∼∼ XXVII ∼∼
La chère vieille maison est retrouvée. Quelles délices ! Toutes les fenêtres sont ouvertes au soleil ; les petites filles s’essoufflent à entasser dans les armoires le contenu des malles.
On voit passer Bernard, Jean, André affublés d’immenses tabliers, brandissant des têtes de loups destinées à donner la chasse à toutes les araignées du pays ! Mais le tablier du petit scout, malgré des combinaisons savantes, est tellement long, qu’il marche dessus et tombe, la tête la première, dans un vieux coffre à bois ! Ce sont des rires qui n’en finissent plus. La poussière vole dans tous les sens ; sous prétexte de cirer, Bernard danse éperdument sur le dallage, en chantant une tyrolienne apprise en Italie. Le tapage est infernal.
Maman appelle sa fille aînée :
— Bernadette, l’arrivée ne vaut pas mieux que le départ ! Emmène-moi cette jeunesse au presbytère. M. le Curé sera si content,… et nous, à tel point délivrés de ces garnements et de leurs rangements invraisemblables !
Quelques instants plus tard, la cloche fêlée de la cure branle à toute volée, et le vieux prêtre alerté accourt, tout rajeuni par la joie, au-devant de ses bruyants paroissiens…
Les jours passent comme des songes. Tout est un bonheur nouveau. Colette s’extasie sur les petits poussins éclos au poulailler ou bien, avec Annie, arrose à profusion les fleurs de son jardin, quitte à rafraîchir en même temps ses bas et ses souliers. De temps en temps, la bande joyeuse accompagne le vieux Curé chez quelque malade éloigné. Chemin faisant, on lui conte ce qu’on a vu là-bas, en Palestine, à Rome, et comment, en cours de route, voyages et excursions ont permis d’étudier un peu les grandes lignes de l’Histoire de l’Église.
Un soir, pour reposer leur vieil ami, après une longue randonnée dans les chemins creux, Bernard propose une halte à l’ombre d’un talus, tout rose de bruyère. Les pieds dans la mousse, chacun s’assied confortablement.
Autour d’un champ d’ajoncs tout proche, de vieilles souches de chênes semblent monter la garde. M. le Curé les contemple longuement, puis, tout à coup :
— Mes enfants, voulez-vous que nous redisions une vieille histoire, comme pour compléter ce que vous avez appris ? C’est l’histoire de douleur et de sang, dont les souvenirs jaillissent dans ma mémoire, en regardant ce champ d’ajoncs entouré de chênes.
J’ai 80 ans. Mon grand-père a vu la Révolution française de 1789. Vous en savez les phases principales, peut-être n’avez-vous jamais réfléchi à ceci : « Cette révolution était faite dans les esprits depuis longtemps. Préparée par la réforme, commencée par la philosophie incrédule et la corruption des mœurs, elle existait en principe, dès que ces causes successives eurent détruit, dans les masses, le respect de l’autorité, non plus seulement autorité religieuse, mais autorité politique et sociale. »
Je crois voir dans tes yeux, Colette, que je m’explique trop savamment pour toi…
— Non, monsieur le Curé, j’ai compris tout de même, vous voulez dire que toutes ces vilaines gens qui ont menti pendant longtemps, comme Luther et Voltaire, sont arrivés à tromper beaucoup de monde. Alors, comme on ne voulait plus obéir au Bon Dieu, on refusait aussi d’obéir au Pape, qui commandait à Rome en son nom, et au roi, qui commandait en France.