Vidi turbam magnam… Vidi turbam… Vidi…
Et le bréviaire tomba des mains de Monsieur le Curé emporté par le sommeil…
Le tic-tac de la pendule fut couvert par les onze coups qui marquaient qu’un jour nouveau allait bientôt commencer. Puis, plus rien que la respiration régulière du brave prêtre, vaincu par la fatigue…
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La journée avait été particulièrement pénible. Levé, comme chaque jour, à 5 heures 1/2 pour assurer la première messe, il n’avait pas encore eu une seule minute de détente. Après la messe et le déjeuner, pris debout, il avait fallu courir à l’hôpital pour confesser les malades ; puis enterrement à 9 heures, catéchisme à l’école des filles, visite des malades…
Le repas de midi pris “sur le pouce“ et rendez-vous avec l’électricien dans la salle du patronage. Puis catéchisme à l’école libre et confession des garçons jusqu’à 4 heures. A 4 heures : réunion des premiers communiants de la paroisse. De 5 à 7 heures : présence au confessionnal. A 8 heures : cercle d’études et “patro“.
Et il était presque 11 heures lorsque Monsieur le Curé rentra au presbytère, avec son bréviaire à dire et son sermon à préparer pour le lendemain…
« Vous vous tuerez, gémit la vieille Catherine, sa servante, lorsqu’elle le vit rentrer. Prenez au moins ce lait de poule que je vous ai préparé. »
Le prêtre engloutit le contenu de son bol, sans même prendre le temps de déguster, puis gagna rapidement sa chambre.
« Merci, Catherine. Vous êtes une bien bonne fille. Dieu vous le rendra. »
Mais la fatigue était plus forte que tout. Et Monsieur le Curé, la tête penchée sur son bureau, dans la douce chaleur de la lampe électrique, venait de succomber au sommeil.
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La pendule faisait tic-tac… tic-tac …, un chat miaulait sur le toit voisin, au loin le sifflet du dernier train perçait le silence de la nuit. La ville, la petite ville sombrait dans les ténèbres. Demain, avant le lever du jour, les trois cloches lanceraient leur joyeux appel. Déjà, la sœur sacristine avait préparé les beaux ornements blancs, tendu la nappe de pure batiste, et placé de gros chrysanthèmes rouges entre les chandeliers du maître-autel…
De sa voix tonitruante, le chantre lancerait les premières notes de l’Introït : Gaudeamus omnes in Domino… Réjouissons-nous, c’est la fête de tous ceux qui peuplent le Paradis, les connus marqués au calendrier et les inconnus dont, j’espère, nous serons un jour…
Et Monsieur le Curé, en cette veille de fête, n’a pu terminer ni Vêpres, ni Matines qu’il lui faudra reprendre tout à l’heure. Il dort au milieu des papiers épars sur la table, à côté de sa bibliothèque mal rangée parce que tous les grands garçons viennent s’y ravitailler, près du divan sur lequel il ne repose que quelques heures chaque nuit.