C’était à Tyr, vers l’année 335 de notre ère. Le grand port phénicien, célèbre depuis des milliers d’années par les expéditions commerciales qu’il envoyait dans toutes les directions, jusqu’au nord des îles que nous appelons britanniques, jusqu’au sud le plus mystérieux de l’Afrique, n’était pas seulement un énorme entrepôt où s’accumulaient les plus précieuses marchandises du monde entier : c’était aussi un centre intellectuel, où les meilleurs maîtres enseignaient, où les bibliothèques abritaient des milliers et des milliers de livres, où les étudiants et les élèves venaient de partout.
Or, ce soir-là, sur une terrasse qui dominait la mer, en regardant tomber le soleil rouge sur les flots verts sombres de la Méditerranée, un homme parlait avec deux enfants. L’homme, c’était Métrodore, un des professeurs les plus connus de la cité, un philosophe éminent, expert aussi en géographie, et très bon chrétien de surcroît. L’aîné des enfants, Frumence, avait une quinzaine d’années à peine, mais son maintien, l’air grave de son visage, son attention à écouter, le faisaient paraître plus âgé ; le plus jeune, Edèse, n’avait guère que douze ans, mais il était vif et prompt au travail. De quoi leur parlait donc leur maître ?
« Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé, il y a un peu plus de vingt ans ? Notre grand Empereur Constantin, qui aujourd’hui règne glorieusement dans cette nouvelle Rome qu’il a fondée et qu’on nomme, désormais, ville de Constantin, Constantinople, se trouvait alors en guerre contre son rival Maxence. Déjà dans le fond de son cœur, il avait décidé de se faire baptiser. Et que se passa-t-il au moment où, sur les bords du Tibre, il allait livrer la bataille décisive ?
— Je sais ! cria Frumence. Dans le ciel il vit paraître une croix lumineuse, et une voix retentit à ses oreilles : Par ce signe tu vaincras !
— Bien dit, mon garçon ! Et c’est ainsi, en effet, que Constantin, après sa victoire, se fit le protecteur de la Sainte Église. Depuis lors, le cauchemar des persécutions est terminé. Ce n’est plus dangereux de se proclamer fidèle au Christ. Mais croyez-vous que notre tâche, à nous chrétiens, soit terminée ? Répondez donc ! »
Il les fit rentrer dans la salle où ils travaillaient. Au mur était dessinée une carte de l’Empire romain et de tous les pays d’alentour.
« La couleur rouge, cela représente les endroits où l’Évangile de Notre-Seigneur a été enseigné.
— Il n’y en a pas beaucoup, à côté du reste, murmura Edèse.
— Non, il n’y en a pas assez. Et vous vous souvenez de ce que le Christ a commandé à ses disciples, les Saints Apôtres, avant de remonter dans le Ciel, près du Père ?
— Allez et évangélisez toutes les nations, dit Frumence.
— Oui, Frumence. Allez et évangélisez toutes les nations. Telle est la grande loi… tel est l’ordre du Maître. Il ne suffit point de donner des leçons à des élèves dociles, ni d’écrire des livres. Une autre tâche nous appelle, nous autres qui sommes témoins de Jésus le crucifié : partir vers les pays où son nom est encore inconnu, où son message n’a pas été porté… »
Et, revenu sur la terrasse, tandis que la lune bleuissait les flots de la mer et transformait le ciel en une immense coquille de nacre, Métrodore continua à parler aux deux enfants. Il leur raconta les histoires merveilleuses des apôtres, partant dans toutes les directions, vers les pays les plus dangereux, pour être fidèles au commandement de Jésus. Était-il vrai que, tandis que saint Paul et saint Pierre mouraient martyrs à Rome, saint André se lançait dans l’immense Scythie (la Russie d’aujourd’hui), saint Marc débarquait en Égypte, saint Thomas atteignait jusqu’à l’Inde lointaine, et saint Mathieu pénétrait au cœur de l’Afrique, dans la mystérieuse Éthiopie ? Ainsi, dans un grand nombre de régions, le bon grain de l’Évangile avait été semé. Mais un immense travail était encore à faire. Il fallait retourner là-bas, interroger, enseigner, aider les quelques groupes de baptisés qui s’y trouvaient, gagner à la foi des recrues nouvelles. Magnifique aventure ! Pour le Christ et sa sainte religion, se lancer en des terres inconnues, découvrir des pays, des peuples nouveaux… Il était très tard et la lune était déjà haute dans le ciel, quand Métrodore exposa à ses jeunes élèves son grand projet.