Tibi, margaritæ meæ !
En ce jour-là, Pierre se leva au milieu des disciples, qui étaient assemblés au nombre d’environ cent vingt, et il leur dit :
… « Il faut que, de ceux qui ont été avec nous pendant que le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, il y en ait un qui soit témoin avec nous de sa résurrection ! »
Alors ils en présentèrent deux : Joseph, appelé Barsabas, surnommé le Juste, et Mathias. Et, priant, ils dirent : « Toi, Seigneur, qui connais le cœur de tous, montre-nous lequel de ces deux hommes tu as choisi, afin qu’il prenne part au ministère et à l’apostolat en remplacement de Judas, qui nous a abandonnés ! » Et ils tirèrent au sort ; et le sort tomba sur Mathias, qui, d’un commun accord, fut mis au rang des onze apôtres.
(Actes des Apôtres, I, 15 – 24.)
Et, lorsque vint le jour de la Pentecôte, tous tes disciples se réunirent dans le même lieu. Et voici que sortit tout à coup du ciel un bruit comme d’un grand vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient assis. Et ils virent des langues de feu qui, se partageant, descendaient sur la tête de chacun d’entre eux. Et, aussitôt, tous furent remplis de l’Esprit-Saint ; et ils se mirent à parler toutes les langues, suivant l’inspiration de l’Esprit qui était en eux.
Or il y avait alors à Jérusalem des hommes craignant Dieu, qui venaient de toutes les nations qui sont sous le ciel. Et, quand on apprit le miracle, la foule accourut ; et ces étrangers furent stupéfaits d’entendre les disciples leur parler à chacun dans sa langue.
Et, dans leur surprise, ils se disaient l’un à l’autre : « Est-ce que tous ces hommes qui nous parlent ne sont pas des Galiléens ? Comment donc les entendons-nous parler à chacun de nous dans sa langue ? Parthes, Mèdes, Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée, de la Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des régions de la Libye qui avoisinent Cyrène ; et Romains, tant Juifs que prosélytes, et Perses, et Arabes, voici que nous les entendons nous prêcher, dans nos langues, les grandes choses de Dieu ! »
(Actes des Apôtres, II, 1 – 11.)
I
Le chrétien
Christus. – Cui ego loquer, cito sapiens erit.
(Imitatio Christi, III, 43.)
C’est tout à fait par hasard, – ou, plus exactement, par miracle, – que Joseph, appelé aussi Barsabas, était devenu disciple de Jésus. Il avait alors vingt ans, et demeurait, avec sa mère, dans le village galiléen où il était né. Or, voici l’heureuse aventure qui lui était arrivée :
Se rendant à Capernaüm en compagnie de son petit âne, un matin d’automne, pour vendre au marché les figues de son champ, il avait franchi déjà la double rangée des collines qui séparaient son village du lac de Génésareth, lorsque, à un tournant du sentier, un spectacle imprévu l’avait arrêté. Une vingtaine de mendiants et de vagabonds étaient assis en cercle, sur la rive du lac, occupés à écouter un homme vêtu de blanc, qui, debout au milieu d’eux, semblait leur donner des ordres ou les réprimander. Il leur parlait, en tout cas, d’une voix si sévère que Barsabas, et son âne lui-même, n’avaient pu s’empêcher d’en être effrayés. Mais soudain, oubliant son effroi, toute l’âme du jeune paysan avait frémi de fureur : car, dans la troupe de ces va-nu-pieds, complotant sans doute quelque brigandage, il venait de reconnaître l’homme qu’entre tous au monde il détestait le plus, un homme qu’il avait autrefois recueilli, nourri, traité en frère, et qui, pour récompense, lui avait volé cinq mines d’argent, son unique bien ; après quoi le misérable s’était enfui, et Barsabas avait senti que sa joie et son repos s’enfuyaient du même coup.
Aussi, dès qu’il avait reconnu son ancien ami, n’avait-il plus eu de pensée que pour sa vengeance. Mais, au moment où déjà il s’approchait, le couteau en main, l’homme vêtu de blanc avait détourné la tête, et fixé soudain son regard sur lui. C’était un regard prodigieux, plein à la fois de douceur et d’autorité, un regard qui entrait jusqu’au fond de l’âme, mais pour l’apaiser et la purifier. Et tandis que Barsabas, interdit, tremblait sous l’impérieuse caresse de ce regard, l’homme s’était écrié, poursuivant son discours : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous font du mal, et priez pour ceux qui vous outragent et vous persécutent, afin que vous soyez enfants de votre Père, qui est dans les cieux ! Car, si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quel mérite y aurez-vous ? Et si vous ne faites accueil qu’à vos frères, qu’y aura-t-il là qui vaille d’être loué ? »
À peine Barsabas avait-il entendu ces paroles, qu’il avait eu le sentiment qu’un poids se détachait de son cœur. Tout de suite, ajournant sa vengeance, il s’était assis sur une pierre pour mieux écouter ; et son âne avait dressé les oreilles pour écouter aussi. Car cette voix, dont tous deux à distance s’étaient effrayés, elle n’était plus maintenant qu’une adorable musique, légère, limpide, pareille à un chant de fauvette dans le calme des bois. Et longtemps encore la voix avait continué de parler, enseignant à Barsabas toute sorte de choses qu’il s’étonnait de pouvoir comprendre. Elle lui avait enseigné le plaisir de la pauvreté, la beauté de l’ignorance, l’inutilité de l’effort et de la pensée. « Ne soyez pas en souci pour votre vie, – disait-elle, – ne vous préoccupez pas de ce que vous mangerez ni de ce que vous boirez ! Soyez comme les petits enfants que vous voyez sur les routes : car ceux-là seuls qui leur ressemblent pourront entrer dans le royaume des cieux. Et quiconque s’abaisse pour devenir semblable à un petit enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des cieux ! »
Mais surtout la voix révélait à Barsabas quelle joie c’était de renoncer à soi-même pour donner son cœur aux souffrances d’autrui : de sorte que peu à peu le jeune homme, sans cesser d’écouter, avait commencé à considérer ses nouveaux compagnons. Des mendiants et des vagabonds, oui, sa première impression ne l’avait pas trompé : mais comment avait-il pu les prendre pour des malfaiteurs ? La plupart avaient de bonnes figures simples et ouvertes ; et ceux dont les traits étaient plus durs ou la mine moins plaisante, ceux-là même portaient, dans leurs yeux, un vivant reflet du regard de leur maître. Il n’y avait pas jusqu’au visage de l’ennemi de Barsabas qui, au contact de ce regard, ne se fût transformé. Nulle ombre n’y restait plus des passions de jadis : l’œil avait perdu toute trace de ruse, les plis du front s’étaient effacés, la bouche s’entrouvrait en un clair sourire. Mieux encore que les autres, il avait su devenir pareil à un enfant.