Étiquette : <span>Saint Boniface</span>

Auteur : Goyau, Georges | Ouvrage : À la conquête du monde païen .

Temps de lec­ture : 12 minutes

VI

Saint Boniface

Il est rare que les grands saints qui ont conver­ti des régions entières soient nés dans ces régions : saint Mar­tin vint des bords du Danube pour ame­ner les Gaules à la foi du Christ, comme deux cents ans plus tôt saint Iré­née et saint Pothin étaient venus de l’A­sie pour fon­der la chré­tien­té lyon­naise. On pour­rait, dans l’his­toire de l’a­pos­to­lat, trou­ver d’autres exemples qui confir­me­raient la parole de l’É­van­gile : « Nul n’est pro­phète en son pays, » ce qui veut dire que les habi­tants d’une ville ou d’une contrée écoutent moins volon­tiers celui qu’ils ont tou­jours connu ou dont ils ont connu les parents. Et si le Christ a vou­lu que ceux qui l’an­non­ce­raient émi­grassent ain­si d’un pays dans l’autre, c’est sans doute pour attes­ter que tous les membres de la chré­tien­té ne font qu’une même famille, et pour mon­trer aus­si, peut-être, que le mis­sion­naire doit rompre tous les liens qui l’at­tachent à ses parents, à sa cité natale, en vue de mieux se don­ner « aux bre­bis » qui ne sont pas encore dans la ber­ge­rie, en vue d’a­me­ner à la véri­té ceux qui ne la connaissent pas.

C’est un Anglais qui fut choi­si pour ache­mi­ner vers la foi chré­tienne les païens Alle­mands, un Anglais, ou plu­tôt un Anglo-Saxon, comme on disait de ceux qui étaient deve­nus les maîtres de l’An­gle­terre avant la conquête des Nor­mands. L’É­glise révère cet apôtre sous le nom de  ; son nom pri­mi­tif était Win­frid. L’An­gle­terre est peut-être le pays où le chris­tia­nisme se pro­pa­gea avec le plus de rapi­di­té. Moins d’un siècle après que saint Augus­tin de Can­tor­bé­ry eut débar­qué avec ses com­pa­gnons pour évan­gé­li­ser ces païens bar­bares, l’An­gle­terre méri­tait qu’on l’ap­pe­lât l’île des Saints, tant il y avait déjà de monas­tères tout le long des côtes, tant ces nou­veaux conver­tis avaient soif de s’ins­truire en choses reli­gieuses, de culti­ver la poé­sie d’É­glise et d’ap­prendre le latin, cette langue des litur­gies. Et ils avaient un plus grand désir encore, c’é­tait d’al­ler au loin faire par­ta­ger à d’autres peuples tous ces tré­sors de la foi que Rome leur avait apportés.

Vie de Saint Boniface, l'apôtre de l'AllemagneC’est vers 680 que Win­frid naquit dans le Devon­shire, d’une famille chré­tienne et noble. Il n’y avait pas encore beau­coup d’é­glises sur ce sol que cou­vraient de nom­breuses forêts ; de loin en loin, des mis­sion­naires venaient prê­cher l’É­van­gile et admi­nis­trer les sacre­ments ; ils réunis­saient les fidèles, chaque jour, au pied des grandes croix que les sei­gneurs éle­vaient dans leurs domaines, et là, tous ensemble priaient. Enfant, Win­frid se fai­sait remar­quer par son ardente pié­té ; comme sa famille don­nait l’hos­pi­ta­li­té aux moines qui pas­saient, Win­frid se tenait près d’eux, ne per­dant pas une parole de ce qu’ils racon­taient de leurs courses apos­to­liques, et sans relâche il les ques­tion­nait sur les véri­tés reli­gieuses. Dès l’âge de quatre ou cinq ans, il sup­plia son père de lui per­mettre de s’en aller dans un monas­tère. Mais le père, qui vou­lait lais­ser son domaine à son enfant, ne consen­tait pas et trai­tait le désir du petit gar­çon d’en­fan­tillage. Win­frid, que Dieu avait choi­si, comme dans l’An­cien Tes­ta­ment le petit Samuel, conti­nuait d’af­fir­mer sa voca­tion. Son père, après avoir essayé de la dou­ceur pour le détour­ner de son pro­jet, le mena­ça, le punit. Rien n’y fit ; et, après une grave mala­die qui faillit empor­ter Win­frid, le père, com­pre­nant enfin que Dieu vou­lait son fils, céda et lui per­mit d’en­trer au monas­tère d’Exe­ter. Win­frid avait alors sept ans, mais était si pieux, si avan­cé pour son âge en tout ce qui tou­chait à la reli­gion, que l’ab­bé du monas­tère vou­lut bien rece­voir cet enfant pré­des­ti­né. Jamais on n’a­vait vu un plus jeune éco­lier dans les choses divines ; jamais on n’a­vait vu, non plus, un éco­lier si zélé à rem­plir tous ses devoirs, — ses devoirs, qui le rap­pro­chaient de Dieu.

Après quelques années pas­sées à Exe­ter, il entra au monas­tère de Nurs­ling, en vue de pour­suivre ses études, qui le pas­sion­naient. D’é­co­lier, il devint pro­fes­seur, et tous ses élèves l’ad­mi­raient pour sa science et l’ai­maient pour sa bon­té. À l’âge de trente ans, il fut ordon­né prêtre. Peu de temps après, le monas­tère le délé­gua au concile qui se réunis­sait au Wes­sex auprès de l’ar­che­vêque de Can­tor­bé­ry. Le rôle qu’il joua dans cette assem­blée le ren­dit célèbre, et la façon dont il avait par­lé enchan­ta non seule­ment tous les évêques, mais encore le roi Ina. Win­frid pres­sen­tit à cette époque qu’on lui offri­rait d’être évêque à son tour ; mais il se sen­tait appe­lé à une tout autre vie, il vou­lait être mis­sion­naire. Il vou­lait por­ter la parole de Dieu chez ceux qui ne la connais­saient pas encore, ou qui l’a­vaient déjà oubliée, l’ayant reçue depuis peu. Et puis, les hon­neurs, l’am­bi­tion, rien n’é­tait plus loin de son cœur. Mal­gré les ins­tances de l’ab­bé et de ses frères, il partit.