Étiquette : <span>Tunis</span>

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 5 minutes

IX

Un monde nouveau devant les missionnaires : l’Amérique

Prê­cher le Christ chez les musul­mans, c’é­tait là une audace que bien sou­vent on expiait par la mort. Dans la seconde moi­tié du XIIIe siècle, un très savant ter­tiaire fran­cis­cain, Ray­mond Lulle, cou­rut l’Eu­rope pour faire orga­ni­ser des col­lèges spé­ciaux où des clercs étu­die­raient les langues de l’O­rient et s’exer­ce­raient à les bien par­ler, où ils étu­die­raient la reli­gion de Maho­met pour mieux pou­voir la réfu­ter ; puis il fran­chit la mer à deux reprises, impa­tient de dis­cu­ter avec les doc­teurs musul­mans et de prê­cher sur les places publiques. La pre­mière fois, à , on l’emprisonna, et puis on l’ex­pul­sa ; la seconde fois, à Bou­gie, il fut lapi­dé et lais­sé pour mort sur la plage ; quelques mar­chands génois le recueillirent, l’embarquèrent ; en mer, il ren­dit l’âme, au mois de juin 1315 : cet infa­ti­gable apôtre avait alors quatre-vingts ans.

Soeurs missionnaires au Pérou en Amérique du Sud
Pérou – Pre­mier loge­ment des Fran­cis­caines Mis­sion­naires de Marie au Cuz­co, capi­tale des Incas.

Un siècle et demi plus tard, à Tunis, une autre grêle de pierres s’a­bat­tit sur un autre reli­gieux, domi­ni­cain celui-là. L’his­toire est bien émou­vante : il s’ap­pe­lait Anto­nin de Ripo­lis ; sur mer, entre Naples et Palerme, où il allait suivre un cours de théo­lo­gie, des pirates l’a­vaient cap­tu­ré ; ils l’a­vaient conduit à Tunis, ils l’y avaient ven­du comme esclave. Le mal­heu­reux, dans un moment de cou­pable fai­blesse, avait renié le Christ ; il s’é­tait marié. Un jour des mar­chands de Flo­rence venus à Tunis lui annon­çaient la mort de saint Anto­nin, arche­vêque de cette ville ; la voix de ces mar­chands était pour lui ce qu’a­vait été pour saint Pierre le triple chant du coq ; lui aus­si pleu­rait, se repen­tait, priait Dieu de lui par­don­ner. Il dis­tri­buait aux pauvres tout ce qu’il avait, res­ti­tuait sa femme à son beau-père et s’en allait crier à l’au­to­ri­té musul­mane : « J’ai renié le Christ ; je reviens à lui ; faites-moi mou­rir. » Elle lui don­na trois jours pour réflé­chir ; le rené­gat de la veille se pré­pa­ra, durant ces trois jour­nées, à deve­nir le mis­sion­naire du Christ. L’au­to­ri­té le fai­sait com­pa­raître : il éle­va la voix plus fer­me­ment, plus hau­te­ment encore, et ce fut pour don­ner l’as­saut à la foi musul­mane, pour la bra­ver, pour la convaincre d’er­reur. Sur la place publique, on le lapi­da, tan­dis qu’il deman­dait par­don, et pour son crime de naguère, et pour les crimes de ses bour­reaux ; d’a­vance, un bûcher s’al­lu­mait pour consu­mer son corps ; ses che­veux, ses vête­ments demeu­raient intacts ; plu­sieurs musul­mans se conver­tis­saient au Christ ; sa brève mais tra­gique pré­di­ca­tion s’a­che­vait par des miracles, qui s’ac­com­plis­saient sur sa tombe… Ses lèvres étaient closes à jamais ; mais par ces miracles, il par­lait encore du Christ.