Un enfant Jésus inédit !

Auteur : Corbie, Geneviève de | Ouvrage : 90 Histoires pour les catéchistes I .

Temps de lec­ture : 10 minutes

La charité

Dis, maman… il ne sera pas en retard le train ? »

Train en garePour la dixième fois depuis une heure Gil­berte pose la même ques­tion à sa maman !

« Je l’es­père, ma ché­rie », répond Mme Del­vart éga­le­ment pour la dixième fois…

Jacques, le frère cadet, se montre moins patient ! Et lorsque sa sœur reprend pour la onzième fois son refrain, il lui répond, sans se sou­cier du res­pect dû au droit d’aînesse :

« Non, il sera en avance !

— Toi, je ne te demande rien, répond la fillette vexée.

— Tu nous casses les oreilles avec tes ques­tions idiotes, reprend Jacques en haus­sant les épaules d’un air dédaigneux.

— Allons, cal­mez-vous mes enfants, inter­rompt Mme Del­vart qui sent que le dia­logue va se ter­mi­ner en bagarre ! Croyez-vous que l’oncle Hen­ri sera content de vous trou­ver en train de vous disputer ? »

L’oncle Hen­ri est en effet le voya­geur que l’on attend avec une telle impa­tience ! Frère de Mme Del­vart, il est par­ti depuis huit ans comme mis­sion­naire au Gabon, quelques jours à peine après la nais­sance de son neveu. Là, il a bap­ti­sé, évan­gé­li­sé de toutes manières une petite tri­bu Pahouine de la des Makou­kou. Il y serait encore si ses Supé­rieurs ne l’a­vaient char­gé d’une tour­née de pro­pa­gande en Europe au pro­fit de ses enfants noirs. Après une semaine de repos en com­mu­nau­té, le Père avait été auto­ri­sé à pas­ser quelques jours en famille. Grande joie pour Mon­sieur et Madame Del­vart, heu­reux de revoir leur cher mis­sion­naire ; enthou­siasme de la part de Gil­berte et de Jacques qui ne le connais­saient guère que par des photographies…

* * *

Cepen­dant les enfants ne purent cacher une moue de décep­tion lorsque le train, qui n’a­vait ni avance ni retard, dépo­sa sur le quai un voya­geur qu’ac­com­pa­gnait M Del­vart. Mince et de taille moyenne, le visage à demi caché par une barbe fauve, vêtu d’une simple sou­tane noire, l’oncle Hen­ri, à part sa belle barbe, n’a­vait rien de plus extra­or­di­naire que M. le Curé !

missionnaire au congoMais cette pre­mière impres­sion fut de courte durée… Gil­berte et Jacques ne tar­dèrent pas à être conquis par l’en­train du jeune mis­sion­naire et ses cap­ti­vantes his­toires ! Et puis, de sa valise en cuir sor­tirent des bibe­lots si extra­or­di­naires ! Un mor­ceau d’i­voire sculp­té, une petite gourde creu­sée dans une noix de coco, des amu­lettes mystérieuses…

« A toi Jacques, dit le Père, comme tu es mon filleul, je réserve encore un plus beau sou­ve­nir. Devine quoi ? »

Jacques et sa sœur, piqués par la curio­si­té, firent les sup­po­si­tions les plus fantaisistes.

— Un œuf d’au­truche ? Un bébé élé­phant ? Une girafe ? Un pousse-pousse ?

« Beau­coup mieux que tout cela », dit le Père en lis­sant mys­té­rieu­se­ment de la main sa longue barbe.

« Quoi donc, par­rain ? sup­plia Jacques.

— Un petit noir !

— Un petit noir ! Empaillé ?

-Mais non, voyons ; on n’empaille pas les hommes, grand sot !

— Si, par­rain, insis­ta Jacques ! J’ai lu qu’en Chine des mis­sion­naires avaient été pris et condam­nés à être…

— Empa­lés, rec­ti­fia le Père ! C’est-à-dire qu’on leur a pas­sé un gros mor­ceau de bois au tra­vers du corps pour les mar­ty­ri­ser. Mais lui n’est ni empaillé, ni empa­lé… Il est vivant comme toi et Gilberte.

— Vivant ! s’é­crièrent les enfants fous de joie.

— Oui, affir­ma le Père Hen­ri qui, se tour­nant vers sa sœur ajou­ta : Tu te sou­viens qu’au moment de mon départ tu m’a­vais remis, en action de grâce pour la nais­sance de Jacques, une offrande des­ti­née à rache­ter et à bap­ti­ser un autre petit Jacques ?

— En effet dit Madame Delvart.

— Mon pre­mier soin, en arri­vant au Gabon, a été de réa­li­ser ton vœu et bien­tôt je bap­ti­sai un petit noir de quelques semaines. Contre une bonne somme ses parents le lais­sèrent même à la Mis­sion, croyant qu’il n’a­vait plus que quelques jours à vivre.

— Il est mort, mon petit noir ? inter­rom­pit Jacques.

— Bien sûr que non ! Soeurs mission SenegalGrâce aux bons soins des Sœurs du dis­pen­saire il sur­vé­cut, si bien même que, lors­qu’il eut trois ans les hommes de la tri­bu, le voyant robuste, vinrent nous le voler !

— Et alors ?

— Par un heu­reux hasard je l’ai ren­con­tré peu de temps avant mon départ pour la France. Comme la mis­sion l’a­vait ache­té, nous avions des droits sur lui. Je l’ai fait recon­naître par le chef de la tri­bu, grâce à une ancienne brû­lure qui lui a lais­sé une forte cica­trice. Alors, on me l’a ren­du… Et pour que sa tri­bu ne soit pas ten­tée de le reprendre je l’ai ame­né avec moi jus­qu’à la fin de ma tour­née ! J’ai pen­sé aus­si que vous seriez heu­reux de le rece­voir chez vous pen­dant quelques jours ! »

Évi­dem­ment, la pro­po­si­tion fut accep­tée avec joie… Trois jours plus tard, un Frère ame­nait le petit tout effa­rou­ché qui s’é­cria en se jetant dans la sou­tane du Père Henri :

« Mbo­li, Père, mbo­li ! » Ce qui veut dire en langue pahouine : bon­jour, Père, bonjour !

Évi­dem­ment la glace fut vite rom­pue entre les deux Jacques et ils devinrent bien­tôt d’in­sé­pa­rables com­pa­gnons. Pour évi­ter les confu­sions on les appe­la Jacques le blanc et Jacques le noir et ain­si tout ren­tra dans l’ordre !

* * *

La belle fête de Noël appro­chant, l’oncle Hen­ri inter­rom­pit sa tour­née de pro­pa­gande pour pas­ser les fêtes auprès de sa sœur. Ain­si le petit vil­lage, qui était rat­ta­ché à la paroisse voi­sine faute de curé, connaî­trait de nou­veau les belles céré­mo­nies de la Messe de minuit. Gil­berte et sa maman furent char­gées de la déco­ra­tion de l’é­glise et de la . Jacques le blanc de son côté s’ef­for­ça de faire com­prendre à Jacques le noir la beau­té du mys­tère de Noël. Beth­léem et l’é­table… Le bœuf et l’âne… creche de l'égliseLe bon saint Joseph, la Vierge sur­tout qui n’é­tait pas seule­ment la maman du Petit Jésus mais celle de tous les hommes. Jacques le noir écou­tait ces mer­veilles d’une oreille atten­tive mais ne parais­sait guère convain­cu… Fixant de ses grands yeux blancs son jeune caté­chiste, il lui dit, en pous­sant un pro­fond soupir :

« Toi, y en avoir de la chance, pitit Français !

— Pour­quoi ? deman­da Jacques le blanc tout surpris.

— Toi, y en avoir maman ici et puis encore maman au ciel !

— Mais, répli­qua Jacques le blanc, la Sainte Vierge est la maman de tous les enfants ! Sur­tout de ceux qui n’ont pas de mère, comme toi ! »

Mais le petit pahouin ne parut pas convain­cu ! Mon­trant d’un geste déso­lé la jolie sta­tue de N.-D. de Lourdes qui ornait la chambre de son ami Jacques il dit tristement :

« La Sainte Vierge toute blanche… et moi y en avoir figure toute noire !

— Mais ça ne fait rien ! répli­qua Jacques le blanc. La Sainte Vierge ne regarde pas la cou­leur de la peau ! »

Secouant sa tête lai­neuse d’un air déses­pé­ré Jacques le noir répé­ta en pesant ses mots :

« Non, la Belle Dame blanche y en a pas avoir petit enfant noir ! »

Devant ce déses­poir Jacques le blanc ne sut que dire. Puisque les paroles lui man­quaient peut-être trou­ve­rait-il quelque chose qui convain­crait son filleul… mais quoi ? Il réflé­chit, réflé­chit comme jamais cela ne lui était arri­vé puis, sou­dain, pen­sa avoir trouvé !

* * *

Le len­de­main, 24 décembre, il remon­tait de la cave l’air pré­oc­cu­pé, por­tant soi­gneu­se­ment dans la main une boîte de fer blanc. Il se diri­gea vers l’é­glise puis s’ap­pro­cha de la crèche que Gil­berte venait de ter­mi­ner aidée de sa maman. Là Jacques le blanc entre­prit ni plus ni moins que de trans­for­mer l’ de cire rose en un bébé pahouin du plus beau noir ! Oh ! pas d’un affreux noir cirage… mais d’une teinte de châ­taigne un peu brû­lée telle qu’il la voyait sur le visage de son frère jumeau ! Satis­fait de son idée et de son œuvre, notre artiste en herbe s’ap­prê­tait à quit­ter l’é­glise lorsque l’oncle Hen­ri arri­va, appe­lé pour des confes­sions. Voyant son neveu près de la crèche, il s’ap­pro­cha… Décou­vrant alors l’En­fant-Jésus et il pous­sa un cri d’horreur :

« Petit misé­rable, dit-il, à son neveu tout trem­blant, c’est toi qui te per­mets de tels amu­se­ments ? Sais-tu que c’est un sacri­lège ce que tu viens de faire ? »

Mais devant le regard si droit de son neveu, le mis­sion­naire, habi­tué à lire au fond des cœurs, com­prit qu’il fai­sait fausse route. Adou­cis­sant alors le ton, il prit le gar­çon par les épaules et lui dit, le yeux dans les yeux :

« Mon petit Jacques, pour­quoi as-tu fait ça ? »

Enfant-Jésus noirL’ex­pli­ca­tion étant un peu trop longue à don­ner Jacques le blanc entraî­na son oncle à la sacris­tie et lui racon­ta tout ! Quelques ins­tants plus tard le Père Hen­ri sor­tit por­tant devi­nez quoi ? un sceau d’eau ? Une éponge ? Non, mais bien de reste de la pein­ture ! Muni d’un pin­ceau de for­tune il allait retou­cher et com­plé­ter le chef-d’œuvre de son filleul !

Et c’est ain­si qu’à la sur­prise des deux cents habi­tants du hameau la crèche offrit cette année-là, à la véné­ra­tion des fidèles, un Enfant-Jésus du plus beau noir… Et Jacques, le petit pahouin à l’âme farouche et tendre, sou­riait auprès de Lui de toutes ses dents blanches, à la pen­sée qu’il avait, enfin, lui aus­si, une maman dans le ciel !

D’a­près Gene­viève de Corbie

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