une petite voix, au bout d’un long moment, traduit l’impression générale :
— On est bien ici.
— Oui, Colette, répond maman ; profitons-en longuement.
Restons à l’ombre, le regard posé sur ce panorama, et puis demandons à ton père de continuer l’Histoire de l’Église.
— Excellente idée, car nous sommes arrivés à l’heure de son triomphe sous Constantin, et tout, dans ce que nous avons ici sous les yeux, chante la victoire du Christ. Seulement, je vous avertis que, si nous nous mettons à l’œuvre, il va falloir se donner de la peine. La période de l’Histoire de l’Église que nous abordons est difficile à bien saisir.
— Ça ne fait rien ! décide impétueusement Colette ; expliquez, papa, s’il vous plaît, tout ce que nous pouvons comprendre.
— Hé bien, écoutez-moi. En quittant le Colisée, je vous ai fait remarquer, à droite, l’arc de triomphe de Constantin. Qui était ce Constantin ?
Jean se hâte de répondre :
— Constantin, fils de Constance Chlore, gouverneur de la Gaule.
— C’est cela même. Cet homme fut entre les mains de Dieu un instrument providentiel. Beau, grand, élancé, naturellement majestueux, merveilleusement doué, ayant une haute intelligence, un esprit pondéré, un caractère magnanime, ce profond politique, ce chef valeureux eût été parfait, si l’enivrement du succès n’eût causé les quelques faiblesses regrettables de sa vie.
L’Histoire Romaine nous apprend comment Constantin, sympathique aux chrétiens, se trouva en guerre avec Maxence, qui, lui, soutenait le paganisme.
Dans sa marche vers Rome, Constantin eut une vision. Au-dessus du soleil, une Croix lumineuse lui apparut dans le ciel, avec cette inscription : « Sois vainqueur par ce signe. » Toute l’armée vit le prodige. Le lendemain, Constantin prenait la Croix pour étendard impérial ou « Labarum ». Désormais il irait de victoire en victoire.
Un de ses premiers actes fut de rendre la liberté à l’Église par l’Édit de Milan.
— Qu’est-ce que c’est donc exactement, mon oncle, qu’un édit ? questionne Annie.
— C’est une ordonnance, un ordre, si tu aimes mieux, émanant de l’autorité souveraine, ayant donc force de loi.
— Et que disait cet édit de Milan ?
— Il commençait ainsi : « Nous avons résolu d’accorder aux chrétiens et à tous les autres la liberté de pratiquer la religion qu’ils préfèrent, afin que le Dieu qui est au ciel soit propice à nous-même, et à ceux qui vivent sous notre domination. »
Ce fut, dans toutes les chrétientés de l’Empire Romain, qui comprenait près de 1600 évêchés, un long cri de joie. Après tant de souffrances, c’était la liberté, chèrement acquise, mais désormais certaine, de pouvoir vivre au grand jour sa Foi chrétienne.
En effet, mes enfants, les persécuteurs avaient enraciné cette Foi dans les âmes. La fermeté indomptable des martyrs avait appris au monde païen que personne ne peut obliger une conscience à capituler. L’erreur est l’erreur et la vérité est la vérité. Tous les martyrs avaient supporté les pires tortures pour affirmer cela, à la face du monde entier.
Après trois siècles de luttes, la vérité triomphait.
En l’an 321, les églises catholiques reçurent le droit de propriété ; la vraie religion s’établissait, gagnant de proche en proche.
On eût pu croire, n’est-ce pas, que tout était sauvé ? Non ; il entre dans les desseins de Dieu que la vie de l’Église soit un long combat. Ainsi ses fils ne pourront jamais s’endormir dans l’amollissement d’une paix trop heureuse. Ils garderont l’attitude des sentinelles, qui protègent le fort en veillant.
Sous Constantin, les persécutions sanglantes étaient finies ; d’autres épreuves allaient surgir, très dangereuses, non plus pour les corps, mais pour les âmes. Les nouveaux convertis gardaient inévitablement bien des restes de paganisme dans leurs esprits et dans leurs habitudes ; les vérités de la Foi les étonnaient encore et ils n’en étaient pas, pour la plupart, suffisamment instruits. Et puis, l’esprit de l’homme tombe facilement dans l’erreur. Plusieurs se mirent à enseigner des choses fausses et l’orgueil les entraîna dans la révolte, avec ceux qui les suivaient. Ce sont des hérésiarques, c’est-à-dire ceux qui inventent les hérésies.
— Et que signifie ce mot ? réclame Colette.
— Hérésie veut dire : choix.
Les hérétiques choisissaient, parmi les vérités religieuses, celles qu’ils admettaient plus facilement. Quand il fallait accepter, avec humilité, des vérités qu’ils avaient d’abord mal comprises, et même mal enseignées, quand surtout ces vérités les obligeaient à réformer leurs vies, il les niaient, ni plus ni moins.
— En voilà une religion ! déclare Colette avec candeur. Comme si le Bon Dieu pouvait se tromper, et qu’on pouvait choisir dans ce qu’il a dit ! Ils sont idiots ces gens-là !
— Non, Colette, ils ne sont pas idiots, ils ont même été quelquefois très intelligents ; mais quelque chose les a perdus, comme il a perdu le plus grand des Anges du Ciel : c’est l’orgueil.
— C’est triste, reprend Colette, en secouant sa tête blonde. Et il y a eu beaucoup d’hérésiarques ?
— Il en avait surgi dès le Ier siècle et, de loin en loin, tout le long de l’Histoire de l’Église, il s’en est rencontré. Mais un des plus célèbres, justement sous Constantin, s’appelait Arius.
— Et qu’est-ce qu’il a « choisi » celui-là ? continue Colette, avec un air de souverain mépris.
— Il enseignait « que le Fils de Dieu a été créé, qu’il n’est point éternel et égal à son Père ».
— Hé bien, il ne savait pas son catéchisme, voilà tout : « Le Père est-il Dieu ? oui le Père est Dieu. Le Fils est-il Dieu ? oui le Fils est Dieu. Le Saint-Esprit est-il Dieu ? oui le Saint-Esprit est Dieu. Les trois Personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sont égales en toutes choses. »
— Bravo, Colette ! dit Bernard.
Mais papa reprend très sérieusement :
— Là est la vérité. Seulement, pour la déclarer devant Arius et ses partisans, l’Église a pris un grand moyen, qui lui sert chaque fois que cela lui semble utile. Elle réunit alors les évêques en assemblées nommées conciles et, dans ces réunions, prend les décisions nécessaires.
Il y a eu de petits conciles, si je puis ainsi parler, composés d’un certain nombre d’évêques. Mais il y a eu aussi, beaucoup plus rarement, de grands conciles universels, qui portent un nom difficile à retenir. On les appelle conciles œcuméniques ou généraux : ceux-là réunissent les évêques du monde entier, sous la direction du Pape présent, ou représenté par un légat. Vous savez que les évêques, ainsi assemblés en union avec le Pape, participent à son privilège de l’infaillibilité.
— Tant mieux, décide Colette, soulagée. Si les évêques et le Pape se sont réunis comme ça pour répondre à cet orgueilleux que vous appelez…, ici Colette hésite.
— Arius, dit Jean secourable.
— Oui, Arius. Hé bien, il aura su une fois pour toutes que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont égaux en toutes choses.
Papa sourit à l’ardeur de sa blondinette, dont les yeux, habituellement si limpides et si doux, ont des lueurs indignées.
— Hé ! ça n’a pas été si facile que ça ! D’abord, il s’agissait de choisir le lieu de ce premier grand concile œcuménique. Constantin proposa Nicée.
— Nicée ! cette ville là-bas, située au bord du Bosphore ?
— Parfaitement. Ainsi placée entre l’Orient et l’Occident, Nicée semblait bien faite pour réunir tous les princes de l’Église universelle.
Constantin écrivit à chacun d’eux : « Nul de vous n’ignore que rien ne me tient plus à cœur que la piété envers Dieu. »
— Quel chic type ! mâchonne Bernard.
— Quel grand prince, rectifie son oncle. Il mit immédiatement à la disposition des évêques les voitures de la Poste impériale, et les larges voies romaines, si admirablement tracées pour relier les diverses parties de l’empire, furent bientôt sillonnées d’augustes voyageurs. Chars, chevaux, serviteurs, employés de la poste, tout, par ordre de l’empereur, était à leur service.
Ils se rencontrèrent pour la première fois au mois de mai de l’an de grâce 325, en cette ville de Nicée. Beaucoup se connaissaient de réputation. On savait les souffrances endurées pour le Christ par ceux qui étaient des confesseurs de la Foi. Il y avait Paphnuce, évêque de Thébaïde, avec son pauvre œil crevé par les bourreaux, et sa jambe dont les muscles avaient été coupés, tandis qu’il travaillait aux mines ; saint Paul de Césarée, la main mutilée par le fer, et combien d’autres !
Le Pape saint Sylvestre, trop âgé pour se déplacer, avait délégué, pour tenir sa place, Hosius, évêque de Cordoue, ami et conseiller de Constantin. Il était accompagné de deux prêtres, Vite et Vincent.
Songez, mes enfants, à l’émotion de cette auguste assemblée. On y parlait toutes les langues, mais il n’y avait qu’une seule et même Foi, pour laquelle on avait souffert jusqu’aux plus douloureux sacrifices.
On s’entendait d’ailleurs en parlant grec et latin. Ces évêques étaient aussi des savants.
Constantin parut au début du concile, comme président d’honneur, mais seul l’évêque Hosius, représentant le Saint Père, eut la direction des délibérations doctrinales.
— Oh ! papa, interrompt Colette, est-ce que cet Arius est venu ?
— Bien sûr, et avec une arrogance incroyable. Il avait amené des partisans, qui discutaient tout indéfiniment, comme font ceux qui ne savent pas reconnaître qu’ils se sont trompés. Mais il y avait là un diacre, amené par l’évêque d’Alexandrie, où Arius avait répandu sa doctrine. Ce diacre, qui s’appellera saint Athanase, jetait par terre, comme des châteaux de cartes, les pauvres discussions des adversaires de la Foi.
Enfin après de longues, longues séances, le concile condamna l’erreur d’Arius et affirma Dieu le Fils « consubstantiel » à Dieu le Père, c’est-à-dire Dieu comme Lui.
Alors les évêques rédigèrent tous ensemble une formule de Foi qui n’est autre que le symbole des Apôtres développé. C’est celui qui se chante à la Messe et que d’autres conciles ont complété encore.
Quand la formule adoptée fut communiquée à Constantin, il s’écria : Ce n’est pas l’œuvre des hommes, mais du Saint-Esprit.
A la clôture du concile eut lieu une scène dont il faut que vous gardiez le souvenir. L’empereur félicita les évêques, les combla d’honneurs, et lui qui, à cette heure, commandait au monde civilisé, voulut aller de l’un à l’autre, baiser les blessures de ceux qui avaient souffert pour la Foi.
Ainsi, à cette heure mémorable, un grand prince s’inclinait avec respect et obéissance devant le gouvernement spirituel de l’Église.
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