Un matin d’octobre, en 1815, papa réveille ses petits en pleurant.
— Venez vite dire adieu à votre mère ! dit-il.
Zoé s’arrête sur le seuil, toute interdite. Maman ne bouge pas, on dirait qu’elle dort ! De grands cierges solennels l’entourent, ses mains jointes tiennent un chapelet, elle semble sourire au milieu des fleurs que l’on apporte par brassées.
Puis elle s’en va, laissant un grand vide dans le cœur de ceux qui l’aiment. Zoé souffre, mais garde le silence. Il y a tant de chagrin tout autour, les yeux rougis de papa lui font tellement mal, qu’elle n’ose se plaindre. Les voisines hochent la tête : « Elle est trop petite pour comprendre ».
Un jour la servante entre sans bruit, ayant sur le seuil quitté ses sabots, et s’arrête pétrifiée.
La sage Zoé est en train d’escalader le buffet ! Pour voler des friandises ? Nenni ! La voici qui se hausse sur les pointes des pieds pour mieux étreindre la statue de la Sainte Vierge. La tête blottie contre son coeur, d’une voix gonflée de larmes, elle murmure :
« C’est vous, maintenant, qui serez ma Mère » !
La servante se retire doucement, émue jusqu’aux larmes.
Ah, si tous les orphelins savaient qu’ils ont au ciel la plus tendre des mamans !
Zoé le sait. À partir de ce jour les liens qui l’unissent à la Sainte Vierge deviennent plus étroits. Naïvement, elle lui conte ses joies, ses peines et dépose à ses pieds des gerbes de chapelets. Car elle prie comme elle respire, tout simplement.
Son instruction laisse plus à désirer. L’école des filles est à trois kilomètres de la maison, trop loin pour ses petites jambes. Après la mort de Mme Labouré, sa tante Marguerite l’emmène chez elle, mais n’a guère le temps de lui donner des leçons. Lorsqu’à douze ans Zoé retournera à Fain pour sa première communion, elle ne saura guère lire ni écrire. Toute sa vie, elle fera des fautes d’orthographe…