Étiquette : <span>Saint Mathias</span>

Auteur : Wyzewa, Teodor de | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 26 minutes

Tibi, margaritæ meæ !

En ce jour-là, Pierre se leva au milieu des dis­ciples, qui étaient assem­blés au nombre d’en­vi­ron cent vingt, et il leur dit :

… « Il faut que, de ceux qui ont été avec nous pen­dant que le Sei­gneur Jésus a vécu par­mi nous, il y en ait un qui soit témoin avec nous de sa résurrection ! »

Alors ils en pré­sen­tèrent deux : Joseph, appe­lé Bar­sa­bas, sur­nom­mé le Juste, et Mathias. Et, priant, ils dirent : « Toi, Sei­gneur, qui connais le cœur de tous, montre-nous lequel de ces deux hommes tu as choi­si, afin qu’il prenne part au minis­tère et à l’a­pos­to­lat en rem­pla­ce­ment de Judas, qui nous a aban­don­nés ! » Et ils tirèrent au sort ; et le sort tom­ba sur Mathias, qui, d’un com­mun accord, fut mis au rang des onze apôtres.

(Actes des Apôtres, I, 15 – 24.)

Et, lorsque vint le jour de la , tous tes dis­ciples se réunirent dans le même lieu. Et voi­ci que sor­tit tout à coup du ciel un bruit comme d’un grand vent, qui rem­plit toute la mai­son où ils se tenaient assis. Et ils virent des langues de feu qui, se par­ta­geant, des­cen­daient sur la tête de cha­cun d’entre eux. Et, aus­si­tôt, tous furent rem­plis de l’Es­prit-Saint ; et ils se mirent à par­ler toutes les langues, sui­vant l’ins­pi­ra­tion de l’Es­prit qui était en eux.

Or il y avait alors à Jéru­sa­lem des hommes crai­gnant Dieu, qui venaient de toutes les nations qui sont sous le ciel. Et, quand on apprit le miracle, la foule accou­rut ; et ces étran­gers furent stu­pé­faits d’en­tendre les dis­ciples leur par­ler à cha­cun dans sa langue.

Et, dans leur sur­prise, ils se disaient l’un à l’autre : « Est-ce que tous ces hommes qui nous parlent ne sont pas des Gali­léens ? Com­ment donc les enten­dons-nous par­ler à cha­cun de nous dans sa langue ? Parthes, Mèdes, Éla­mites, habi­tants de la Méso­po­ta­mie, de la Judée, de la Cap­pa­doce, du Pont et de l’A­sie, de la Phry­gie et de la Pam­phy­lie, de l’É­gypte et des régions de la Libye qui avoi­sinent Cyrène ; et Romains, tant Juifs que pro­sé­lytes, et Perses, et Arabes, voi­ci que nous les enten­dons nous prê­cher, dans nos langues, les grandes choses de Dieu ! »

(Actes des Apôtres, II, 1 – 11.)

I

Le chrétien

Chris­tus. – Cui ego loquer, cito sapiens erit.
(Imi­ta­tio Chris­ti, III, 43.)

C’est tout à fait par hasard, – ou, plus exac­te­ment, par miracle, – que Joseph, appe­lé aus­si Bar­sa­bas, était deve­nu de Jésus. Il avait alors vingt ans, et demeu­rait, avec sa mère, dans le vil­lage gali­léen où il était né. Or, voi­ci l’heu­reuse aven­ture qui lui était arrivée :

Se ren­dant à Caper­naüm en com­pa­gnie de son petit âne, un matin d’au­tomne, pour vendre au mar­ché les figues de son champ, il avait fran­chi déjà la double ran­gée des col­lines qui sépa­raient son vil­lage du lac de Géné­sa­reth, lorsque, à un tour­nant du sen­tier, un spec­tacle impré­vu l’a­vait arrê­té. Une ving­taine de men­diants et de vaga­bonds étaient assis en cercle, sur la rive du lac, occu­pés à écou­ter un homme vêtu de blanc, qui, debout au milieu d’eux, sem­blait leur don­ner des ordres ou les répri­man­der. Il leur par­lait, en tout cas, d’une voix si sévère que Bar­sa­bas, et son âne lui-même, n’a­vaient pu s’empêcher d’en être effrayés. Mais sou­dain, oubliant son effroi, toute l’âme du jeune pay­san avait fré­mi de fureur : car, dans la troupe de ces va-nu-pieds, com­plo­tant sans doute quelque bri­gan­dage, il venait de recon­naître l’homme qu’entre tous au monde il détes­tait le plus, un homme qu’il avait autre­fois recueilli, nour­ri, trai­té en frère, et qui, pour récom­pense, lui avait volé cinq mines d’argent, son unique bien ; après quoi le misé­rable s’é­tait enfui, et Bar­sa­bas avait sen­ti que sa joie et son repos s’en­fuyaient du même coup.

Aus­si, dès qu’il avait recon­nu son ancien ami, n’a­vait-il plus eu de pen­sée que pour sa ven­geance. Mais, au moment où déjà il s’ap­pro­chait, le cou­teau en main, l’homme vêtu de blanc avait détour­né la tête, et fixé sou­dain son regard sur lui. C’é­tait un regard pro­di­gieux, plein à la fois de dou­ceur et d’au­to­ri­té, un regard qui entrait jus­qu’au fond de l’âme, mais pour l’a­pai­ser et la puri­fier. Et tan­dis que Bar­sa­bas, inter­dit, trem­blait sous l’im­pé­rieuse caresse de ce regard, l’homme s’é­tait écrié, pour­sui­vant son dis­cours : « Aimez vos enne­mis, bénis­sez ceux qui vous mau­dissent, faites du bien à ceux qui vous font du mal, et priez pour ceux qui vous outragent et vous per­sé­cutent, afin que vous soyez enfants de votre Père, qui est dans les cieux ! Car, si vous n’ai­mez que ceux qui vous aiment, quel mérite y aurez-vous ? Et si vous ne faites accueil qu’à vos frères, qu’y aura-t-il là qui vaille d’être loué ? »

À peine Bar­sa­bas avait-il enten­du ces paroles, qu’il avait eu le sen­ti­ment qu’un poids se déta­chait de son cœur. Tout de suite, ajour­nant sa ven­geance, il s’é­tait assis sur une pierre pour mieux écou­ter ; et son âne avait dres­sé les oreilles pour écou­ter aus­si. Car cette voix, dont tous deux à dis­tance s’é­taient effrayés, elle n’é­tait plus main­te­nant qu’une ado­rable musique, légère, lim­pide, pareille à un chant de fau­vette dans le calme des bois. Et long­temps encore la voix avait conti­nué de par­ler, ensei­gnant à Bar­sa­bas toute sorte de choses qu’il s’é­ton­nait de pou­voir com­prendre. Elle lui avait ensei­gné le plai­sir de la pau­vre­té, la beau­té de l’i­gno­rance, l’i­nu­ti­li­té de l’ef­fort et de la pen­sée. « Ne soyez pas en sou­ci pour votre vie, – disait-elle, – ne vous pré­oc­cu­pez pas de ce que vous man­ge­rez ni de ce que vous boi­rez ! Soyez comme les petits enfants que vous voyez sur les routes : car ceux-là seuls qui leur res­semblent pour­ront entrer dans le royaume des cieux. Et qui­conque s’a­baisse pour deve­nir sem­blable à un petit enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des cieux ! »

Jesus guerissant les malades sur le bord du lac de Genezareth

Mais sur­tout la voix révé­lait à Bar­sa­bas quelle joie c’é­tait de renon­cer à soi-même pour don­ner son cœur aux souf­frances d’au­trui : de sorte que peu à peu le jeune homme, sans ces­ser d’é­cou­ter, avait com­men­cé à consi­dé­rer ses nou­veaux com­pa­gnons. Des men­diants et des vaga­bonds, oui, sa pre­mière impres­sion ne l’a­vait pas trom­pé : mais com­ment avait-il pu les prendre pour des mal­fai­teurs ? La plu­part avaient de bonnes figures simples et ouvertes ; et ceux dont les traits étaient plus durs ou la mine moins plai­sante, ceux-là même por­taient, dans leurs yeux, un vivant reflet du regard de leur maître. Il n’y avait pas jus­qu’au visage de l’en­ne­mi de Bar­sa­bas qui, au contact de ce regard, ne se fût trans­for­mé. Nulle ombre n’y res­tait plus des pas­sions de jadis : l’œil avait per­du toute trace de ruse, les plis du front s’é­taient effa­cés, la bouche s’en­trou­vrait en un clair sou­rire. Mieux encore que les autres, il avait su deve­nir pareil à un enfant.

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Petite Histoire de l'Église illustrée .

Temps de lec­ture : 12 minutes

∼∼ I ∼∼

— Allo ! Colette, cette leçon est-elle finie, oui ou non ? Je meurs de faim et le goû­ter attend.

Ins­tan­ta­né­ment, dans la grande baie ouverte, une tête blonde appa­raît. Elle se penche au-des­sus des touffes de fleurs grim­pantes, aux­quelles se mêlent ses che­veux bou­clés, pour répondre à Jean :

— Voi­là ! Voi­là ! Je descends.

Et c’est ain­si que nous retrou­vons nos amis[1].

Depuis trois ans, Colette et sa famille habitent Bey­routh. Au bout de la pre­mière année, tante Jeanne, Ber­nard, Annie ont rega­gné la France, lais­sant Yvon à Rome, au Sémi­naire Français.

Alors, Colette et Jean ont com­men­cé à trou­ver le temps long. Ber­na­dette, très occu­pée à aider maman au ménage, n’a guère de loi­sirs, Pier­rot est encore bien petit, et les enfants qu’on trouve au col­lège et à la pen­sion dif­fèrent un peu des amis de France.

Les études sont deve­nues de plus en plus sérieuses, jus­qu’au jour où il est per­mis d’en­vi­sa­ger un retour en France, avec un congé de six mois pour papa.

Cet espoir met de la joie dans l’air, et c’est en gam­ba­dant d’un pied sur l’autre que Colette rejoint son frère pour goû­ter, à l’ombre de la vérandah.

Tout en beur­rant sa tar­tine, elle demande : Pour­quoi Maria­nick n’est-elle pas là avec Pierrot ?

— Parce que mon­sieur Pierre a goû­té d’a­vance ; Ber­na­dette l’a emme­né pro­me­ner. Il n’a pas d’é­tude le jeu­di, lui !

— Écoute, pour le moment la tienne est finie. De quoi te plains-tu ?

Histoire de l'Église pour les enfants du catéchisme
Pour­quoi Maria­nick n’est-elle pas là avec Pierrot ?

— D’autre chose ! De ce que les semaines ont l’air d’être de quinze jours au lieu de sept, depuis que papa parle de ren­trer en France.

— Quelle blague ! jamais le temps n’a pas­sé si vite, au contraire. On fait des pro­jets magni­fiques pour le voyage. Ce sera splendide !

— Sans comp­ter, pré­cise Jean avec impor­tance, que nous devons nous arrê­ter à Rome, et peut-être voir le Pape ; ça n’ar­rive pas à tout le monde, tu sais, ces affaires là !

— Non. Seule­ment, entre nous, nous ne sommes pas très fer­rés sur toutes les par­ties du voyage. En Pales­tine, on sui­vait Notre Sei­gneur par­tout. Tu savais, moi aus­si, le nom de presque toutes les villes de l’É­van­gile. Tan­dis que main­te­nant, nous nous arrê­te­rons dans des endroits dont j’i­gnore même l’exis­tence. Et ça ne sera pas drôle du tout.

Jean ne peut s’empêcher de consta­ter qu’il y a du vrai dans ces réflexions pes­si­mistes. Il est son­geur, un peu ennuyé aussi…

— Hé bien ! fait Colette impa­tiente, tu ne réponds rien ?

— Je cherche un moyen.

— Un moyen ! pourquoi ?

— Pour faire un voyage intéressant.

— Dis-le alors.

— Oh ! ces filles ! riposte Jean d’un ton pro­tec­teur, ça ne sau­ra jamais consen­tir à réflé­chir. Donne-moi donc au moins le temps d’a­jus­ter deux idées. Puis, sur un ton de confi­dence : Pour moi, voi­là ce qu’il faut faire : apprendre à fond notre His­toire de l’. Je la sais très mal, toi pas du tout. Il n’y a qu’à s’y mettre.

  1. [1] Voir Caté­chisme illus­tré, Marne 1931 ; Récits évan­gé­liques illus­trés, Marne 1933.

    NDLR : sur ce site, nous avons déjà ren­con­tré ces jeunes amis dans À la décou­verte de la litu­gie