Mariage
On raconte qu’il y avait à Rome une noble veuve, plus riche de vertus que fortunée, et grandement désireuse de marier sa fille avant de mourir. Hélas, ce n’est pas chose aisée lorsqu’on n’a qu’une maigre dot à offrir aux prétendants ! Cependant, cette pieuse chrétienne se sentait vieillir et chaque jour elle s’inquiétait davantage de l’avenir de son unique enfant. Comme cette dernière était encore jeune et, dit-on, fort jolie, elle décida de tenter un grand coup en mettant saint Antoine de Padoue dans l’affaire.
Ne trouve-t-on pas la statue de l’illustre prédicateur dans toutes les églises du monde ? C’est, à n’en pas douter, parce qu’il jouit d’un crédit tout particulier au ciel ! On prétend même qu’en Italie les fidèles ont en lui une confiance telle que beaucoup n’hésitent pas à le faire passer avant le Bon Dieu ! L’intéresser à ce mariage si désiré était donc, pour la noble famille romaine, miser sur le succès. Aussi la mère et la fille commencèrent-elles leur neuvaine avec une foi à transporter les montagnes ! Et tandis que leur prière montait vers le Saint elles se disaient l’une et l’autre : « Il va nous exaucer ! Dans huit jours, neuf au plus, le candidat que nous attendons sera là ! »
Cependant les jours de la neuvaine passent, la semaine se termine et personne ne se présente… Saint Antoine serait-il devenu dur d’oreille avec les années, ou son cœur se serait-il endurci ? Le désappointement de ses deux dévotes est d’autant plus vif que leur confiance en lui avait été plus entière…
Au soir du neuvième jour, la fille, désespérée, prend la statue de l’humble fils de saint François et commence à se plaindre amèrement à lui, un peu à la manière des Napolitains lorsqu’ils s’adressent à saint Janvier le jour de sa fête !
Il faut savoir que ce jour-là, l’archevêque de Naples approche la tête du martyr d’un petit flacon rempli de son sang et qu’après un moment d’attente et de prière le liquide se met à bouillonner comme s’il était frais. Parfois cependant le Saint tarde à opérer le miracle… Alors les Napolitains, dont le sang bout naturellement toute l’année… se
fâchent ! Remplaçant les invocations par des menaces ils vont souvent jusqu’à insulter celui qui est cependant le grand protecteur de leur cité !
Que dit exactement la jeune fille au protecteur de la ville de Padoue ? L’histoire ne le rapporte pas. Ce qu’il y a de certain c’est qu’elle n’obtint pas davantage de mari par les menaces qu’avec la prière. Furieuse de voir ainsi crouler tous ses rêves, la candidate au mariage brandit la modeste statue de plâtre et, d’un geste brusque, la lança par la fenêtre ! Ainsi, pensa-t-elle, le Saint sera puni et il ira misérablement s’écraser sur le pavé de la rue !
Contrairement à ces peu louables prévisions la statue n’arriva pas jusque là ! Au même instant passait en effet sous la fenêtre un jeune homme, à la mise soignée, qui se rendait à son travail. Le malheureux eut la désagréable surprise de sentir soudain un objet dur le heurter à la tête, enfoncer son chapeau… et le couvrir de débris de plâtre ! Ne se doutant nullement qu’il s’agissait de saint Antoine il lève les yeux.., Une fenêtre est ouverte à l’un des étages et sur l’appui une main est encore tendue comme venant de se libérer d’un objet. Pas de doute, le coupable est là ! D’un bond le jeune homme est dans l’escalier puis devant la porte où il sonne vigoureusement. La jeune fille effrayée s’empresse d’aller se cacher dans une pièce voisine tandis que sa mère, toute tremblante, ouvre à l’inconnu. Le premier contact est plutôt froid… Le passant explique, poliment mais avec fermeté, ce qui vient de lui arriver et fait remarquer que le procédé manque pour le moins d’élégance. « Heureusement, ajoute-t-il, l’objet n’était pas très lourd et mon chapeau a amorti le choc ! Il ne me reste plus qu’à faire disparaître les traces… »
La mère confuse présente humblement ses excuses puis, n’y tenant plus, dévoile la vérité : « Je désirais tellement ne pas laisser ma fille seule dans la vie, cher Monsieur ! Je n’ai qu’elle au monde ! Hélas, saint Antoine n’a pas voulu exaucer nos prières… Le geste de mon enfant n’était pas beau, j’en conviens, mais je vous demande de le comprendre tout de même un peu », supplie la malheureuse veuve. Le jeune homme voit immédiatement qu’il a affaire à une personne sincère et d’une éducation parfaite. Il s’empresse d’assurer qu’il pardonne de tout cœur, mais ajoute qu’il ne serait pas fâché de faire connaissance avec l’auteur du méfait. La mère, voyant que l’incident n’aurait pas de suites, ouvre alors la porte de la pièce voisine et demande à sa fille de présenter à son tour ses excuses. Toute rougissante celle-ci s’exécute… À voir sa confusion le jeune homme se rend compte qu’il ne s’agit que d’un geste irréfléchi et se retire sans insister.
Dans les jours qui suivirent, la réflexion aidant, le garçon finit même par se demander si la présence de saint Antoine dans toute cette affaire n’était pas pour lui une indication de la Providence. Célibataire déjà d’un certain âge, désireux depuis longtemps de trouver une compagne sérieuse et de bonne famille, n’avait-il pas enfin découvert ce qu’il cherchait ? L’histoire de la statue n’était-elle pas la seule faute commise par la charmante personne qui l’avait inondé de plâtre ? Renseignements pris il s’aperçut bien vite que c’était exact. Dans le quartier la veuve aussi bien que sa fille étaient hautement estimées par tous. Il ne lui restait donc plus qu’à se rendre une nouvelle fois à la même adresse et y solliciter la main de celle que saint Antoine lui avait si curieusement indiquée ! Cette demande fut reçue avec la joie que l’on devine… Et quand le fiancé se fut retiré la jeune fille dit à sa mère en lui sautant au cou : « Tout de même, maman, qui eût cru que saint Antoine nous exauçait au moment où je le jetais par la fenêtre ! »
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