Sur ma table de travail s’épanouit une rose : une superbe White paper, comme bleutée dans ses plis et de neige au sommet des pétales. Mon ami reste en extase devant cette merveille :
— Tiens, lui dis-je, prends ce fauteuil, tire tes gants, mets-toi à l’aise, je vais te raconter son histoire.
— L’histoire d’une rose ?
— Justement. Connais-tu les coiffes de Kernascleden ?
— Oui, sans doute, fit mon ami. Je sais ma Bretagne par cœur, mais je ne vois pas… et je m’attendais à ce que tu me dises : Aimes-tu les roses ?
— Alors, aimes-tu les roses ?
— Sans doute, et qui ne les aimerait ? C’est le sourire du printemps ?
— Oui, et aussi celui de l’été, quelquefois même celui de l’automne, comme celle-ci que tu admires, the last rose in summer… Disons mieux, veux-tu, c’est le sourire de Dieu, car selon le mot du poète, « Dieu pour délasser les hommes des tristes choses de la vie leur fit don du bleu dans le ciel, des roses et du sourire de l’enfant »…
— Mais, les coiffes de Kernascleden ? pourquoi m’en as-tu parlé tout à l’heure et que viennent-elles faire dans ton histoire ?
Et mon ami, par manière de plaisanterie, prit un dictionnaire et chercha : Kernascleden… Kernascleden… Il n’est même pas dans le dictionnaire.
— Oh ! c’est mieux comme cela. Ils y auraient mis comme pour Guiscriff, 4.970 habitants. Ch. de F. Beurre !… Les sauvages !
— Pourquoi les sauvages ? parce qu’ils font du beurre ?
— Non, mais parce que les auteurs de cette horreur de dictionnaire parlent du beurre et non pas des coiffes de Guiscriff et de Kernascleden. Or ces coiffes comptent parmi les choses les plus gracieuses du monde !
— Je comprends ton courroux et je le partage !
— Ne plaisante pas ! Qui n’a pas vu ces coiffes ne se rend pas compte de ce que peut être la grâce et l’élégance d’une coiffure !
Mon ami éclata de rire. « Ma parole, tu parles comme un garçon coiffeur : indéfrisable, garanti six mois, 125 francs ! »
— Plaisante, si le cœur t’en dit, mais je t’assure que j’ai été ravi de trouver dans ce coin de Bretagne des modes et des costumes que depuis longtemps je croyais disparus. Ce sont tout simplement les collerettes des époques de Henri IV et de Louis XIII, imitées jadis dans presque toute la France et qui se sont stabilisées, ici, dans un vêtement régional. Et ce ne sont pas des collerettes tombantes et plates telles qu’Abraham Bosse les représente dans ses gravures mais la grande collerette roide, à la Médicis, déployée comme une large fleur blanche. Et sur cette collerette, la coiffe toute gréée de dentelles et de rubans…
— Un papillon sur une fleur, fit mon ami avec un petit air de se moquer.
— Tu ne pouvais pas mieux dire !
Mais il changea de ton et, avec une légère pointe d’humeur :
— Tu profites de la situation et je ne vois pas où tu veux me mener avec tes coiffes et tes roses. Parle-moi sans détour ou je n’écoute plus, fit-il, tragique.
— Écoute, alors. Il y avait, vivant à l’ombre du clocher à jour de Kernascleden — encore une merveille d’église dont j’aimerais à te parler, — une Bretonne qui s’appelait Jeanne Le Hénaff et tenait un petit commerce de mercerie, depuis quelques années déjà, et qui en avait assez de vendre des rubans et de la dentelle. Elle en avait assez et songeait qu’elle pourrait faire quelque chose de mieux dans sa vie.
— Elle a mal tourné ?
— Oui, elle se fit Carmélite. Et pour être plus sûre de suivre les traces de la chère petite Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, pour laquelle elle nourrissait une tendre et très fraternelle affection, elle sollicita et obtint son admission au Carmel de Lisieux. Elle y fit son postulat, son noviciat… elle n’y fit pas ses vœux parce juste au temps où elle allait les faire elle fut malade à mourir. Bien triste, elle reprit le chemin de sa Bretagne, revit la fine pointe de son clocher, son comptoir de mercière, derrière lequel elle languit, regrettant toujours son cloître où l’on fait si bien pénitence pour les autres autant que pour soi.
L’air natal, un régime plus substantiel que celui du Carmel, eurent tôt fait de lui rendre des forces, et, avec elles, le désir de les dépenser au service de Dieu. Après un nouvel essai dans un Ordre moins sévère, Jeanne Le Hénaff dut définitivement renoncer à toute idée de vie cloîtrée. Et ce fut pour une existence très modeste dans la petite bourgade bretonne.
Tout en travaillant, elle racontait sa peine à celle qui jadis l’avait attirée au Carmel et à qui elle avait l’habitude de parler comme à une personne présente et très aimée.
« Mais, ma chère petite Thérèse, il faut que vous nous tiriez du pétrin. Je ne vous demande pas de me faire une vie bourgeoise, sotte et facile, mais que vous me donniez de pourvoir à toutes mes obligations. Il faut que j’aide ma sœur et mon petit orphelin de neveu, vous le savez bien. Et j’aurais tant le désir de faire un peu de bien. Ils sont heureux les riches qui le peuvent ! »
Et elle parlait d’un bel autel à Sainte Thérèse dans l’église paroissiale, et des œuvres de la paroisse qu’elle soutiendrait, et des écoles et des missionnaires. Son rêve aurait été d’entretenir un missionnaire.
« Tu folles, ma pauvre fille ! lui disait sa sœur Annie.