L’Eucharistie.
La Révolution française venait d’éclater. Partout les églises étaient profanées, les prêtres dénoncés, traqués comme des bêtes fauves, souvent fusillés sur le bord des chemins. Les fidèles eux-mêmes voyaient leurs maisons envahies par des bandes de forcenés qui menaçaient de les égorger s’ils ne dénonçaient pas les prêtres qu’ils connaissaient.
Le curé de la paroisse de Moned, en Bretagne, avait abandonné son presbytère pour échapper aux révolutionnaires. Depuis des semaines il errait à travers la campagne, ne voulant compromettre personne par sa présence. Voyant sa misère, un brave paysan décida de l’accueillir chez lui et de mettre sa ferme à sa disposition. « Vous serez ici chez vous, lui dit-il. La grange vous servira pour dire la messe et mon fils Benjamin sera votre enfant de chœur. » L’enfant, qui désirait vivement faire sa Première Communion, fut au comble de la joie, car le prêtre pourrait ainsi lui enseigner le catéchisme et le préparer facilement à ce grand jour. Dans sa nouvelle demeure le bon curé vécut à la manière de ceux qui l’entouraient. Vêtu d’une veste de paysan, chaussé de gros sabots, il accompagnait ses hôtes aux champs. Son déguisement le cachait si bien qu’il pouvait aller dans toutes les directions sans être reconnu, sauf de ses paroissiens qu’il encourageait et consolait de son mieux. Benjamin lui servait habituellement de guide, surtout la nuit, car il connaissait les moindres sentiers. En cas de soupçon il n’hésitait pas à se faire passer pour le fils du proscrit qu’il appelait d’ailleurs : Père.
Chaque dimanche, avant le lever du jour, le curé célébrait la messe dans quelque ferme isolée. Les voisins, discrètement prévenus, s’y rendaient par petits groupes afin de ne pas éveiller l’attention. Chaque fois le cœur du petit servant brûlait d’un amour plus ardent pour Jésus et il ne se lassait pas de lui répéter :
« Mon Dieu, je vous aime plus que tout ; permettez que je fasse bientôt ma Première Communion ! Je vous promets de vous aimer toujours ! Plutôt mourir que de vous trahir ! »
Or un soir que tous dormaient à la ferme, la porte fut secouée par des coups répétés. Le fermier entrouvrit sa fenêtre et reconnut la silhouette du voyageur.
« Que veux-tu, Charles, à pareille heure ? » demanda-t-il.
« Ma mère se meurt, répondit l’homme. Elle voudrait bien voir le prêtre. » M. le Curé est aussitôt averti, mais comment faire ? Il n’a pas d’hostie consacrée et la malade serait heureuse de recevoir le viatique ! Il célébrera donc la messe, consacrera une hostie, puis se mettra en route après.
« Qu’y a‑t-il ?» demanda Benjamin qui venait de se réveiller.
« On appelle pour une mourante », lui répondit son père.
En quelques minutes l’enfant est prêt, dispose l’autel et sert la messe. Au moment de la communion le célébrant met une hostie dans un minuscule ciboire qu’il cachait habituellement derrière une poutre, puis, quelques instants plus tard, se met en chemin, précédé de son petit compagnon. Le ciel est sans étoiles, ce qui favorise leur dangereuse entreprise mais rend la marche particulièrement difficile, car le moindre bruit peut déceler leur présence. Si les soldats qui recherchent le prêtre le surprenaient qu’arriverait-il ? Certes, il n’a pas peur de la mort… Il lui serait même doux d’aller se reposer un peu au ciel, mais il a un petit compagnon et de plus, il porte la Sainte Hostie ! Soudain, Benjamin s’arrête, l’oreille aux aguets, « Écoutez, chuchote-t-il au prêtre ; j’entends du bruit de ce côté. » Ils avancent encore de quelques pas et voilà qu’à travers les arbres de la forêt ils voient distinctement les étincelles d’un feu de camp ! Ce sont les soldats qui veillent ! Que faire ? Aucune issue ne s’ouvre devant les voyageurs. Ils pourraient revenir sur leurs pas… mais, à quelques centaines de mètres de là, une chrétienne se meurt ! Si le prêtre avance, il sera certainement reconnu ; il sait d’ailleurs que sa tête est mise à prix. Mais que deviendra la Sainte Hostie qu’il porte ? Une idée tout à coup lui jaillit à l’esprit. « Mon petit, dit-il à Benjamin, voudrais-tu faire ta Première Communion ? » « Oh ! oui, Père », répond aussitôt l’enfant. Le prêtre fait alors agenouiller son jeune compagnon, entend rapidement sa confession puis dépose doucement sur ses lèvres l’hostie consacrée. Le visage de l’enfant se transfigure ; il tressaille de joie et en oublie le danger pourtant tout proche… Mais M. le Curé le tire bien vite de son extase et, l’embrassant paternellement, lui donne l’ordre de retourner à la ferme pendant qu’il essayera de passer. « Que Dieu te garde, mon petit, lui dit-il. Au revoir, en Paradis ! Prends le ciboire, je te le confie. »
Et le prêtre, fidèle à sa mission, reprit sa route en direction de la moribonde. Bien vite il est aperçu par les soldats qui le cherchent depuis des mois. Ils se ruent sur lui comme sur une proie, sachant bien que ses habits de paysan cachent un prêtre. Ils savent aussi qu’il traverse le bois pour aller porter les derniers secours de la religion à une mourante et ils se doutent qu’il a sur lui le Saint-Viatique. On le fouille donc des pieds à la tête, on l’insulte, on le menace s’il ne répond pas aux questions qu’on lui pose. Le courageux martyr n’oppose que le silence à la rage de ses bourreaux. « Puisque tu ne veux pas nous dire où tu a mis ton Dieu, hurlent-ils, eh bien ! monte le voir au Paradis ! » Et d’un coup d’épée ils lui transpercent la poitrine. « Mon Dieu, murmure le prêtre en tombant, pardonnez-leur ! Je remets mon âme entre vos mains ! » Ce furent ses dernières paroles.
Benjamin, tout occupé à son action de grâce, rentrait pendant ce temps à petits pas chez son père… Brusquement sa prière est interrompue par des hurlements et des blasphèmes. Il entend le bruit des armes que l’on charge ; des baïonnettes qui sont mises en place. Plus de doute, on l’a vu et il est cerné ! Dans quelques instants, il sera lui aussi prisonnier… Mais Benjamin a fait à Dieu le sacrifice de sa vie. Il pourrait, s’il le voulait, échapper à la mort en livrant aux soldats le ciboire que le prêtre lui a confié, mais il a juré d’être fidèle jusqu’à la mort, il saura tenir sa promesse ! Guidé par cette courageuse pensée le garçon saisit le petit ciboire puis, faisant quelques pas, va le cacher dans le creux d’un chêne. Il a à peine terminé son pieux geste qu’une voix retentit dans la nuit : « Halte là ! » hurle quelqu’un. Une main brutale lui tombe alors sur l’épaule et il aperçoit près de lui un soldat. « N’est-ce pas toi, lui dit-il, qui accompagnais le curé tout à l’heure ? »
Benjamin ne sait pas mentir…
« Oui, c’est moi », répond-il courageusement.
« Eh bien, je l’ai tué ton curé, et si tu ne veux pas subir le même sort, dis-moi ce qu’il a fait de l’hostie et du ciboire qu’il portait certainement sur lui ! »
L’enfant sent que le moment est grave… A la pensée de la mort qui le menace il pâlit.., puis, relevant le front avec fierté et mettant la main sur sa poitrine il dit résolument : « L’hostie est dans mon cœur ; prenez-la si vous voulez ! Le ciboire, lui, est bien caché ! »
Le sans-culotte furieux de cette double réponse brandit son sabre et, fou de rage, en assène un terrible coup sur la tête de l’enfant. Benjamin, frappé à mort, s’écroule, baignant dans son sang. L’assassin le tourne du bout de pied pour voir s’il bouge encore puis, voyant que sa triste besogne est bien faite, s’en va rejoindre ses compagnons. Mais au bout d’un instant la troupe revient près du cadavre. Elle craint la rancune des paysans s’ils découvrent leur crime. Creusant alors un trou au pied d’un chêne tout proche, celui-là même où était caché le ciboire, ils y ensevelissent le jeune martyr.
Bien des années plus tard, le chêne ayant vieilli, une large fente s’ouvrit près des racines, laissant apparaître des ossements. Divers indices permirent de reconnaître qu’il s’agissait de ceux de Benjamin. L’arbre fut abattu. A la stupéfaction de tous on vit, au-dessus du squelette décharné de l’enfant, un minuscule ciboire doré, debout dans une cavité du tronc ! Les abeilles avaient même travaillé à son ornementation et fabriqué tout autour un disque de cire qui le maintenait suspendu comme un ostensoir…
On le transporta dans l’église du village. Là, sa présence rappela longtemps à tous le glorieux martyre du prêtre et de son héroïque enfant de chœur.
Bonjour, l’histoire est jolie mais pas datée et la paroisse de Moned ne figure pas sur l’annuaire breton d’époque, avez vous des références ???
Merci Bernard
Et oui, moi aussi j’ai fait la recherche de la paroisse en vain.
Ce récit provient du livre 90 histoires pour les catéchistes. Au vu de l’ensemble des histoires de l’ouvrage, je pense que ce récit doit être romancé ce qui explique l’absence de référence.
Mais il serait intéressant de retrouver la ou les histoires réelles qui en sont à l’origine.