Étiquette : <span>Saint Patrice</span>

Auteur : Goldie, Agnès | Ouvrage : Petites Vies Illustrées pour enfants .

Temps de lec­ture : 16 minutes

« Père, nous vous appor­tons un enfant à baptiser. »

Le vieux prêtre aveugle se lève tout heu­reux. En ce IVe siècle où les païens sont encore si nom­breux, c’est une telle joie de faire un nou­veau chré­tien Mais l’a­veugle n’a pas d’eau à sa por­tée ; alors, d’a­près la légende, il prend dans sa main la petite main du nou­veau-né et trace, au sol, le signe de la croix. Aus­si­tôt sur­git une source lim­pide, image de la grâce qui va jaillir au cœur de l’en­fant, pour se répandre ensuite sur l’ dont il sera l’a­pôtre. De cette eau claire, l’a­veugle se lave les yeux et il voit, image cette fois, du peuple plon­gé dans les ténèbres et qui rece­vra la lumière de la foi : la foi sera la marque de Patrick ; la marque de l’Irlande.

Au fait, il ne s’ap­pelle pas encore Patrick ou Patrice ; il rece­vra ce nom à soixante ans, quand il sera sacré évêque. Pour l’ins­tant, il est le petit Suc­cat, fils de Cal­pur­nius. Ses parents sont-ils Francs ? Gal­lo-Romains ? Scots ? L’his­toire ne le dit pas. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il était, par sa mère, parent de saint Mar­tin de Tours, lui-même ori­gi­naire de Pan­no­nie (Autriche). Nous savons qu’il naquit vers l’an 385 (d’autres disent 377, 387), à Ban­na­ven Taber­nide, en , alors pro­vince romaine. (Cer­tains disent que ce Ban­na­ven se trou­vait aux envi­rons de Bou­logne-sur-Mer.) Ce qui est cer­tain, c’est qu’il pas­sa son enfance sur les bords de la Clyde, aux confins de l’An­gle­terre et de l’É­cosse, et ce qui est non moins sûr, c’est que ses parents étaient d’ex­cel­lents chré­tiens. Ils avaient sept enfants. Une des petites sœurs de Suc­cat aime à l’ac­com­pa­gner quand il va gar­der le trou­peau. Un jour, la petite, grim­pée trop haut, tombe et se blesse si gra­ve­ment à la tête qu’elle semble morte. Le grand frère la relève dou­ce­ment et, plein de foi, fait un signe de croix sur la bles­sure qui saigne abon­dam­ment. Aus­si­tôt le sang cesse de cou­ler, mais la cica­trice demeure pour tou­jours comme une preuve de l’acte de foi du garçon.

Suc­cat va aus­si en classe. Son père occupe un rang impor­tant et lui fait don­ner une bonne édu­ca­tion. Sa mère lui parle sou­vent des peuples païens. Au nord, c’est l’É­cosse, indomp­tée par les Romains et qui res­te­ra long­temps encore presque en dehors du monde. Là-bas, outre-mer, c’est l’Ir­lande, grande île païenne. Peut-être, au cours d’une ran­don­née en mer, Suc­cat l’a-t-il aper­çue au loin ; on la voit de l’île Oron­say, proche de la grande île d’Is­lay. L’en­fant plonge son regard dans le loin­tain et rêve de l’île mys­té­rieuse. Le vent du large semble lui en appor­ter un cri de détresse, un long cri d’appel.

— « Ferme la fenêtre », lui dit sa mère.

Coloriage - Vie de Saint Patrick pour les enfants - Irlande
Sa mère lui parle… là-bas, c’est l’Irlande

Pauvre femme ! elle craint tou­jours de voir son fils lui échap­per. Est-ce un pres­sen­ti­ment ?… Il a seize ans quand une bande de pirates enva­hit la côte, tue ses parents, l’emmène avec deux de ses sœurs pour les vendre en Irlande. Bre­tons, Scots, font de véri­tables rafles de mal­heu­reux humains ; la traite de l’homme se pra­tique chez les Celtes comme elle se pra­ti­que­ra pen­dant des siècles sur les côtes d’A­frique. Les longues barques d’o­sier recou­vertes de peaux d’a­ni­maux, emmènent Suc­cat vers l’île mer­veilleuse… et si ce n’é­tait l’im­mense cha­grin d’a­voir vu mas­sa­crer ses parents, l’in­quié­tude pour ses sœurs, il serait heu­reux. Dans sa foi ardente, il fait confiance à Dieu. Cette foi, il lui fau­dra, par la prière, la conser­ver coûte que coûte en pays païen !

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 7 minutes

IV

Saint Patrice en Irlande, Saint Augustin en Angleterre

En ce Ve siècle où l’in­va­sion des bar­bares mena­çait de sub­mer­ger, sur le conti­nent euro­péen, les pre­mières assises de la civi­li­sa­tion chré­tienne, un cer­tain Patrice, issu d’une famille romaine domi­ci­liée en , s’as­si­gnait comme pro­gramme de por­ter le Cre­do du Christ à tout un peuple insu­laire qui devait, lui-même, être bien­tôt un peuple d’a­pôtres, le peuple irlan­dais, et de por­ter le nom de Rome, — la Rome chré­tienne, — là où la Rome païenne n’a­vait pu trou­ver accès.

Evangélisation de l'Irlande et de l'AngleterreL’, il la connais­sait déjà : il y avait un jour, jadis, débar­qué mal­gré lui aux envi­rons de sa quin­zième année : une raz­zia faite par des Irlan­dais sur la côte anglaise l’a­vait emme­né cap­tif. Six ans durant, en Irlande, il avait été ber­ger, un ber­ger qui sans cesse priait, sen­tant l’Es­prit bouillon­ner en lui. Il avait pu s’en­fuir à bord d’un bateau qui trans­por­tait sur le conti­nent toute une car­gai­son de chiens-loups ; du nord au sud, il avait tra­ver­sé la Gaule, et les portes de l’ab­baye de Lérins s’é­taient ouvertes devant lui pour que sa jeu­nesse y fit quelque appren­tis­sage de la vie monas­tique. À peine avait- il rega­gné son Angle­terre natale, qu’il lui avait paru que la « voix d’Ir­lande » l’ap­pe­lait, et que, sur cette terre où son ado­les­cence avait été esclave, un rôle spi­ri­tuel l’at­ten­dait. Repas­sant la Manche, il s’en était allé près de saint Ger­main d’Auxerre, qu’il savait sou­cieux de l’a­pos­to­lat de l’Ir­lande ; il avait recueilli ses leçons, puis s’é­tait age­nouillé pour être sacré ; et c’est avec la digni­té d’é­vêque qu’un jour de l’an­née 432 Patrice s’en allait enfin dis­pu­ter aux druides les âmes irlandaises.

Défense, sous peine de mort, avaient dit les druides, d’al­lu­mer un feu dans la plaine, avant que le palais du roi ne soit illu­mi­né par nos céré­mo­nies. C’é­tait la nuit de Pâques ; Patrice pas­sait outre ; il fai­sait briller « le feu béni et clair », qui de par­tout s’a­per­ce­vait ; et les mages, défiés par lui, sen­taient que Patrice avait pour lui une force qui leur man­quait, celle du miracle. En face de Patrice, aucune reli­gion orga­ni­sée, aucun ensei­gne­ment reli­gieux offi­ciel. Ces druides irlan­dais, des magi­ciens plu­tôt que des prêtres, n’é­taient, pour l’Ir­lande, ni des pré­cep­teurs de prière, ni des maîtres de morale, ni des direc­teurs de vie. Leur indi­gente reli­gion ne lais­sait au com­mun des âmes aucune espé­rance ; la béa­ti­tude éter­nelle était le pri­vi­lège de quelques hommes élus, que les fées choi­sis­saient et choyaient, et qu’elles emmè­ne­raient un jour vers quelque para­dis ter­restre ; le reste des mor­tels devait se conten­ter d’en rêver. Mais Patrice ayant lon­gue­ment prié, ayant jeû­né qua­rante jours dans la forêt de Foclut, enten­dit un appel de Dieu « aux saints du temps pas­sé, à ceux du temps pré­sent, à ceux de l’a­ve­nir » : Dieu les convo­quait sur une cime qui domi­nait l’ho­ri­zon ; et la voix divine bénis­sait le peuple de l’Ir­lande. Vers la cime, alors, Patrice voyait s’en­vo­ler, sous la forme de grands oiseaux, d’in­nom­brables âmes ; et leurs essaims étaient si denses que la lumière du jour en était obs­cur­cie. Ain­si Patrice put-il pré­voir le fruit de ses pro­chains labeurs.

Eth­nac la blanche et Fide­lun la rousse, filles du roi Loe­gaire, se bai­gnaient en une fon­taine. Patrice et les évêques qui l’ac­com­pa­gnaient leur appa­rais­saient comme des esprits d’en haut. « Mon­trez-nous la face du Christ, » deman­daient-elles à Patrice. Et tout de suite le Christ les pre­nait pour épouses, en son royaume.