Étiquette : <span>Sculpteur</span>

Auteur : Lemaître, Jules | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 19 minutes

L'imagier - Titre et Christ

C’é­tait un beau couvent bâti sur un haut pla­teau. Au-des­sus la mon­tagne cou­verte de sapins. Les toits poin­tus et les tou­relles de la sainte mai­son se décou­paient sur ce fond sombre. Au-des­sous une large val­lée, des vignes, des champs de blé, des prai­ries bor­dées de peu­pliers, et un vil­lage le long d’une molle rivière.

Les moines de ce couvent étaient à la fois de bons ser­vi­teurs de Dieu, de grands savants et d’ex­cel­lents labou­reurs. Le jour, leurs robes blanches appa­rais­saient çà et là dans la cam­pagne, pen­chées sur les tra­vaux de la terre ; et, le soir, on les voyait pas­ser de pilier en pilier, sous les arceaux du large cloître, avec un mur­mure de conver­sa­tions ou de prières.

Il y avait par­mi eux un jeune reli­gieux, du nom de frère Nor­bert, qui était un très bon ima­gier. Dans le bois ou dans la pierre, ou bien avec l’ar­gile qu’il pei­gnait de vives cou­leurs, il savait façon­ner de si belles sta­tues de Jésus, de Marie et des saints, que les prêtres et les per­sonnes pieuses venaient les voir de très loin et les ache­taient très cher, pour en faire l’or­ne­ment de leurs églises ou de leurs oratoires.

Frère Nor­bert était fort pieux. Il avait sur­tout pour la sainte Vierge une dévo­tion extra­or­di­naire ; et sou­vent il res­tait des heures devant l’au­tel de l’Im­ma­cu­lée, immo­bile et pros­ter­né sous son capu­chon, les plis de sa robe épan­dus der­rière lui sur les dalles.

Frère Nor­bert était par­fois rêveur. Le soir sur­tout, en regar­dant, du haut de la ter­rasse, le soleil s’é­teindre à l’ho­ri­zon, il deve­nait inquiet et triste. Il aurait vou­lu s’en aller loin, voir d’autres coins du monde que celui où il vivait.

Le prieur lui disait alors :

– Que pou­vez-vous voir ailleurs que vous ne voyiez où vous êtes ! Voi­là le ciel, la terre, les élé­ments : or, c’est d’eux que tout est fait… Quand vous ver­riez toutes les choses à la fois, que serait-ce qu’une 

Auteur : Dulac, O. | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 11 minutes

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Dans l’a­te­lier de maître Guillot, le tailleur d’i­mages, règne une grande animation.

Echoppe du Moyen-Age à RouenC’est que ce jour-là, le pre­mier mai de l’an de grâce mil six cent trente, va avoir lieu, dans la demeure du brave ima­gier, l’é­lec­tion du maître de la ville de Rouen.

Une véri­table fièvre anime les concur­rents qui se hâtent, dans le secret de leur chambre, d’ap­por­ter à leur tra­vail le der­nier coup de ciseau ou de gouge.

A pré­sent, les sta­tues sont trans­por­tées dans la grande salle où, tout à l’heure, les notables vont s’assembler.

Maître Guillot compte les sta­tues dépo­sées sur les socles de bois blanc ran­gés autour de la chambre.

« Dix-neuf, vingt, vingt et un, vingt-deux, vingt-trois… Il en manque deux. Que font les retar­da­taires ? Il est vrai qu’ils ont jus­qu’à midi pour ter­mi­ner, mais ils devraient avoir fini. »

Cepen­dant, les deux jeunes artistes atten­dus ne perdent pas le temps qui leur reste. Cha­cun dans sa cel­lule se dépêche. Dans la pre­mière, à droite de l’es­ca­lier, se trouve un gar­çon d’une quin­zaine d’an­nées : Nico­las. Grand, bien décou­plé, gai com­pa­gnon, il a beau­coup de suc­cès dans les assem­blées où l’on rit et où l’on danse. Mais sa bonne humeur ne l’empêche pas d’être un franc paresseux.

Trop sou­vent, il délaisse l’é­choppe et le burin pour les courses au soleil et les assem­blées joyeuses. Le concours pour le titre de « Maître » l’a rame­né à l’a­te­lier. Au reste, son père lui a décla­ré tout net :

« Tu gagne­ras le titre ou je te ferai bûcheron. »

Et son père tient tou­jours parole.

Nico­las s’est donc mis bra­ve­ment à la tâche. Mais, hélas ! le dic­ton est bien vrai. Rien ne sert de cou­rir… Pen­dant ses longues périodes de paresse et d’i­nac­tion, il a per­du le tour de main ; le ciseau n’o­béit pas à sa volon­té et il en pleure de dépit.

Il avait rêvé d’exé­cu­ter (selon le sujet impo­sé) une Madone tenant dans ses bras l’En­fant nouvelet.

Quel beau sujet ! Il la voit, cette Madone. Mais com­bien est déce­vante la