Charles de Foucauld, sa jeunesse aventureuse.

Auteur : Carrouges, Michel | Ouvrage : Charles de Foucauld .

Temps de lec­ture : 12 minutes

Petite vie de Charles de Foucauld - gourmandiseSi Charles de Fou­cauld est cano­ni­sé un de ces jours, on pour­ra dire de lui : c’é­tait le plus gour­mand des saints.

A vingt ans, quand il était élève à l’é­cole de cava­le­rie de Sau­mur, il se sou­ciait fort peu de ce qu’on pou­vait don­ner à man­ger au réfec­toire, il s’ar­ran­geait pour dîner toutes les fois qu’il pou­vait chez Budan, le meilleur res­tau­rant de la ville. S’il était aux arrêts et mis dans l’im­pos­si­bi­li­té de sor­tir, ce qui arri­vait sou­vent, il se fai­sait appor­ter du dehors des plats de luxe et des vins fins pour fes­toyer en com­pa­gnie de son ami le mar­quis de Morès et de quelques autres camarades.

A por­tée de son lit, il avait d’ailleurs en per­ma­nence du pâté de foie gras et une bou­teille de vieux vin pour pou­voir se remon­ter le moral en cas d’insomnie.

Rien de tout cela ne lui suf­fi­sait. En cette bonne ville de Sau­mur, Charles de Fou­cauld connais­sait quelques familles de parents et amis qui l’in­vi­taient de temps à autre à des goûters.

Les enfants le redou­taient comme la peste, car dès qu’il s’ap­pro­chait de la table des gâteaux, ceux-ci dis­pa­rais­saient comme par enchan­te­ment. Aus­si quand les parents disaient aux enfants : sur­tout ne sui­vez pas l’exemple de votre grand cou­sin Charles, les enfants étaient tous bien d’accord.

A part cela il était amu­sant, plein de gen­tillesse, tou­jours prêt à invi­ter quel­qu’un à faire bom­bance avec lui, dès qu’il y pen­sait, mais il n’a­vait qu’une envie : bien jouir de la vie et en faire le moins pos­sible. A vingt ans il ado­rait se faire voi­tu­rer en fiacre comme un vieux mon­sieur ; à force de bien man­ger il était deve­nu gras et presque obèse.

Récit pour les momes - Charles de Foucauld  et son grand-pèreNé à Stras­bourg en 1858, Charles de Fou­cauld était deve­nu orphe­lin quand il était encore petit gar­çon et il avait été éle­vé par son grand-père le colo­nel de Monet qui fut très bon et très faible avec lui. Charles fit des études secon­daires pas­sables. Pour faire plai­sir à son grand-père, il se pré­sen­ta à l’é­cole de Saint-Cyr et fut reçu 82e sur 412, mais il n’en sor­tit que 333e sur 386. Il put ain­si entrer à l’é­cole de cava­le­rie de Sau­mur, et il réus­sit encore l’exa­men de sor­tie, mais 87e sur 87.

A ce moment-là il était majeur, et comme ses parents étaient morts, il reçut en héri­tage une très grosse for­tune. Il y pui­sa tout de suite à pleines mains pour s’of­frir tous les plai­sirs qu’il dési­rait. Bref il se com­por­tait exac­te­ment comme le fils pro­digue de l’Évangile.

Bien enten­du, il ne met­tait plus les pieds à l’é­glise et ne croyait même plus à la religion.

Nom­mé aux Chas­seurs d’A­frique, il fit un tel scan­dale que le colo­nel, indi­gné, lui deman­da de ren­trer dans le droit che­min ou de quit­ter l’ar­mée. Mais Fou­cauld se moquait éper­du­ment des remon­trances du colo­nel et le résul­tat fut que, le 20 mars 1881, le sous-lieu­te­nant Charles de Fou­cauld fut ren­voyé de l’ar­mée. Il avait vingt-deux ans.

Il par­tit pour Évian, une belle ville d’eaux sur les bords du lac de Genève, avec l’in­ten­tion bien arrê­tée de pas­ser toute sa vie à dépen­ser beau­coup d’argent et à jouir sans bornes de sa richesse.

Foucauld se révolte

Trois mois plus tard, en juin, Fou­cauld est encore à Évian. Il conti­nue à mener une vie de plai­sirs et il n’y a pas de rai­sons pour que cela s’arrête.

Mais il a l’im­pru­dence d’a­che­ter le jour­nal et, ce jour-là, une nou­velle lui saute aux yeux : « Insur­rec­tion dans le sud de l’Al­gé­rie ». Le 4e régi­ment des Chas­seurs d’A­frique est envoyé contre les rebelles.

Charles de Foucauld à Évian

C’est le régi­ment de Foucauld.

En un ins­tant le jeune homme est retour­né : com­ment ! ses cama­rades sont au com­bat tan­dis qu’il se pré­lasse à Évian. Impos­sible, il veut les rejoindre immé­dia­te­ment. C’est comme un trem­ble­ment de terre dans son esprit. En quelques ins­tants, l’in­sou­ciance, la paresse et la pas­sion des plai­sirs ont ces­sé de fas­ci­ner Fou­cauld. Le sens de la cama­ra­de­rie l’ar­rache à son égoïsme habi­tuel, il se sent prêt à sup­por­ter toutes les pri­va­tions et tous les périls d’une cam­pagne pour par­ta­ger le sort de ses camarades.

Aus­si­tôt il prend le train, court à Paris au minis­tère de la Guerre et demande à n’im­porte quel prix sa réin­té­gra­tion dans l’ar­mée. La demande est accep­tée et Fou­cauld repart aux Chas­seurs d’Afrique.

Pour­quoi cette révo­lu­tion dans l’âme de Foucauld ?

Il y a tou­jours quelque chose de mys­té­rieux dans la vie, sur­tout dans les actes déci­sifs qui marquent les grands moments d’une des­ti­née. Mais Fou­cauld a révé­lé deux choses qui jouèrent un grand rôle dans cette volte-face.

La pre­mière, c’est que la vie qu’il menait ne le satis­fai­sait pas du tout. Autour de lui on disait qu’il avait la bonne vie, qu’il fai­sait la fête sans arrêt. En appa­rence c’é­tait vrai, et il était le pre­mier à en jouir avi­de­ment, mais en même temps il était tel­le­ment gavé qu’il était déjà dégoû­té de tout et qu’il res­sen­tait au fond de son cœur un immense vide d’en­nui et de las­si­tude. Seule­ment il ne savait plus com­ment en sor­tir. Plus il s’en­nuyait, plus il cher­chait à inven­ter de nou­velles dis­trac­tions, plus il s’en pro­cu­rait, plus il s’en las­sait et ne savait quoi inventer.

L’an­nonce du sou­lè­ve­ment des Arabes dans le sud de l’Al­gé­rie et du départ de ses cama­rades au feu écla­tait comme un coup de foudre. L’ap­pel de la cama­ra­de­rie dans le dan­ger lui parut irré­sis­tible. Il cou­rut au com­bat comme il avait cou­ru vers les plaisirs.

C’é­tait sa pre­mière conver­sion, celle du caractère.

Charles de Foucauld officier dans le desert

Le plus beau est qu’il tint le coup et per­sé­vé­ra. Beau­coup pou­vaient en dou­ter quand il revint aux Chas­seurs d’A­frique, mais son cama­rade Laper­rine, le futur chef saha­rien, fut témoin de son extra­or­di­naire téna­ci­té : pen­dant toute la cam­pagne, Fou­cauld se pas­sa allè­gre­ment de fiacres et de bons dîners pour par­ti­ci­per à la guérilla.

Et pour­tant, six mois plus tard, la lutte ter­mi­née, Fou­cauld démis­sion­nait et quit­tait de nou­veau l’ar­mée. Que s’é­tait-il passé ?

Un émule de Livingstone

Un jour à midi, sur une place de Tlem­cen, quelques offi­ciers des Chas­seurs d’A­frique aper­çoivent un petit rab­bin juif qui est accrou­pi par terre, en train de man­ger du pain et des olives. Il est enve­lop­pé d’une grande robe de laine blanche à manches courtes et coif­fé d’une calotte rouge entou­rée d’un tur­ban de soie noire. « Il a l’air d’un singe », décla­ra l’un des offi­ciers, et tous les autres écla­tèrent de rire.

Le petit rab­bin, c’é­tait Foucauld.

Les offi­ciers le connais­saient. Aucun ne l’a­vait reconnu.

Dans quelles aven­tures extra­or­di­naires s’é­tait-il donc lancé ?

Charles de Foucauld deguisé en juif pour explorer le MarocSi Fou­cauld avait une seconde fois quit­té l’ar­mée après la cam­pagne dans le sud de l’Al­gé­rie, c’est qu’il ne vou­lait à aucun prix reprendre la vie de gar­ni­son. Sans doute crai­gnait-il d’y retom­ber dans son ancienne vie de plai­sirs et de fai­néan­tise. Mais il y avait une autre rai­son. Le com­bat contre les Arabes ne lui avait ins­pi­ré ni haine ni mépris pour ses adver­saires. Au contraire. Il s’é­tait pas­sion­né pour ce monde incon­nu qui était là devant lui, il le regar­dait avec une curio­si­té et une sym­pa­thie gran­dis­santes. Il ne quit­ta donc pas l’ar­mée pour retour­ner à Évian mais au contraire pour se plon­ger au cœur du monde musulman.

C’é­tait encore la période des grandes explo­ra­tions afri­caines. Des années plus tôt, Living­stone et Stan­ley s’é­taient enfon­cés dans les forêts vierges de l’A­frique noire. D’autres, tels que Caillié et Duvey­rier avaient explo­ré cer­taines régions du Saha­ra. Il res­tait encore bien d’autres domaines à découvrir.

L’un d’eux était le Maroc. Le Maroc est un grand et magni­fique pays, légi­ti­me­ment fier de sa vieille civi­li­sa­tion, mais il était déchi­ré par l’a­nar­chie et farou­che­ment hos­tile aux étran­gers, sur­tout par peur de l’es­pion­nage. C’est ain­si qu’à part cer­tains tra­jets bien connus des ambas­sa­deurs entre les grandes villes du nord du pays, le reste de la géo­gra­phie maro­caine était pra­ti­que­ment incon­nu des savants.

Voi­là le pays que Fou­cauld vou­lait explorer.

Charles de Foucauld explore le Maroc avec MardochéeMais il devait le faire en cachette. Alors qu’un riche Maro­cain de cette époque pou­vait visi­ter autant qu’il le vou­lait Paris, Mar­seille, les Alpes ou les Pyré­nées, Fou­cauld était dans l’im­pos­si­bi­li­té de voya­ger au Maroc, même en tou­riste. Il ne pou­vait se dégui­ser en musul­man car il connais­sait trop mal la langue arabe et la reli­gion de l’Is­lam. Il choi­sit donc de se dégui­ser en rab­bin juif et prit pour guide un vieux rab­bin du nom de Mar­do­chée. En effet, les juifs étaient mépri­sés dans ces pays et menaient une vie tout à fait à part, de sorte que l’ex­plo­ra­teur avait plus de chances de pas­ser inaper­çu aux yeux des musulmans.

Fou­cauld ne vou­lait pas faire le voyage en ama­teur, il vou­lait rap­por­ter des don­nées scien­ti­fiques. A Alger, pen­dant dix-huit mois, il tra­vailla l’his­toire du Maroc, l’art d’é­ta­blir les cartes, avec les alti­tudes, les lon­gi­tudes et les lati­tudes. La pas­sion de l’ex­plo­ra­tion en avait déjà fait un tra­vailleur acharné.

En juin 1883, il endosse son dégui­se­ment de rab­bin et part vers le Maroc sous la conduite de Mar­do­chée. Et c’est ain­si qu’il pas­sa inco­gni­to sous le nez d’an­ciens cama­rades, à Tlem­cen. Il était aux portes du Maroc sur le seuil de la plus grande aven­ture de sa vie.

Pra­ti­que­ment, l’ex­plo­ra­teur n’ar­rive pas à péné­trer au Maroc par la voie de terre. Il s’embarque à bord d’un petit bateau dans le port algé­rien de Nemours et débarque à Tan­ger, le grand port maro­cain. Là, il se pro­cure des lettres de recom­man­da­tion d’un haut per­son­nage maro­cain qui aime beau­coup les Fran­çais et qui leur prête son appui chaque fois qu’il peut.

Jus­qu’à Fez, le voyage se pour­suit sans graves dif­fi­cul­tés mais le jeune explo­ra­teur est obli­gé de prendre d’in­fi­nies pré­cau­tions pour faire son tra­vail scien­ti­fique. Il est obli­gé de dis­si­mu­ler sa bous­sole et son baro­mètre sous les plis de son man­teau, et pour noter le résul­tat de ses obser­va­tions il ne dis­pose que d’un minus­cule car­net de cinq cen­ti­mètres car­rés qu’il cache dans le creux de sa main gauche et où il écrit avec des petits bouts de crayons de deux cen­ti­mètres. Mal­gré ces dif­fi­cul­tés il arrive à faire de tout petits cro­quis d’une mer­veilleuse précision.

Mais l’au­to­ri­té du sul­tan ne dépasse guère la région de Fez ; au-delà, c’est le pays insou­mis. Impos­sible d’al­ler plus loin sans de nou­velles recom­man­da­tions et sans payer des gardes du corps pour être défen­du à main armée en cas d’at­taque par les ban­dits de grand che­min qui pullulent.

Fort heu­reu­se­ment, Fou­cauld est reçu à Fez par un riche com­mer­çant israé­lite, M. Samuel ben Simoun, qui va tout faire pour aider le jeune explo­ra­teur et lui pro­cu­rer les appuis indispensables.

Mal­gré toutes les pré­cau­tions prises, les dif­fi­cul­tés ne font que com­men­cer dès que Fou­cauld et Mar­do­chée ont quit­té la région de Fez et péné­tré en ter­ri­toire insou­mis. Tan­tôt, ce sont les gardes du corps qui s’ar­rêtent brus­que­ment sur la piste et réclament un sup­plé­ment de salaire ; tan­tôt, ce sont les gens des tri­bus qui arrivent l’arme à la main pour récla­mer de l’argent aux voya­geurs qui tra­versent leur territoire.

Imper­tur­bable, Fou­cauld conti­nue sa marche vers le sud-est en direc­tion de l’At­las, mal­gré les sup­pli­ca­tions de Mar­do­chée qui se sent de moins en moins ras­su­ré. Il y a de quoi. Quand les deux rab­bins juifs, le vrai et le faux, arrivent à l’en­trée de la grande région du Tad­la, les dif­fi­cul­tés ne font que s’ag­gra­ver. La région est rem­plie de pillards qui ont la répu­ta­tion bien éta­blie de détrous­ser entiè­re­ment les voya­geurs et de leur prendre tout ce qu’ils ont comme argent et vivres, même leurs vête­ments. Bien heu­reux encore si le mal­heu­reux volé peut sau­ver sa vie. Impos­sible de comp­ter sur le sys­tème habi­tuel des deux ou trois gardes du corps pour vous pro­té­ger, même les cara­vanes armées de cin­quante fusils renoncent à se ris­quer dans la région.

Un seul espoir : au centre du Tad­la, la petite ville de Bou­jad appar­tient à une puis­sante zaouia connue dans tout le pays.

Mission d'exploration au Maroc

(A suivre…)


Navigation dans Charles de Foucauld
Charles de Fou­cauld, sa conversion »

Un commentaire

  1. steyer jean-martin a dit :

    mer­veilleux ce récit plein de fraî­cheur et de découvertes

    2 août 2014
    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.