Conte chrétien
Ce soir-là, lorsque Jésus passa parmi les élus, tout heureux de saluer leur Sauveur, il semblait quelque peu préoccupé ; il répondait aux saluts avec son sourire radieux, mais demeurait pensif, car il avait aperçu, au milieu des bienheureux, quelques personnes — et même un bon nombre — qui le frappaient par leur comportement. Ils paraissaient complexés, on aurait dit qu’ils désiraient passer inaperçus, et leur regard était inquiet, presque fuyant, ce qui est contraire à l’ambiance de confiance qui règne au Paradis.
De toute manière, après deux ou trois jours, grâce à la grande fraternité qui existe dans la Maison du Père, ils changeaient complètement, se sentaient à leur aise, à l’unisson avec les autres, avec la même joie et la grande paix qui se reflétaient sur leur visage. Comment expliquer ce phénomène ? Y aurait-il une négligence de Saint Pierre ? Son âge avancé, la routine, et en particulier sa grande confiance a peut-être permis que son contrôle se relâche. Il était donc nécessaire d’exiger du Portier du Ciel une meilleure vigilance.
Avec la rapidité de l’éclair, le Seigneur alla voir saint Pierre, qui était tranquillement assis dans son fauteuil, à côté de la porte. Jésus, lui adressa ces paroles, presque de reproche :
« Mon bon Saint Pierre, je ne mets pas en doute ta bonne volonté et ta conscience professionnelle, mais il me semble qu’avec le temps, bien qu’au Paradis mille ans sont comme un jour, ta vigilance a pu s’affaiblir ; et que, profitant d’un instant d’inattention lorsque tu révises le Livre de Vie, « on te fait passer du lard pour du cochon », comme on dit à Marseille »
Réagissant avec sa spontanéité habituelle, et cependant avec un très grand respect, Pierre répondit :
« Pardon Seigneur, mais je ne comprends pas ; cela est impossible, car je passe ma vie à la porte du Ciel, comme une sentinelle, toujours en éveil, et malgré mon âge avancé, rien n’échappe à mon regard de pêcheur. Croyez-moi, mon bon Seigneur, je ne suis pas coupable, car je suis, à mon poste, inexorable, et personne n’arrive à Bon Port, sans son requis passeport. Mais, oh ! Divin Seigneur, si vous pensez que je ne suis pas apte à ce poste de haute confiance, je remets entre vos mains ma démission ».
Il est vrai qu’à une certaine occasion, il ne s’était pas montré très courageux, mais pourquoi le rappeler ?… C’est bien connu, cependant, à la fin de sa vie, il a voulu être crucifié la tête en bas, montrant un héroïsme qui compensa mille fois sa lâcheté.