Étiquette : <span>Sainte Thérèse de Lisieux</span>

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 16 minutes

Sur ma table de tra­vail s’é­pa­nouit une rose : une superbe White paper, comme bleu­tée dans ses plis et de neige au som­met des pétales. Mon ami reste en extase devant cette merveille : 

— Tiens, lui dis-je, prends ce fau­teuil, tire tes gants, mets-toi à l’aise, je vais te racon­ter son histoire. 

— L’his­toire d’une rose ? 

— Jus­te­ment. Connais-tu les coiffes de Kernascleden ? 

— Oui, sans doute, fit mon ami. Je sais ma par cœur, mais je ne vois pas… et je m’at­ten­dais à ce que tu me dises : Aimes-tu les roses ? 

— Alors, aimes-tu les roses ? 

— Sans doute, et qui ne les aime­rait ? C’est le sou­rire du printemps ? 

— Oui, et aus­si celui de l’é­té, quel­que­fois même celui de l’au­tomne, comme celle-ci que tu admires, the last rose in sum­mer… Disons mieux, veux-tu, c’est le sou­rire de Dieu, car selon le mot du poète, « Dieu pour délas­ser les hommes des tristes choses de la vie leur fit don du bleu dans le ciel, des roses et du sou­rire de l’enfant »… 

— Mais, les coiffes de Ker­nas­cle­den ? pour­quoi m’en as-tu par­lé tout à l’heure et que viennent-elles faire dans ton histoire ? 

Et mon ami, par manière de plai­san­te­rie, prit un dic­tion­naire et cher­cha : Ker­nas­cle­den… Ker­nas­cle­den… Il n’est même pas dans le dictionnaire. 

— Oh ! c’est mieux comme cela. Ils y auraient mis comme pour Guis­criff, 4.970 habi­tants. Ch. de F. Beurre !… Les sauvages ! 

— Pour­quoi les sau­vages ? parce qu’ils font du beurre ? 

— Non, mais parce que les auteurs de cette hor­reur de dic­tion­naire parlent du beurre et non pas des coiffes de Guis­criff et de Ker­nas­cle­den. Or ces coiffes comptent par­mi les choses les plus gra­cieuses du monde !

— Je com­prends ton cour­roux et je le partage ! 

— Ne plai­sante pas ! Qui n’a pas vu ces coiffes ne se rend pas compte de ce que peut être la grâce et l’é­lé­gance d’une coiffure !

Mon ami écla­ta de rire. « Ma parole, tu parles comme un gar­çon coif­feur : indé­fri­sable, garan­ti six mois, 125 francs ! » 

— Plai­sante, si le cœur t’en dit, mais je t’as­sure que j’ai été ravi de trou­ver dans ce coin de Bre­tagne des modes et des cos­tumes que depuis long­temps je croyais dis­pa­rus. Ce sont tout sim­ple­ment les col­le­rettes des époques de Hen­ri IV et de Louis XIII, imi­tées jadis dans presque toute la France et qui se sont sta­bi­li­sées, ici, dans un vête­ment régio­nal. Et ce ne sont pas des col­le­rettes tom­bantes et plates telles qu’A­bra­ham Bosse les repré­sente dans ses gra­vures mais la grande col­le­rette roide, à la Médi­cis, déployée comme une large blanche. Et sur cette col­le­rette, la coiffe toute gréée de den­telles et de rubans… 

— Un papillon sur une fleur, fit mon ami avec un petit air de se moquer. 

— Tu ne pou­vais pas mieux dire ! 

Mais il chan­gea de ton et, avec une légère pointe d’humeur : 

— Tu pro­fites de la situa­tion et je ne vois pas où tu veux me mener avec tes coiffes et tes roses. Parle-moi sans détour ou je n’é­coute plus, fit-il, tragique. 

— Écoute, alors. Il y avait, vivant à l’ombre du clo­cher à jour de Ker­nas­cle­den — encore une mer­veille d’é­glise dont j’ai­me­rais à te par­ler, — une Bre­tonne qui s’ap­pe­lait Jeanne Le Hénaff et tenait un petit com­merce de mer­ce­rie, depuis quelques années déjà, et qui en avait assez de vendre des rubans et de la den­telle. Elle en avait assez et son­geait qu’elle pour­rait faire quelque chose de mieux dans sa vie. 

— Elle a mal tourné ? 

— Oui, elle se fit Car­mé­lite. Et pour être plus sûre de suivre les traces de la chère petite Sainte Thé­rèse de l’En­fant-Jésus, pour laquelle elle nour­ris­sait une tendre et très fra­ter­nelle affec­tion, elle sol­li­ci­ta et obtint son admis­sion au de Lisieux. Elle y fit son pos­tu­lat, son novi­ciat… elle n’y fit pas ses vœux parce juste au temps où elle allait les faire elle fut malade à mou­rir. Bien triste, elle reprit le che­min de sa Bre­tagne, revit la fine pointe de son clo­cher, son comp­toir de mer­cière, der­rière lequel elle lan­guit, regret­tant tou­jours son cloître où l’on fait si bien péni­tence pour les autres autant que pour soi. 

L’air natal, un régime plus sub­stan­tiel que celui du Car­mel, eurent tôt fait de lui rendre des forces, et, avec elles, le désir de les dépen­ser au ser­vice de Dieu. Après un nou­vel essai dans un Ordre moins sévère, Jeanne Le Hénaff dut défi­ni­ti­ve­ment renon­cer à toute idée de vie cloî­trée. Et ce fut pour une exis­tence très modeste dans la petite bour­gade bretonne. 

La rose de Sainte Thérèse
Elle regarde une rose de près

Tout en tra­vaillant, elle racon­tait sa peine à celle qui jadis l’a­vait atti­rée au Car­mel et à qui elle avait l’ha­bi­tude de par­ler comme à une per­sonne pré­sente et très aimée. 

« Mais, ma chère petite Thé­rèse, il faut que vous nous tiriez du pétrin. Je ne vous demande pas de me faire une vie bour­geoise, sotte et facile, mais que vous me don­niez de pour­voir à toutes mes obli­ga­tions. Il faut que j’aide ma sœur et mon petit orphe­lin de neveu, vous le savez bien. Et j’au­rais tant le désir de faire un peu de bien. Ils sont heu­reux les riches qui le peuvent ! »

Et elle par­lait d’un bel autel à Sainte Thé­rèse dans l’é­glise parois­siale, et des œuvres de la paroisse qu’elle sou­tien­drait, et des écoles et des mis­sion­naires. Son rêve aurait été d’en­tre­te­nir un missionnaire. 

« Tu folles, ma pauvre fille ! lui disait sa sœur Annie. 

Auteur : Berthon, Maurice | Ouvrage : Lorsque les saintes de France étaient petites filles .

Temps de lec­ture : 27 minutes(Lire le début)

Peu après la mort de sa femme, mon­sieur Mar­tin liqui­da son com­merce et, pour se rap­pro­cher de son beau-frère, il vint habi­ter une pro­prié­té aux portes de Lisieux, « Les Buissonnets ».

« Les enfants aiment le chan­ge­ment ». Cette remarque de sainte Thé­rèse expli­que­ra le bon sou­ve­nir qu’elle gar­da, ain­si que ses sœurs, de l’ar­ri­vée dans un Lisieux que ses usines ren­daient pour­tant bien terne au len­de­main d’un Alen­çon égayé par les tou­jours coquettes demeures de cette ville si carac­té­ris­ti­que­ment normande.

Mon­sieur Gué­rin, l’oncle qui accueillit la famille Mar­tin, était phar­ma­cien. Avec sa femme, il for­mait un couple affec­tueux qui sut s’at­ta­cher immé­dia­te­ment le cœur des cinq jeunes orphelines.

Sainte Thérèse - Les Buissonnets Lisieux

Puis c’est l’ins­tal­la­tion des Mar­tin aux depuis célèbres « Buis­son­nets ». Non loin de la ville, un rai­dillon sor­tant de la route de Pont-Lévêque esca­lade une col­line, pour mener aujourd’­hui la foule des pèle­rins aux « Buis­son­nets ». Au milieu d’un jar­din abri­té par des sapins et des frênes, c’é­tait, à l’é­poque, la mai­son alors déjà très vieille, rus­tique, mais sym­pa­thique, que nous voyons, bâtisse ample, solide, colo­rée par ses briques rouges qui la ren­daient attrayante.

La chambre que devaient se par­ta­ger Céline et Thé­rèse, don­nait de plain-pied dans le jar­din de derrière.

Aux « Buis­son­nets », Pau­line fut char­gée de l’é­du­ca­tion de Thé­rèse. Cette der­nière n’a­vait-elle pas choi­si sa nou­velle petite maman ? La mala­die, puis la dis­pa­ri­tion de madame Mar­tin, avaient évi­dem­ment fait perdre plu­sieurs mois à l’ins­truc­tion de l’en­fant. Adroi­te­ment diri­gée par son aînée, Thé­rèse délais­se­ra ses jeux pour l’ap­pren­tis­sage de la lec­ture. C’est le mot « cieux » qu’elle sut le pre­mier lire.

En peu de mois, la petite Thé­rèse a bien chan­gé. L’es­piègle s’est trans­for­mée : « Aus­si­tôt après la mort de maman, mon heu­reux carac­tère chan­gea com­plè­te­ment. Moi, si vive, si expan­sive, je devins timide et douce, sen­sible à l’ex­cès, un regard suf­fi­sait pour me faire fondre en larmes ; il fal­lait que per­sonne ne s’oc­cu­pât de moi, je ne pou­vais souf­frir la com­pa­gnie des étran­gers et ne retrou­vais ma gaî­té que dans l’in­ti­mi­té de ma famille ».

Cet adou­cis­se­ment du carac­tère contri­bue à faci­li­ter la tâche de Pau­line. Celle-ci, au lieu de recher­cher pour sa sœu­rette l’oc­ca­sion de satis­fac­tions sus­cep­tibles de lui rendre son sou­rire per­du, ne craint pas au contraire de lui rap­pe­ler les saintes « pra­tiques », mais par­fois elle doit cepen­dant frei­ner l’ar­deur péni­tente de sa cadette.

Un exemple. Après ce jeu, il fait chaud, très chaud. Pau­line et Thé­rèse sont devant une carafe d’une bois­son rafraî­chis­sante, Pau­line s’en verse un verre, en tend un à sa jeune sœur. Thé­rèse refuse. « Oui, j’ai très soif, mais je vais offrir ce sacri­fice à Jésus ! » Pau­line, qui a exac­te­ment la même soif, peut certes appré­cier ce sacri­fice de Thé­rèse, aus­si a‑t-elle pitié de l’en­fant qui ne détache pas ses yeux de ce verre embué de fraî­cheur. « Prends, Thé­rèse, prends cette bois­son ! Jésus a recueilli ton sacri­fice, fais-en un autre, d’o­béis­sance celui-là, en accep­tant de boire ! »

Et la vie se pour­sui­vait aux « Buis­son­nets », vie nor­male, mais vie nor­male qui, dans l’âme de Thé­rèse avait des reten­tis­se­ments inat­ten­dus. Repas­sons quelques images de cette exis­tence d’une enfant de cinq ans.

Le papa a fait cadeau à sa fillette d’une petite ligne pour pêcher. Thé­rèse lance dans la Touque sa petite ligne, quand mon­sieur Mar­tin y va lan­cer sa grande ligne. Le pay­sage est gra­cieux, les pois­sons ne se font pas trop prier pour mordre aux deux lignes. Ce jeu devrait la pas­sion­ner. Tiens, papa vient de prendre un pois­son ! Peut-être va-t-elle en sor­tir un elle aus­si ! Mais oui, elle en attrape jus­te­ment un ! Dieu, que ce doit être amu­sant ! C’est amu­sant pour toutes les petites filles, ce n’est pas amu­sant pour Thé­rèse, dont l’es­prit a déjà d’autres pré­oc­cu­pa­tions, des pré­oc­cu­pa­tions si belles mais si graves que bien­tôt elle aban­donne sa ligne, s’as­sied sur l’herbe et, « là, écri­ra-t-elle plus tard, mes pen­sées deve­naient bien pro­fondes et, sans savoir ce que c’é­tait de médi­ter, mon âme se plon­geait dans une réelle orai­son. J’é­cou­tais les bruits loin­tains, le mur­mure du vent. Par­fois la musique mili­taire m’en­voyait de la ville quelques notes indé­cises, et « mélan­co­li­saient » dou­ce­ment mon cœur. La terre me sem­blait un lieu d’exil et je rêvais du Ciel. »

Cette pen­sée du Ciel est tou­jours la pen­sée domi­nante de Thé­rèse, elle l’ob­sède sans cesse et sous les formes les plus diverses, dont quelques-unes ne manquent pas de naï­ve­té. Elle-même note­ra : « Je me sou­viens que je regar­dais les étoiles avec un ravis­se­ment inex­pri­mable. Il y avait sur­tout, au fir­ma­ment pro­fond, un groupe de perles d’or, (le Bau­drier d’O­rion) que je remar­quais avec délice, lui trou­vant la forme d’un T, et je disais en che­min à mon père ché­ri : « Regarde, papa, mon nom est écrit dans le Ciel ! » Puis, ne vou­lant plus rien voir de la vilaine terre, je lui deman­dais de me conduire, et, sans regar­der où je posais mes pieds, je met­tais ma petite tête bien en l’air, ne me las­sant pas de contem­pler l’a­zur étoilé ».

« La cer­ti­tude d’al­ler un jour loin de mon pays téné­breux, m’a­vait été don­née dès mon enfance. Non seule­ment je croyais d’a­près ce que j’en­ten­dais dire, mais encore, je sen­tais dans mon cœur, par des ins­pi­ra­tions intimes et pro­fondes, qu’une autre terre, une région plus belle, me ser­vi­rait un jour de demeure stable, de même que le génie de Chris­tophe Colomb lui fai­sait pres­sen­tir un Nou­veau Monde ».

Ce soir-là, le temps très sombre se zèbre sou­dain d’une série d’é­clairs. Une fillette ordi­naire aurait peur. Thé­rèse nous gar­de­ra le sou­ve­nir de ce qu’elle res­sen­tait alors. « Je me tour­nais à droite à gauche, pour ne rien perdre de ce majes­tueux spec­tacle. Je vis la foudre tom­ber dans un pré voi­sin, et, loin d’en éprou­ver la moindre frayeur, je fus ravie ; il me sem­bla que le bon Dieu était tout près de moi ».

Et la Sainte fera elle-même le point de cette exis­tence de petite fille pré­des­ti­née : « En gran­dis­sant, j’ai­mais le bon Dieu de plus en plus, et je lui don­nais bien sou­vent mon cœur, me ser­vant de la for­mule que maman m’a­vait apprise (Mon Dieu, je vous donne mon cœur, pre­nez-le s’il vous plaît afin qu’au­cune créa­ture ne puisse le pos­sé­der, mais vous seul, mon bon Jésus !) Je m’ef­for­çais de plaire à Jésus dans toutes mes actions, et je fai­sais grande atten­tion à ne l’of­fen­ser jamais ».

Thérèse de Lisieux et son papa saint Louis Martin

Sur­tout ne pas offen­ser Dieu, même en jouant, sans faire exprès ! La domes­tique Vic­toire, qui men­tit pour amu­ser cette enfant de six ans, s’at­ti­re­ra cette répri­mande : « Vous savez bien, Vic­toire, que cela offense le bon Dieu ! »

La soi­rée aux « Buis­son­nets », on se dis­trayait autour de quelques jeux de socié­té. Tac­tiques, on déplore le vilain hasard qui attri­bue une série de cartes faibles, on remer­cie le bon hasard qui per­met d’é­chap­per de très peu à la pri­son du jeu de l’Oye, on applau­dit au suc­cès, on est tou­jours heu­reux, on a du mal à conte­nir sa joie, tous s’a­musent franchement.

Et, le jeu fini, c’est le retour au calme. Les aînées lisent à haute voix une page d’un auteur sérieux, peut-être trop sérieux pour ali­men­ter la nuit durant l’es­prit d’un enfant de six ou sept ans, aus­si le papa fait-il tou­jours ter­mi­ner la lec­ture par un conte, une bonne his­toire qui fera rire. Lorsque la lec­trice ferme son livre, mon­sieur Mar­tin, sa petite Thé­rèse sur les genoux, chante les mélo­dies qu’aiment ses enfants, mélo­dies qui par­fois s’é­loignent de la douce mélo­pée lorsque, pour amu­ser la douce Thé­rèse, mon­sieur Mar­tin chante d’une grosse voix la ritour­nelle cruelle de Barbe-Bleue.

Puis, c’est fina­le­ment la prière en com­mun et Thé­rèse, age­nouillée à côté de son père, « n’a qu’à le regar­der pour savoir com­ment priaient les saints ». Et, dans son petit lit, Thé­rèse demande à Pau­line de lui faire la cri­tique de sa jour­née : « Est-ce que j’ai été mignonne aujourd’­hui ? Est-ce que le bon Dieu est content de moi ? Est-ce que les petits anges vont voler autour de moi ?» Si Pau­line répond « non », Thé­rèse pleu­re­ra la nuit entière ».

La Fête-Dieu donne à l’en­fant une pre­mière occa­sion de cette joie qu’elle aura plus tard à pas­ser son Ciel à répandre des roses sur la terre. Oui, quelle joie de semer des fleurs sous les pas du bon Dieu ! « Mais, avant de les y lais­ser tom­ber, je les lan­çais bien haut, et je n’é­tais jamais aus­si heu­reuse qu’en voyant mes roses effeuillées tou­cher l’os­ten­soir sacré ! »

Auteur : Berthon, Maurice | Ouvrage : Lorsque les saintes de France étaient petites filles .

Temps de lec­ture : 21 minutes

(1873 – 1897)

SAINTE THÉRÈSE de l’En­fant-Jésus ! La petite sœur Thé­rèse ! La petite Sainte aux roses !

Nous avons deux rai­sons majeures d’in­sis­ter plus lon­gue­ment sur Thé­rèse. Notre docu­men­ta­tion le per­met, car elle est pui­sée à des sources d’au­tant plus nom­breuses et sûres qu’au­jourd’­hui encore il sub­siste des per­sonnes qui ont le bon­heur d’a­voir connu Thé­rèse[1] ! Avoir connu une sainte ! L’a­voir vue, lui avoir par­lé ! Ce bon­heur est d’au­tant plus rare que d’or­di­naire l’É­glise ralen­tit pru­dem­ment les pro­cès de cano­ni­sa­tion. Deuxième rai­son d’in­sis­ter sur cette enfance : Thé­rèse était, au plus loin, de la géné­ra­tion de vos grands-parents. Donc, l’exemple d’une vie si proche inter­dit cette déro­bade : « Oh ! évi­dem­ment, mais à l’é­poque des saintes, il était assez aisé de se sanc­ti­fier, tan­dis que de nos jours !… »

Abor­dons avec plai­sir et pro­fit l’en­fance de la Sainte de nos jours.

Nous sommes à Alen­çon au len­de­main de 1870. Sur une mai­son de bonne appa­rence, nous lisons ce marbre publi­ci­taire : « Louis Mar­tin, fabri­cant de point d’A­len­çon ». Ce point de den­telle avait ren­du uni­ver­sel­le­ment célèbre la vieille cité nor­mande, le tra­vail de ce point a pro­cu­ré l’ai­sance à la famille Mar­tin. Le mari est par­ta­gé entre la sur­veillance de la fabri­ca­tion et les voyages qui pro­pagent cette fabri­ca­tion. L’é­pouse s’oc­cupe plus spé­cia­le­ment de la vente de la den­telle à Alen­çon même, mais elle a sur­tout l’é­du­ca­tion heu­reuse d’une petite famille. Le ménage Mar­tin a quatre filles, Marie, Pau­line, Léon­tine, Céline, deux autres Hélène et Méla­nie, ain­si que deux gar­çons sont décé­dés en bas âge.

Jeune homme, Louis Mar­tin aurait vou­lu être moine. Jeune fille, Zélie Gué­rin aurait vou­lu être . La Pro­vi­dence en avait autre­ment déci­dé et cela pour la plus grande édi­fi­ca­tion du monde. Révé­lons déjà que Marie, Pau­line, Léon­tine et Céline seront reli­gieuses. Mais voi­ci la der­nière fille.

La maison natale de sainte Thérèse

Marie-Fran­çoise-Thé­rèse Mar­tin naît à Alen­çon le 2 jan­vier 1873. Ses parents sont trop péné­trés de leurs devoirs reli­gieux pour faire attendre le bap­tême du bébé. La petite n’a que deux jours lors­qu’elle est por­tée sur les fonds de l’é­glise Notre-Dame. Le sou­ve­nir de cette céré­mo­nie, qui fai­sait entrer une future sainte dans la famille chré­tienne, devait être évi­dem­ment conser­vé : une plaque, puis une sta­tue, puis un vitrail, puis un autel, rap­pel­le­ront cette date : 4 jan­vier 1873.

Mais l’en­fant n’a pas encore un an qu’elle est sur le point de mou­rir. La pieuse madame Mar­tin invoque ardem­ment saint Joseph, patron de la sainte famille, et bien­tôt Thé­rèse va mieux, et bien­tôt Thé­rèse est guérie.

Elle est un beau bébé, un bébé joli, si joli, si attrayant que, pour ses dix-huit mois, le papa lui donne ce nom qui lui res­te­ra : « Sa Reine ».

Une lettre de la maman nous apprend que cette enfant, qui n’a pas deux ans, est remuante plus que d’or­di­naire pour une fillette : elle fait déjà de la balan­çoire : « Elle se tient comme une grande fille. Il n’y a pas de dan­ger qu’elle lâche la corde ; puis, quand cela ne va pas assez fort, elle réclame ; on l’at­tache par devant pour l’empêcher de tom­ber mais, mal­gré cela, je ne suis pas tran­quille quand je la vois per­chée là-dessus ».

Mais voi­ci déjà une pre­mière indi­ca­tion de cette pié­té qui ne va pas tar­der à faire d’im­pres­sion­nants pro­grès dans l’âme de notre petite spor­tive de vingt-deux mois. Madame Mar­tin écrit à ses aînées, pen­sion­naires à la Visi­ta­tion : « Ma petite Thé­rèse devient de plus en plus gen­tille, elle gazouille du matin au soir. Elle nous chante de petites chan­sons, mais il faut être habi­tué pour les com­prendre. Elle fait sa prière comme un petit ange, c’est idéal ! »

Et lorsque Thé­rèse a vingt-six mois : « Thé­rèse va tou­jours bien, elle a une mine de pros­pé­ri­té. Elle nous fait des conver­sa­tions bien amu­santes. Elle sait déjà prier le Bon Dieu. Tous les dimanches, elle va à une par­tie des vêpres, et si, par mal­heur, on omet­tait de l’y conduire, elle pleu­re­rait sans se consoler. »

« Voi­là quelques semaines, on l’a­vait pro­me­née le dimanche. Elle n’a­vait, pas été à « la Messe », comme elle dit. En ren­trant, elle s’est mise à pleu­rer bruyam­ment, en disant qu’elle vou­lait aller à « la Messe ». Elle a ouvert la porte, et s’est sau­vée sous l’eau, qui tom­bait à tor­rents, dans la direc­tion de l’é­glise. On a cou­ru après elle pour la faire ren­trer, et ses san­glots ont duré une bonne demi-heure ».

« Elle me dit tout haut dans l’é­glise : « Moi, j’ai été à la messe, là ! J’ai bien prié le bon Dieu ! »

« Quand son père rentre le soir et qu’elle ne le voit pas faire sa prière, elle lui demande : « Pour­quoi donc papa, que tu ne fais pas ta prière ? Tu as donc été à l’é­glise ?» C’est encore madame Mar­tin qui donne ce détail : « Depuis le com­men­ce­ment du Carême, je vais à la messe de six heures et je la laisse sou­vent éveillée. Quand je pars, elle me dit : « Maman, je vais être bien mignonne ». Effec­ti­ve­ment, elle ne bouge pas et se rendort ».

En mars 1876, la maman écrit au sujet du sérieux que sa petite tille apporte à faire, sans jamais l’ou­blier, sa prière de chaque jour : « Dimanche, lorsque j’ai été cou­chée, elle m’a dit qu’elle n’a­vait pas fait sa prière. Je lui ai répon­du : « Dors, tu la feras demain ». Oui, mais elle n’a pas lâché prise. Pour en finir, son père la lui a fait faire. Mais il ne lui fai­sait pas tout dire. Il fal­lait deman­der « la grâce… » Il ne savait pas trop de quoi il s’a­gis­sait. Enfin, il a dit à peu près sui­vant l’i­dée de l’en­fant, et nous avons eu la paix jus­qu’au len­de­main matin ».

Si Thé­rèse insiste tant pour prier le Ciel, c’est que sa pen­sée ne le quitte guère, ce Ciel. Voi­ci une forme curieuse de cette conti­nuelle préoccupation.

« Oh ! ma pauvre petite mère, je vou­drais bien que tu « mourrais ! »

Éton­ne­ment de la « pauvre petite mère… »

— C’est pour que tu ailles au Ciel, puisque tu dis qu’il faut mou­rir pour y aller !

Et madame Mar­tin écrit à sa fille Pau­line en décembre 1875 :

« Elle sou­haite de même la mort de son père, quand elle est dans ses excès d’amour ».

L'enfance de sainte Thérèse de Lisieux - 3 ans

Est-ce pour péné­trer plus avant et plus rapi­de­ment les mys­tères reli­gieux dont les grandes per­sonnes parlent devant elle, que Thé­rèse désire apprendre à lire ? Tou­jours est-il qu’elle ne com­prend pas que ses sœurs aient seules droit à cette ins­truc­tion. Elle veut assis­ter aux leçons que Marie donne à Céline et Pau­line, ses aînées de trois et huit ans. Lais­sons ces sou­ve­nirs à Marie.

« Un jour, je la vis à la porte de ma chambre essayant de l’ou­vrir. Mais elle était encore trop petite pour atteindre le bou­ton. Je regar­dai ce qu’elle allait faire ; si elle allait pleu­rer ou appe­ler quel­qu’un pour lui ouvrir ; mais non, elle ne dit rien, et, dans son impuis­sance, elle témoi­gna sa dou­leur en se cou­chant au pied de la porte.

« Je racon­tai à ma mère cette petite aven­ture. Elle me dit : « Il ne faut pas la lais­ser faire ! »

« Le len­de­main, la chose se renou­velle. Alors, je lui dis : « Ma petite Thé­rèse, tu fais de la peine au petit Jésus ! » Elle me regar­da atten­ti­ve­ment. Elle avait si bien com­pris que jamais depuis elle n’a recom­men­cé ». Cet entê­te­ment de Thé­rèse à vou­loir s’ins­truire à tout prix a pour­tant por­té ses fruits : elle n’a pas en effet trois ans révo­lus lorsque déjà elle sait presque toutes ses lettres et com­mence même à lire.

Et madame Mar­tin apporte à ses filles aînées cette conclu­sion : « Elle a de l’es­prit comme je n’en ai vu à aucune de vous », Et la maman conti­nuait à décou­vrir d’autres jolies qua­li­tés à sa petite Thé­rèse : « Fine comme l’ambre, très franche et très vive. »

De son côté, l’en­fant res­sent pour ses parents une affec­tion qu’elle-même se plai­ra à rap­pe­ler dans son His­toire d’une Âme : « On ne peut se figu­rer com­bien je ché­ris­sais papa et maman. Je leur témoi­gnais ma ten­dresse de mille manières, car j’é­tais très expan­sive ; tou­te­fois, les images que j’employais alors me font rire aujourd’­hui quand j’y pense ».

  1. [1] NDLR : Mau­rice Ber­thon a publié cette his­toire en 1946.
Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 5 minutes

XXVII

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus

Une femme, sainte Thé­rèse de l’En­fant-Jésus, a été don­née comme patronne, par Pie XI, aux mis­sion­naires du monde entier. Elle avait dit, toute jeune, en son de Lisieux : « Je vou­drais être mis­sion­naire, non seule­ment pen­dant quelques années, mais je vou­drais l’a­voir été depuis la créa­tion du monde, et conti­nuer de l’être jus­qu’à la consom­ma­tion des siècles. »

Sainte Thérèse de Lisiseux, patronne des missions
Cha­pelle de car­mel de Saïgon

Ce car­mel auquel elle appar­te­nait avait eu l’hon­neur, aux alen­tours de 1860, d’en­voyer en Indo-Chine quelques reli­gieuses, pour y fon­der un car­mel à Saï­gon. Mère Gene­viève de Sainte-Thé­rèse, prieure de Lisieux, avait défé­ré, tout de suite, aux dési­rs d’un grand mis­sion­naire, Mgr Lefebvre, des Mis­sions Étran­gères, et vou­lu que plu­sieurs de ses Sœurs par­tissent pour la Cochin­chine, afin de prier, là-bas, pour les apôtres qui tra­vaillaient. Et l’on avait vu d’autres car­mels se créer en Indo-Chine, à l’exemple de Saïgon.

L’i­ma­gi­na­tion de sainte Thé­rèse de l’En­fant-Jésus s’é­va­dait vers ces races jaunes, où l’on avait, par­fois, le goût de la vie contem­pla­tive : pour­quoi ne pas leur mon­trer qu’au lieu de cher­cher dans la reli­gion de Boud­dha une satis­fac­tion pour cet attrait, elles pou­vaient la trou­ver dans la reli­gion du Christ ? Mais il était dans les des­ti­nées de sainte Thé­rèse de l’En­fant-Jésus de ne point quit­ter son monas­tère de Lisieux. Elle aidait les mis­sion­naires, certes, mais elle les aidait en sacri­fiant à la volon­té de Dieu, — son Dieu et le leur, — l’ardent désir qu’elle aurait eu d’être auprès d’eux.

Dieu enten­dait son désir, et un peu plus de trente ans après sa mort, le pape Pie XI l’exauça.

Sainte Thé­rèse de l’En­fant-Jésus est aujourd’­hui auprès de tous les mis­sion­naires, pour la suite des siècles : elle les assiste, elle les pro­tège ; elle est, de par la parole du Pape, leur bien­fai­trice tou­jours pré­sente ; le rêve qu’elle fai­sait d’être mis­sion­naire elle-même jus­qu’à la consom­ma­tion des temps est ain­si réalisé.

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

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XXV

Le père Bourjade, missionnaire du Sacré-Cœur d’Issoudun chez les Papous

Un avia­teur fran­çais de la Grande Guerre, Bour­jade, mou­rait mis­sion­naire, six ans après le réta­blis­se­ment de la paix, dans la Nou­velle-Gui­née Bri­tan­nique. Il dut toutes ses éner­gies, toutes ses aspi­ra­tions, à la médi­ta­tion quo­ti­dienne du livre de sainte Thé­rèse de l’En­fant-Jésus : l’His­toire d’une âme ; elle était déjà sa patronne, à lui Bour­jade, avant que Pie XI ne l’eût pro­cla­mée patronne de tous les missionnaires.

Tout jeune, il s’é­tait sen­ti atti­ré vers la congré­ga­tion du d’, fon­dée au XIXe siècle par le Père Che­va­lier. Cette congré­ga­tion par­tage avec nos Maristes et nos Pic­pu­ciens la tâche d’é­van­gé­li­ser l’ et de la civi­li­ser. Pour se ran­ger sous les dis­ci­plines du novi­ciat, le jeune Bour­jade avait dû s’exi­ler de sa patrie, émi­grer en Espagne, en Suisse. Le fervent Fran­çais qu’il était avait accep­té d’al­ler au loin, comme pré­lude de la vie de sacri­fices qui, chez les sau­vages, l’at­ten­dait. Et l’acte d’of­frande par lequel naguère, à Lisieux, la petite car­mé­lite s’é­tait don­née au Christ, devint, dès qu’à Fri­bourg Bour­jade en connut le texte, la devise même de sa propre vie.

avion Bourjade avec sainte ThérèseLa guerre de 1914 rame­nait Bour­jade en France ; et dans le rêve qu’il for­mait, et qui se réa­li­sa, de délais­ser le ser­vice des cra­pouillots pour entrer dans l’a­via­tion, se glis­sait à l’ar­rière-plan une idée mis­sion­naire : il son­geait que pour ces conquêtes spi­ri­tuelles qui, durant l’a­près-guerre, seraient son office et son par­tage, l’, rede­ve­nu paci­fique, pour­rait être un mer­veilleux ins­tru­ment. La paix réta­blie ouvrait au « pilote de sainte Thé­rèse » des pers­pec­tives nou­velles dans la cin­quième par­tie du monde : en 1921, Bour­jade pre­nait la route de l’O­céa­nie. Vers la fin de sa vie ter­restre, cette Thé­rèse dont il éprou­vait sans cesse, au delà du voile qui sépare terre et ciel, la fidé­li­té pro­tec­trice, avait dit à l’une de ses sœurs du , qui la voyait mar­cher avec beau­coup de peine : « Savez-vous ce qui me donne des forces ? Eh bien ! je marche pour un mis­sion­naire ; je pense que là-bas, bien loin, un d’eux est peut-être épui­sé dans ses courses apos­to­liques, et, pour dimi­nuer ses fatigues, j’offre les miennes à Dieu. »

Bour­jade avait sou­vent admi­ré cet émou­vant pro­pos, et lors­qu’il navi­guait vers les popu­la­tions les plus sau­vages de l’u­ni­vers, il était sou­te­nu par le sou­ve­nir de Thé­rèse. Lors­qu’elle appar­te­nait à l’É­glise mili­tante, elle « mar­chait » pour les mis­sion­naires ; aujourd’­hui, membre de l’É­glise triom­phante, elle avait d’autres méthodes pour les servir.

Bour­jade allait prendre contact avec ces Papous, chez qui Mgr Ver­jus, en 1885, avait jeté les pre­miers germes du Cre­do ; il allait voir, dans leur cathé­drale de Yule-Island, les femmes aux têtes rasées, vêtues d’un léger pagne en herbes, qu’ornent des dents de chien ; les hommes tout ruti­lants d’huile rouge, dont les bra­ce­lets de fibre, les cein­tures d’é­corce, les jar­re­tières sont parés d’herbes odo­rantes, et dont la che­ve­lure cré­pue se constelle de magni­fiques fleurs. Mais Bour­jade n’é­tait pas des­ti­né à être le des­ser­vant d’une cathé­drale ; il fal­lait qu’il allât plus loin dans la pleine sau­va­ge­rie, dans la pleine cana­que­rie, sur ces bords fétides où bâillent les cro­co­diles ; il fal­lait qu’il affron­tât les maré­cages et qu’il affron­tât les ser­pents. Il fal­lait qu’il accep­tât l’i­dée de se dévouer jus­qu’à la mort pour des sau­vages qu’il était dif­fi­cile d’ap­pro­cher, plus dif­fi­cile encore de conver­tir, puisque en qua­rante ans ses frères d’a­pos­to­lat n’a­vaient pu prendre contact qu’a­vec vingt mille âmes, dont neuf mille seule­ment étaient venues au Christ.